Forum - [RP] Le druide.
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Falxo Feronas | 04/12/06 16:18
[HRP]
Comme ce nouveau Faux Rhum est pratique pour remettre les épisodes précédents sans avoir à balancer 32 liens 
Le chapitre 5 étant (enfin ?) terminé, il pourra être trouvé un peu plus bas, à la suite du prologue et des 4 premiers chapitres qui, eux, sont déjà parus il y a quelque temps sur le Faux Rhum. Comme ça, tout le monde est content : ceux qui avaient tout lu jusqu'au chapitre 4 et qui n'auront donc qu'à effectuer quelques tours de souris pour trouver le cinquième, ceux qui ne connaissaient pas du tout et qui peuvent ainsi tout relire, et ceux qui trouvent toute cette histoire à brûler au lance-flammes et auxquels je n'en voudrai aucunement s'ils se contentent de changer de page avec un reniflement méprisant 
Voilà voilà, bonne lecture.
Edit : Ah oui, euh, tout ensemble, ça fait un peu long quand même... mais c'est normal, je crois 
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Edité par Falxo Feronas le 04/12/06 à 16:21
Falxo Feronas | 04/12/06 16:18
[Prologue]
« Absolument, vois par toi-même ! 400 ! On est arrivés ici à la lune 147, la 547 vient de se hisser dans le ciel. Les chiffres sont sans pitié. Ca fait 400. »
Kremp saisit le bout de parchemin jauni et craquelé par le temps que Falxo lui agitait devant le nez, et examina de ses propres yeux les pattes de mouches inscrites sur sa surface. Il dut se rendre à l'évidence : son ami avait raison, le parchemin, extrait de leurs plus vieilles archives, était bel et bien daté de 400 lunes exactement.
Le regard dans le vague, ou plutôt plongé dans ses souvenirs, le centaure reposa le feuillet sur la table chargée de centaines d'autres, tous plus poussiéreux qu'une salle de bain orque.
« Incroyable, maugréa-t-il. Le temps passe si vite... Ca fait donc si longtemps que ça que tu erres sur ce Daifen ingrat ?
- Faut croire, acquiesça Falxo. De même, ça fait si longtemps que ça que tu m'y suis, pour le meilleur et pour le pire.
- Surtout pour le pire, non ? ricana Kremp.
- Tout à fait, tout à fait. Je ne vais pas le nier, on n'a pas toujours eu le succès escompté. Mais regarde... On est toujours là ! 400 lunes qu'on pérégrine de continent en continent, et toujours pas découragés ! Ca se fête, non ? »
Sans attendre la réponse du centaure, Falxo se dirigea vers une étagère au fond de la pièce et en revint avec un tonnelet sous le bras gauche, et deux chope de bois dans la main droite. Kremp leva les yeux au ciel, mais s'abstint de tout commentaire pendant que le druide remplissait consciencieusement les deux chopes d'une bière mousseuse et dorée. Cela fait, Falxo en tendit une à Kremp.
« A la 400e, lança-t-il en souriant.
- Oui, à la 400e, » répéta le centaure en prenant la chope.
S'étant assis à la table, ils trinquèrent et engloutirent leur boisson en discutant de choses et d'autres. Les archives étaient toujours répandues sur la table, et de temps à autre, Falxo s'amusait à saisir un parchemin au hasard et à consulter rapidement un ancien rapport de défaite, un vieux pigeon de menace, un inventaire de troupes ou, plus rare, un traité de paix victorieux.
Lorsqu'ils eurent fini de boire, le druide se leva et commença à rassembler les parchemins.
« Enfin, c'est pas tout ça, déclara-t-il, mais on a du boulot. On repart demain, destination Kijuadhil. Tu vas voir, on va s'amuser. Et on a toutes nos chances, on a eu pas mal de succès ces derniers temps !
- Pourquoi ? »
Kremp avait posé cette question, ce simple mot, d'une voix absente. Intrigué, Falxo reposa la pile de documents qu'il venait de soulever et dissipa d'un geste distrait le nuage de poussière qui s'en dégagea ce faisant, fixant le centaure par-dessus les archives éparpillées.
« Pourquoi quoi ? demanda-t-il. Ce n'est pas nouveau, nous sommes toujours en quête d'un continent où faire notre trou. Qu'est-ce qui t'étonne là-dedans ? Ca fait 400 lunes qu'on voyage sans répit.
- Ca, je le sais bien. Je voulais savoir... pourquoi ? Pourquoi es-tu comme ça ? Après tout ce temps, tu serais en droit d'avoir un peu de calme, de couler des jours heureux sur l'une de nos rares conquêtes. Et je sais que, même avant de me connaître, tu as vécu pas mal de choses, pas forcément joyeuses. Pourtant, tu es toujours aussi enthousiaste, aussi amoureux de la vie... C'est bien, mais... Je ne comprends pas comment tu fais.
- Oh, je vois... »
Falxo se rassit sur sa chaise et joignit ses mains, les yeux fixés sur le tas de parchemins. Il resta ainsi une bonne minute, puis croisa le regard de Kremp.
« Pourquoi je suis comme ça ? Tu veux le savoir.
- Oui. Tu m'intrigues vraiment.
- Alors, écoute-moi. Je vais te raconter une histoire. Une histoire que tu connais au moins en partie pour en avoir été l'un des acteurs. Ne m'interrompt pas, laisse-moi parler... Je vais t'expliquer qui est Falxo Feronas. »
Falxo Feronas | 04/12/06 16:18
[Chapitre I]
La plaine était d'une blancheur immaculée. Partout, la neige avait recouvert le sol, maintenant endormi jusqu'au prochain printemps, où, à nouveau, il ferait naître végétation et vie. Mais, pour le moment, c'était encore l'hiver. Et le blanc, donc, qui allait avec, comme un voile posé sur le monde. Ou un linceul jeté sur un cadavre. Quoiqu'il en fût, c'était un tissu réalisé d'une main de maître, avec une dextérité quasi divine, une oeuvre presque parfaite.
Presque, car il y avait cependant un accroc dans la trame. Foulant violemment la neige, trois silhouettes emmitouflées, noires, brutales, traversaient la plaine. Les rires gras qu'elles poussaient, leurs pieds qui broyaient les flocons déchiraient le calme froid de l'hiver. Des humains.
« Ca, je vous le dis, les gars, on en tirera un bon prix, » jubilait l'homme de tête.
Grand, barbe noire, hirsute, vêtu de fourrures, comme d'ailleurs ses deux compagnons, atours pas vraiment surprenants pour la saison. Dans ses doigts rougis par le froid, il tenait une pierre, de la taille d'un poing de bébé, d'un vert terne, grossière, mais apparemment sans impureté aucune ; de l'autre main, il tripotait le manche d'une courte hache qui pendait à sa gauche.
« Probablement, » acquiesça l'un des deux hommes qui le suivaient, tout excité.
Celui-ci, contrairement au premier, taillé comme un roc, était tout petit et mince. Son visage, fin et glabre, ne cessait de s'agiter en tous sens, comme s'il examinait constamment les alentours. Le troisième homme, lui, avait un air taciturne, les yeux fixés vers le sol tandis qu'il marchait, la figure en partie dissimulée par sa chevelure raide, plus claire que celle de ses compagnons. Il semblait tendu, la main sur la garde de la rapière qui battait sa jambe gauche, et se contentait de pousser un ricanement quand les deux autres s'esclaffaient de bon coeur.
« C'est une émeraude, vous croyez ? s'enquit le plus petit.
- Sûrement ! répondit le barbu. Un caillou vert, j'en connais pas beaucoup d'autres ! Et puis... du moment qu'il vaut beaucoup d'or... honnêtement, j'en ai rien à cirer ! »
Et les rires de fuser de nouveau, déchirant l'air paisible.
Le petit homme s'esclaffait encore bruyamment quand une flèche, mortelle et silencieuse, vint plonger dans sa nuque.
Il s'effondra immédiatement, sans avoir le temps de crier, et le rouge vif vint rompre la virginité de la neige. Le tir était venu de derrière. Les deux autres hommes se retournèrent et saisirent leurs armes, paniqués. Qui ? Pourquoi ? Leurs regards fouillèrent frénétiquement les alentours à la recherche de leur agresseur.
Celui-ci n'avait pas pris la peine de se cacher : il était complètement à découvert, debout face aux deux survivants, un arc bandé calmement pointé sur eux. C'était un elfe, vêtu d'une longue cape verte qui aurait pu claquer au vent, si seulement il y en avait eu ; mais non, pas un souffle, et la cape était aussi immobile que son propriétaire, qui gardait ses yeux verts rivés sur les deux hommes, sans ciller. Il avait des cheveux blonds, sales, longs, qui tombaient en écheveaux emmêlés jusqu'au milieu de son tronc, encadrant un visage dur aux traits figés en une expression menaçante.
« C'est l'elfe à qui on a pris la pierre, glissa l'homme taciturne au grand barbu.
- Je le reconnais, grogna ce dernier. Hé ! beugla-t-il à l'intention de l'archer. Qu'est-ce que tu veux ?
- La pierre, évidemment, répondit l'elfe d'une voix claire. Ou je vous tue tous deux comme votre ami, et je la prends sur vos corps. »
Les deux hommes s'interrogèrent du regard. Le barbu marmonna :
« Il a tué notre compagnon... On va pas le laisser s'en sortir comme ça. »
L'autre acquiesça d'un léger signe de tête. Ils fixèrent l'elfe, et, soudainement, chargèrent, avec force cris vengeurs.
Avec un grognement, l'elfe décocha sa flèche, mais, les doigts engourdis par le froid, moins bien qu'il ne l'aurait voulu. Le projectile fila vers sa cible et la manqua de peu, passant à quelques centimètres de l'épaule du barbu. Plus le temps d'encocher une nouvelle flèche. L'elfe se débarrassa de son arc, le lançant négligemment derrière lui, et dégaina rapidement une épée aux reflets d'argent.
L'homme à la rapière ralentit légèrement.
« Que... Il l'avait, cette épée, la nuit dernière ? »
L'autre ne répondit pas. Il arriva au contact de l'elfe et, avec un hurlement bestial, abattit sa hache sur lui. La lame argentée dévia le coup, puis son propriétaire se baissa, passa sous l'arme de son adversaire et lui asséna un violent coup d'épaule dans l'estomac. L'homme tomba à la renverse, le souffle coupé. Brandissant son épée, l'elfe s'apprêta à la lui plonger dans la poitrine.
Il la lâcha avec un cri de douleur quand la rapière de l'autre homme, arrivé à la rescousse, lui mordit cruellement le biceps. L'homme ricana, retira son arme et arma son bras, prêt à frapper de nouveau, à la gorge cette fois. L'elfe se jeta par terre pour éviter l'attaque, et fit un roulé-boulé, se relevant un peu plus loin, la main gauche crispée sur sa blessure.
« Pauvre idiot, cracha le barbu en se redressant. Ne nous prends pas pour des fripouilles de bas étage. On sait se battre, nous aussi, et on est deux ! Tu vas payer au centuple la mort de notre pote !
- Je veux cette pierre, répliqua l'elfe entre ses dents serrées. Si vous devez me tuer, soit. Mais je ne repartirai pas sans.
- Tu ne repartiras pas tout court. Tes oreilles pointues, on va te les faire bouffer. »
Sans plus de politesses, les deux bandits revinrent à la charge. Leur adversaire recula à plusieurs reprises, esquivant tant bien que mal les coups assénés, tandis que les humains criaient déjà leur victoire sur l'elfe désarmé, blessé, acculé. Ce dernier s'efforçait de garder son souffle. Il l'attendait. La faille.
Là !
Pendant que le barbu brandissait sa hache pour la lui abattre sur le crâne, il plongea dans l'espace laissé entre ses deux adversaires. Il trébucha, reprit son équilibre et s'éloigna des deux hommes avant qu'ils ne puissent le frapper. Ils se lancèrent à sa poursuite, tandis que lui-même se jetait sur son épée. Il parvint à la saisir, et, se retournant, frappa. Une nouvelle gerbe de sang vint teinter la neige, et le barbu, touché à l'estomac, s'affaissa. Dans un infâme gargouillis, crachant le contenu de ses artères, il lança des imprécations étouffées au guerrier qui le mettait à bas. Puis, comme tout humain ayant les entrailles déchirées, mourut.
A présent redoublant de méfiance, l'homme à la rapière recula de deux pas et jaugea son adversaire qui se relevait, la lame dans la main gauche. Son bras droit blessé pendait contre son flanc, deux petites rigoles sanglantes coulant le long de ses doigts. L'humain inspira et expira profondément. Inutile de s'énerver. L'elfe était affaibli. Il réussirait à l'avoir.
Ils se tournèrent autour quelques secondes, puis se jetèrent l'un sur l'autre. Le métal résonna contre le métal. L'humain recula rapidement, conscient que sa fine lame n'était pas forgée pour ce genre d'échanges. Il devrait en terminer rapidement, d'un seul coup précis, traverser la gorge de son ennemi...
Maintenant, par exemple.
L'elfe fut surpris par la charge soudaine de l'humain, mais réagit malgré tout à temps pour dévier la rapière qui fondait sur lui. L'autre trébucha ; il en profita pour forcer son avantage, abattant son épée sur la jambe de son adversaire. Celui-ci, blessé à l'articulation du genou, s'étala dans la neige en poussant un cri de douleur. Haletant, l'elfe posa sa pointe ensanglantée sur la gorge du vaincu.
« P... Pitié... gémit ce dernier. Pitié... Reprenez la pierre... je ne vous embêterai plus... »
Le silence retomba un instant. Il fut vite brisé de nouveau par la voix de l'elfe, dure, sans appel.
« Ca, je vous l'ai déjà proposé. Vous avez dit non. »
Sans plus de cérémonie, l'arme s'enfonça dans la chair et prit la vie de l'humain.
L'elfe lâcha son épée et s'assit par terre, essoufflé. Il n'était pas pressé : il s'accorda deux minutes, le temps de reprendre sa respiration. Au terme de ce laps de temps, il se releva, titubant. Il fouilla rapidement les cadavres, se désintéressant de toutes leurs possessions, obnubilé seulement par la pierre qu'ils lui avaient pris. Il finit par la trouver dans le poing fermé du barbu, où elle était restée tout le temps de l'affrontement. Posant le pied sur le poignet du mort, il desserra ses doigts et s'empara de la pierre. Le soupir de soulagement qu'il poussa déposa un léger voile de buée sur la surface du minuscule caillou. Il l'empocha, alla récupérer ses armes et revint sur ses pas fraîchement imprimés dans la neige, sans se préoccuper du sang et des cadavres qu'il laissait derrière lui.
Pourquoi tenait-il tant à cette pierre ? Il ne savait même pas si elle avait une utilité quelconque. Mais il avait le sentiment d'avoir besoin d'elle : quand, ce matin-là, il s'était réveillé, frigorifié dans son campement de fortune mal protégé des intempéries, et avait constaté que la pierre qu'il portait partout avec lui avait disparu, il avait eu l'étrange impression d'avoir perdu un bout de lui-même. Sans hésiter, il s'était levé et lancé aux trousses des voleurs, qui, par bonheur, avaient profondément imprimé leurs traces dans la neige sans penser à les effacer derrière eux. Ils n'avaient emporté que la pierre, et encore, ils ne l'avaient pas gardée longtemps.
L'elfe aurait aussi pu s'étonner que son arme, son épée d'argent, n'ait pas été volée. Mais ce n'était pas la première fois qu'il constatait que personne d'autre ne pouvait se l'approprier sans son accord. Il ne s'expliquait pas ce phénomène ; il s'en accommodait simplement.
La pierre, petite, terne... L'épée, argentée, sobrement décorée de gravures toutes simples... L'elfe soupira, assailli par les souvenirs, ou plutôt, leur absence. Pour rien au monde il ne se serait séparé de ces deux objets. Depuis quelques lunes, il errait sur ce monde, sans savoir d'où il venait, ni ce qu'il avait fait avant ; et tout au long de cette errance, la pierre et l'épée l'avaient suivi. C'étaient deux des trois seules choses qu'il avait avec lui quand il s'était éveillé au soleil de ce monde. La troisième, c'était son nom. Pas étonnant, dans ces circonstances, qu'il eût le sentiment que ces deux objets définissaient son identité au même titre que ce nom...
L'elfe souleva son épée et, pensivement, scruta les petites runes qui ornaient sa garde. Deux lettres elfiques. Le voilà, son nom, du moins son abréviation, dont il connaissait instinctivement la signification, là encore, sans savoir comment. C'était beaucoup trop de zones d'ombre, de questions sans réponses, et pourtant, ce n'était pas faute de les chercher. En vain pour le moment. Il n'avait rien trouvé de plus que ce qu'il avait déjà à son éveil : cette suite de lettres, ou de sons, qui le définissait : Falxo Feronas. Et c'était tout.
Il rengaina son épée, rageusement, et pressa le pas. Il n'était rien, rien d'autre qu'un nom. Soit... S'il avait un passé qui ne voulait pas se révéler à lui... alors il irait lui-même le chercher.
Falxo Feronas | 04/12/06 16:19
[Chapitre II]
Le hameau dans lequel venait de pénétrer Falxo était minuscule. Quelques chaumières, quelques âmes pour les habiter, et toujours la neige pour recouvrir le tout. Un village comme il en existait des centaines. Falxo ne connaissait même pas le nom de celui-ci, et, pour tout dire, il s'en fichait éperdument. Tout ce qui lui importait pour le moment, c'était de trouver un endroit où s'asseoir, où reposer ses jambes quasiment coupées par les longues heures de marche dans les plaines gelées, et où remplir son estomac criant famine. Et s'il pouvait également y passer la nuit, qui, comme d'habitude en cette saison, était tombée rapidement et de bonne heure, ce ne serait pas plus mal.
Tout en se frottant vigoureusement les mains afin de les réchauffer, il examina rapidement les façades des maisons sagement posées sur les deux bords de la route, jusqu'à trouver ce qui l'intéressait. Une petite taverne, qui ne payait pas de mine mais qui saurait toujours procurer un peu de chaleur à l'elfe transi. Ses fenêtres éclairées perçant l'obscurité parurent à Falxo comme un feu salvateur près duquel il ne demandait qu'à se réchauffer.
Il soupesa sa bourse, la trouvant beaucoup trop légère à son goût. Les maigres fonds dont il disposait, fruit de quelques travaux éphémères, de la récupération de tout ce qui pouvait se revendre ou de la mendicité, ne lui permettaient de subsister qu'à grand peine. Mais, comptant rapidement les pièces qui sommeillaient dans sa bourse, Falxo jugea que cela serait suffisant pour passer une nuit ici, et qu'il lui resterait encore de quoi ne pas trop s'inquiéter pour quelques jours.
Sa décision prise, il s'avança résolument vers l'auberge et poussa la porte, libérant aussitôt les éclats de voix joviaux et la chaleur bienfaitrice qui régnaient à l'intérieur. Il se glissa dans la salle et referma le battant, bloquant le passage au froid, à la neige et à l'hiver qui tourbillonnaient dans la nuit au dehors. Deux ou trois regards distraits se tournèrent vers lui, et se désintéressèrent rapidement de l'elfe à bout de forces, vêtu de modestes habits de voyage, l'arc pendouillant lamentablement sur son épaule. Un aventurier parmi tant d'autres. Rien qui vaille le coup de délaisser la bonne chope de bière mousseuse qui les attendait, sagement posée sur la table.
La tête baissée pour ne pas croiser inutilement le regard des autochtones irascibles qui pourraient prendre cela pour un provocation, Falxo s'approcha du bar et de l'aubergiste nonchalant qui y était accoudé, en pleine conversation avec une femme dont l'élocution, ainsi que les quelques verres alignés devant elle, laissait deviner qu'elle avait déjà un peu trop bu.
« Bonjour, » lâcha-t-il.
Les regards des deux interlocuteurs se tournèrent vers lui et le jaugèrent rapidement. D'une vois qui se voulait amicale mais qui se teintait de méfiance, l'aubergiste demanda :
« Je peux vous aider ?
- Je pense que oui. Je cherche un repas nourrissant et une chambre pour la nuit. Votre établissement m'a semblé en mesure de me les fournir, et j'ai de quoi les payer. »
L'aubergiste jeta un coup d'oeil à la bourse qui pendait à la ceinture de l'elfe, tandis que la femme avec laquelle il discutait juste avant contemplait rêveusement le visage du nouvel arrivant, ses yeux manifestement embrumés par l'alcool. Mal à l'aise, Falxo s'efforça de ne pas la regarder.
« Eh bien, messire l'elfe, asseyez vous où vous pouvez et détendez-vous, je vous apporte votre repas le plus vite possible et je vous fais préparer une chambre. Si vous voulez un bain, il y aura un petit supplément.
- Un supplément... Non, pas la peine, merci. »
L'aubergiste haussa les épaules, se détourna et traîna la patte vers les cuisines. Suivant son conseil, Falxo se dirigea vers l'une des dernières tables libres, la plus éloignée possible des autres clients, suivi par le regard de la fille au bar, qui entamait un nouveau verre. Il détestait les endroits bondés... Pourvu qu'il puisse quand même passer une soirée calme...
Son souhait vola en éclats environ cinq minutes plus tard, lorsqu'un homme décharné, aux cheveux grisonnants et à l'haleine avinée, vint se placer près de lui, les yeux rivés sur lui et les lèvres écartées en un sourire édenté.
« Salut, l'elfe !
- ... Salut.
- Tu sais que t'es mignonne ? »
Falxo leva les yeux au ciel. Et voilà... Un provocateur stupide... Bon... Ne pas répondre. Même s'il continue sur sa lancée. Ce qu'il fait.
« Z'oreilles pointues, hmm ? J'aime pas les z'oreilles pointues... Pas d'couilles... que des oreilles... Race noble, huh ? Mon cul ouais. »
La main de l'elfe descendit lentement vers la poignée de son épée. Non... Ce n'était pas une bonne idée. Pas l'envie qui lui en manquait pourtant. Et s'il était fourbu, l'autre était ivre, il avait donc une bonne chance de remporter le combat. Et après ? Une fois que les entrailles de l'impudent auraient redécoré la taverne, sous les yeux de dizaines de témoins ? Non, vraiment pas une bonne idée. Falxo reposa la main sur le bois de la table et s'entêta à ne pas regarder l'humain. Attendre le repas, manger, dormir, et tout irait bien.
« Des fiottes, des grosses tapettes, je l'savais, triompha l'homme. Tu t'décomposes de frousse, hé ? T'oses pas t'battre contre moi ! »
Non... Ne pas l'étriper tout de suite...
A ce moment, l'aubergiste s'approcha de la table, avec guère plus qu'un regard furtif vers le perturbateur, signifiant assez clairement qu'il ne voulait pas d'ennuis et donc qu'il n'interviendrait pas tant que la violence resterait verbale. Les yeux baissés, donc, il posa devant Falxo une assiette remplie d'un ragoût assez malodorant, mais néanmoins probablement mangeable. Se basant sur cette supposition, Falxo commença à manger en feignant d'ignorer l'homme qui se tenait près de lui et qui multipliait les insultes. D'habitude, cela suffisait à les décourager.
En effet, il se découragea et finit par s'éloigner. Mais non sans avoir au préalable joliment craché dans le ragoût et poussé un infâme ricanement. Tandis que l'imbécile regagnait sa place, Falxo regardait son repas, mi-découragé, mi-enragé. Il finit par pousser un soupir et repousser son assiette à peine entamée, en ruminant de sombres pensées. Si l'ivrogne se représentait devant lui, un autre jour, dans un autre endroit...
Ses envies de meurtre furent interrompues par l'arrivée d'un autre perturbateur, une perturbatrice pour être exact. La fille du bar, s'approchant d'une démarche chaloupée, vint s'asseoir près de Falxo, trop à son goût. Il la détailla du coin de l'oeil. Elle était bien plus jeune qu'il ne l'avait cru au premier abord, quand il l'avait vue parler au barman ; elle ne semblait pas avoir plus d'une trentaine d'années. Moins, même... Elle avait une expression et un visage d'adulte, et avait d'ailleurs bu plus que de raison même pour une adulte, mais Falxo eut l'étrange impression que ce n'était qu'une façade et qu'elle était encore plus jeune que cela... Petite, frêle, elle arborait une chevelure rousse et de grands yeux noirs, ainsi qu'une robe usée qui devait constituer la moitié du contenu de sa penderie, en restant optimiste. Elle posa les coudes sur la table et lança un regard enjôleur à Falxo.
« Bonsoir... tu as de l'argent ? murmura-t-elle
- Assez pour payer la nuit, répliqua sèchement l'elfe.
- Et pas assez pour... hmm... agrémenter cette nuit d'un peu de compagnie ? »
Evidemment.
« Trop peu pour le gaspiller, en tout cas.
- Oh... vraiment ? susurra-t-elle. Mais ça ne sera pas du gaspillage, tu verras, pour trois pièces d'or, je t'assure que tu ne regretteras rien...
- Trois pièces d'or ? répéta Falxo, se tournant vers elle, étonné. C'est donc si peu, le prix de la chair ?
- Que crois-tu ? »
La voix de la jeune fille, ainsi que son expression, s'était durcies. Son regard trouble laissait encore deviner les méfaits de l'alcool, mais ses paroles semblaient parfaitement lucides.
« Es-tu assez naïf pour penser que vendre sa « vertu » est une chose rare qui se paie à prix d'or ? Idiot... Ici, on survit comme on peut. Trois pièces d'or, c'est souvent ce dont je dois me contenter pour subsister une journée durant et me payer assez de verres pour m'abrutir et pas avoir à trop penser à ce que je fais, et j'ai encore de la chance que le patron de ce bouge m'aime bien et me laisse bosser dans son établissement. Si je me vends, c'est parce que c'est tout ce que je sais faire. J'ai pas le choix. »
Le silence retomba entre eux, tandis que la salle retentissait toujours des rires joviaux des occupants, totalement ignorants de leur conversation, qui du reste ne les intéressait pas le moins du monde. Enfin, timidement, la jeune fille redemanda :
« Alors... C'est oui ou non ? »
Falxo ne répondit pas tout de suite. Il pensa au maigre contenu de sa bourse, qui était toutefois plus en chair que les trois malheureuses pièces d'or qu'elle demandait. Il pouvait... Oui, il pouvait, pourquoi pas après tout ? Elle serait contente, et... lui, il devait bien avouer que les quelques mois qu'il avait passés à errer sans savoir d'où il venait lui pesaient terriblement sur le coeur et qu'il ne serait pas contre avoir de la « compagnie » pour une nuit, même une simple nuit...
Il leva les yeux vers elle, et, avec le sentiment de faire à la fois ce qui était le mieux et une bêtise monumentale, il marmonna :
« D'accord. »
La jeune fille sourit et se leva, imitée par Falxo. Ils se dirigèrent vers le bar, et, les yeux posés sur l'aubergiste, l'elfe lui demanda :
« Ma chambre est prête ? »
L'homme jeta un coup d'oeil à la fille qui le suivait et se fendit d'un sourire grivois, que Falxo préféra ignorer. Il se baissa, saisit une clé sous le comptoir et la tendit à son client en précisant :
« C'est la troisième chambre à droite, au deuxième étage, messire. Passez une bonne nuit. »
Ils montèrent les escaliers sans prononcer un mot. Arrivés devant la porte indiquée par le tenancier, Falxo glissa la clé dans la serrure, poussa le battant et s'effaça pour laisser passer la jeune fille. Une fois à l'intérieur, sans plus de cérémonie, elle entreprit de délacer sa robe. Falxo alla s'asseoir sur le lit, plongé dans ses pensées. Lourd silence, rompu de nouveau par une tentative hésitante de la jeune fille d'engager la conversation.
« Et sinon... d'où viens-tu ?
- J'aimerais bien le savoir, soupira Falxo.
- Tu ne sais pas ? Hmm... Tu as peut-être de la chance, fit-elle, pensive.
- Tu trouves ? ricana amèrement l'elfe. Mets-toi dans mon cas. Tu verras si c'est si agréable que ça.
- Je ne peux pas le savoir, en effet, répondit-elle doucement en venant s'asseoir près de lui, maintenant entièrement dévêtue. Je ne suis pas dans ton cas... Par contre, je suis dans le mien. Moi, je sais d'où je viens... D'une famille pauvre, d'un village miteux, sans aucune chance d'en sortir un jour, alors, oui, parfois, j'aimerais ne pas le savoir, ou au moins l'oublier... C'est aussi ça que l'alcool m'offre, parfois...
- Je comprends. S'il n'y avait que le présent, les choses seraient tellement plus simples. Mais le passé ne cesse pas de nous tourmenter, qu'on le connaisse, comme toi, ou pas, comme moi. C'est ça ?
- Exactement, sourit-elle. Et dis-moi... Si tu ne sais pas d'où tu viens, sais-tu au moins où tu vas ?
- D'une certaine manière. Je vais là d'où je viens.
- Bonne chance pour le retrouver, alors... Tu sais où chercher, j'espère ? » demanda-t-elle avec un petit rire.
Falxo tira d'une de ses poches la pierre verte qui l'accompagnait depuis le début de ses errances, dégaina son épée, et les contempla sans rien dire un instant.
« C'est la seule piste dont je dispose, lâcha-t-il enfin. Ces deux objets, plus mon nom, Falxo Feronas. Mais ça ne m'a pas mené très loin jusqu'ici.
- On dirait d'anciens artefacts elfiques, hasarda la jeune fille.
- Comment sais-tu ça ? s'étonna Falxo.
- J'ai essayé d'étudier... il y a longtemps, répondit-elle avec un faible sourire. Je voulais me cultiver et devenir quelqu'un de bien, mais j'ai tout raté. Il ne me reste que quelques bribes de connaissance. Je ne suis pas sûre de ce que j'avance, mais avec un peu de chance, tu pourrais peut-être retrouver la trace de tes objets en faisant des recherches, dans une bibliothèque par exemple... Il y en a une, très grande et très prestigieuse, dans la ville d'Assim, à quelques kilomètres au nord.
- Assim... Pourquoi pas... Merci. »
Il se tourna vers elle, un sourire aux lèvres, puis sursauta en constatant qu'elle était complètement nue, ce que la conversation lui avait fait oublier. Il détourna le regard et s'approcha de la table de chevet.
« Dis-moi... Comment t'appelles-tu ?
-Hein ? Heu... Je me nomme Vilune.
-D'accord... Vilune... »
Il porta la main à sa bourse et en sortit cinq pièces d'or, qu'il déposa une à une sur la table, puis, sans se retourner, dit :
« Garde cet argent... Je te le donne. Je te remercie du fond du coeur. Quant à moi, je vais repartir tout de suite. Profite d'une bonne nuit de sommeil... Et puisses-tu, un jour, quitter cet endroit. »
Il frémit en sentant la main de Vilune prendre la sienne, doucement.
« Non, souffla-t-elle. Reste. S'il te plaît. »
Leurs regards se croisèrent, puis ils s'allongèrent sur le lit, ensemble.
Falxo repartit au petit matin. Le soleil commençait à percer les nuages, et la route du nord n'était pas trop enneigée. Bientôt, le printemps arriverait.
Falxo Feronas | 04/12/06 16:19
[Chapitre III]
Une main sur son épaule. Foutredieu. On l'avait surpris dans son sommeil. Il était fait à présent, la main n'avait qu'à lui passer une dague sur la gorge, il ne pourrait pas se défendre, l'autre avait cent fois le temps de le tuer avant qu'il ne puisse tirer son épée, c'était terminé, il s'était fait avoir comme un débutant...
« Monsieur, vous allez bien ? » lui demanda une voix douce quoiqu'au ton réprobateur.
Etrange. Un assassin qui se souciait de sa santé. Falxo ouvrit les yeux et se dégagea de l'emprise de la main, emprise qui n'en était pas vraiment une puisque les doigts s'étaient simplement posés sur son épaule, sans intention de le serrer ou d'entraver ses mouvements. Il leva les yeux vers le propriétaire de la main, et tomba nez à nez avec le visage ridé comme une pomme et orné d'une grosse paire de lunettes du bibliothécaire. Ah oui... Falxo se souvenait maintenant. Assim, la bibliothèque. Le petit homme au crâne dégarni, d'une gentillesse infinie, qui lui avait permis de consulter les ouvrages qu'il désirait, et était même allé jusqu'à l'aider dans ses recherches.
« Euh, oui, oui, finit-il par répondre en remettant ses dernières idées en place, ça va, je vais bien, merci.
- Vous vous êtes endormi sur ces pages, monsieur, reprit le bibliothécaire. Ce n'est pas bon. Je ne sais pas ce que vous avez fait pour être autant fatigué, mais il vaudrait mieux que vous ne passiez pas la nuit ici. Vous voyez, nous avons de nombreux ouvrages de valeur, et il y a donc une patrouille pour veiller dessus quand tout le monde dort... A votre place, je n'aimerais pas être là quand elle arrivera. »
Falxo hocha la tête. Ce qu'il avait fait pour être fatigué ? Il se retint de lui jeter à la figure qu'il venait de parcourir des kilomètres et des kilomètres dans des plaines gelées, sans provisions, ne se nourrissant que des rares animaux malingres qu'il parvenait à attraper, ou, quand il avait de la chance, de la cuisine fadasse qu'on servait dans les quelques auberges où il avait pu s'arrêter, dépensant jusqu'à la dernière pièce de ses maigres fonds pour ne pas mourir gelé. Mais il ne dit rien. Le bibliothécaire n'avait pas mérité son ire, il n'avait même pas été méchant en lui conseillant de partir. Il se contenta de jeter un dernier coup d'oeil à sa table de travail, couverte des livres pendant la lecture desquels il avait fini par s'endormir.
Tous traitaient du même sujet, ou peu s'en fallait : histoire elfique, artisanat elfique, artefacts elfiques... Il les avait épluchés avec soin à la recherche d'un indice quelconque, mais il n'avait rien trouvé, à part la confirmation de ce que Vilune lui avait dit : l'épée qu'il portait était indéniablement de facture elfique. Mais aucun signe distinctif qui lui permettait de savoir où, quand ou par qui elle avait été forgée. Il avait également cherché, sans grand espoir, un quelconque paragraphe où le nom qu'il pensait être le sien, Falxo Feronas, serait cité. Mais non, rien. Pour ce qu'il en savait, l'épée était simplement une arme tout ce qu'il y avait de plus naturel, avec deux runes gravés sur la garde pour désigner son propriétaire. Pourtant, il savait que c'était faux. Pourquoi le suivait-elle toujours depuis le jour où il s'était éveillé, perdu, sans rien d'autre que cette arme et cette étrange pierre ? Elle semblait ne pas vouloir l'abandonner - jusqu'ici, personne d'autre que lui n'avait posé la main dessus, pas même les rares fois où des voleurs avaient tenté de le dépouiller pendant son sommeil.
Quant à la pierre, c'était encore pire. Pas la moindre mention d'un objet similaire dans les livres concernant la civilisation elfique. Certes, rien ne lui prouvait qu'elle ait un quelconque rapport avec l'artisanat de son peuple, mais dans ce cas-là, il n'avait pas une seule piste la concernant. C'était peine perdue...
« Vous avez raison, soupira-t-il, j'y vais. Merci pour votre aide, monsieur. Au revoir. »
L'elfe se leva et rassembla ses affaires avant de se diriger vers la sortie d'un pas vif. A l'extérieur, le ciel s'était déjà paré des couleurs du crépuscule. Il était tard en effet. Poussant un soupir, Falxo longea le mur de la bibliothèque et s'engagea dans la petite ruelle qui la bordait. Il l'avait repérée en arrivant. Là, il avait de bonnes chances de trouver un coin sombre où se tasser pour glaner quelques heures de sommeil. Voilà déjà quelques jours qu'il n'avait plus de quoi se payer une chambre d'auberge et qu'il dormait où il pouvait. En l'occurrence, donc, ce serait contre le mur de la grande bibliothèque d'Assim. La qualité et la rareté des ouvrages qu'elle contenait en faisaient une référence pour la majorité des érudits. Mais Falxo s'en fichait éperdument : en ce moment, tout ce qu'il désirait, c'était que la ruelle insalubre qui la jouxtait lui offre un asile, même pour une simple nuit... Au diable les tonnes de papier vides de sens qui sommeillaient à quelques mètres de lui. Demain, il faudrait se lever tôt. Il repartait de zéro, une fois de plus...
***
« Lève-toi. »
Falxo ouvrit un oeil. Ah non, pas encore. Le bibliothécaire n'en avait donc pas assez de le réveiller sans arrêt ? Oh, mais... il n'était plus dans la bibliothèque, mais dans la ruelle où il s'était installé. Alors, quoi ? Qui venait le déranger à présent ? Il ouvrit l'autre oeil et cligna des paupières. Debout devant lui, floue derrière les brumes du sommeil et dans l'obscurité nocturne, se tenait une silhouette. C'était elle qui lui parlait, avec une pointe d'impatience dans la voix, d'ailleurs.
« Lève-toi, te dis-je ! Nous avons à parler. »
L'elfe finit par céder à l'injonction et déplia son corps perclus de courbatures causées par la mauvaise position dans laquelle il avait somnolé contre le mur. Il épousseta vaguement ses vêtements, de toute façon de mauvaise qualité et déjà ruinés par les semaines de voyage, en jetant un regard méfiant à l'inconnu.
« Qui êtes-vous ?
- Ce n'est pas le plus important pour l'instant. Ce qui nous intéresse, c'est ce que je suis. »
A ces mots, la silhouette tira, d'une de ses poches probablement, un petit objet, qu'il présenta aux yeux de Falxo. Ce dernier se pencha dessus. L'objet diffusait une douce lueur verte. C'était une pierre. Une petite pierre verte, grossière, et lumineuse. En fait, mise à part cette étrange clarté, on eût dit la pierre que portait Falxo avec lui.
« Où avez-vous trouvé ça ? demanda l'elfe avec agressivité. Si c'est la mienne, rendez-la moi immédiatement !
- Allons, allons. Je suis un allié, inutile de réagir de la sorte. Celle-ci est à moi. Palpe tes poches, tu devrais retrouver la tienne, si toutefois tu ne l'as pas perdue. »
Méfiant, Falxo ne se le fit pas dire deux fois et vérifia. L'autre avait raison. Sa pierre dormait sagement là où il l'avait laissée, dans une petite poche qu'il avait lui-même rajouté à la cape de tissu rêche qu'il utilisait comme un futile rempart contre les assauts du froid.
« Bon, fit-il, feignant l'indifférence, d'accord, vous en avez une identique. Et alors ?
- Et alors ? répondit l'homme, manifestement surpris. Je ne comprends pas... Pourquoi essayer de faire l'innocent ? Je sais bien que tu es à la poursuite de ce que tu as été, et que tu n'as aucune piste. Ne me dis pas que cette pierre ne t'intrigue pas. »
Il avait raison, bien sûr. Aucune des recherches de Falxo n'avait abouti, et voilà cet étrange individu qui débarquait comme une fleur avec de nouvelles informations...
« Dans ce cas-là, expliquez-moi. Que sont ces cailloux ? Et quel rapport avec moi ?
- Ca... Je te le raconterai volontiers, mais il faut que tu me suives. Vois-tu, je ne pense pas que cette ruelle soit le meilleur endroit pour papoter. »
Falxo hésita un instant, puis décida qu'il n'avait rien à perdre, et qu'il pouvait de toute façon bien prendre quelques risques si cet homme était réellement capable de l'aider. Il hocha donc lentement la tête, et l'autre partit en lui faisant signe de le suivre.
Ensemble, ils se faufilèrent parmi les rues d'Assim, Falxo ne lâchant pas le mystérieux individu d'une semelle. La ville était fortifiée, et on y accédait par des grandes portes bardées d'acier, hermétiquement fermées la nuit ; pourtant, l'elfe se rendit rapidement compte que c'était vers les remparts que son guide l'emmenait, comme s'il avait l'intention de sortir de la cité. Il se garda de tout commentaire. Il verrait bien...
En effet, ils atteignirent rapidement les murailles. L'homme grimpa sur le chemin de ronde, toujours suivi docilement par Falxo, qui comprenait de moins en moins. Normalement, les remparts étaient sillonnés la nuit par des patrouilles de guetteurs... D'ailleurs, il lui semblait en apercevoir un, là-bas, nonchalamment appuyé contre le parapet, comme si, peu zélé, il était en train de somnoler. Et c'était justement vers lui que l'homme se dirigeait. Etait-il fou ? Une fois de plus, Falxo préféra lui faire confiance et lui emboîter le pas. Et, à mesure qu'ils se rapprochaient, l'elfe doutait de plus en plus que le garde fût en train de surveiller, ou même de dormir. En tout cas, il ne réagissait pas à leur présence, il ne pouvait donc pas être éveillé. Arrivés à quelques mètres, le doute ne fut plus permis : non seulement le garde n'était pas conscient, mais sa poitrine ne se soulevait pas sous l'action du souffle calme et régulier caractéristique du sommeil. Falxo frissonna en passant à côté du cadavre. Tout ceci devenait franchement inquiétant.
Son guide, quant à lui, s'approcha de l'un des créneaux et désigna silencieusement un grappin qui y était accroché, sans faire le moindre mouvement laissant supposer qu'il allait descendre par là ; le message était donc clair, c'était à Falxo de passer le premier. Il s'exécuta, bientôt imité par l'homme, qui, une fois en bas, dégagea le grappin d'une secousse sèche avant de l'enrouler et de le ranger dans une besace qu'il portait au côté.
« Et maintenant, on y va, » fit-il sur un ton presque jovial.
Et il se mit à courir. Falxo n'eût d'autre choix que de faire de même. Ils coururent ainsi pendant une bonne heure, et l'elfe, affaibli par son long voyage, l'estomac creux parce qu'ils n'avait pas les moyens de se payer de quoi le remplir, commença à ressentir les effets de la fatigue. Une crampe sévère lui vrillait le flanc. Ahanant, il parvint à rassembler son souffle pour demander à son guide, qui, lui, semblait frais comme une rose, s'ils allaient encore courir longtemps. L'autre poussa un grognement réprobateur et lui lança :
« Déjà fatigué ? Ah ! Tu as encore beaucoup à apprendre, ou à réapprendre. Mais ne t'inquiète pas, nous sommes bientôt arrivés. »
Il n'ajouta rien. Falxo fronça les sourcils. Qu'est-ce qu'il voulait dire par là ? Mais ce n'était toujours pas le moment de discuter... Il était bien trop épuisé pour cela. Mieux valait attendre, s'ils étaient « bientôt arrivés ».
Quelques minutes plus tard, en effet, ils s'arrêtèrent. Ils étaient arrivés dans une forêt touffue, devant la porte d'une hutte coincée entre quelques troncs. Sans bruit, l'homme entra, suivi par Falxo. L'intérieur, faiblement éclairé à la lueur de la lune, ce qui suffisait à Falxo pour distinguer la plupart des détails, était plutôt chiche. Une table, une chaise, un lit, une cheminée où rougeoyaient quelques braises... Un simple toit. L'homme s'approcha de la cheminée et raviva le feu mourant. Cela fait, il se tourna vers son hôte.
A la lumière des flammes, ce dernier put enfin détailler son compagnon. Malgré le mystère qui l'avait auréolé jusqu'ici, il était d'apparence somme toute banale : ni grand, ni petit, un visage ovale et régulier et des cheveux noirs et fins qui se raréfiaient au sommet de son crâne et sur son front. Et un regard gris fixé sur Falxo, un peu inquisiteur, vaguement calculateur, qui le mettait mal à l'aise. Le seul détail un peu étrange était son accoutrement : il portait une robe couleur sable, manifestement usée, et un bout de corde noué à la taille. On aurait dit une robe de bure, pourtant, Falxo doutait fort qu'il s'agisse d'un religieux.
« A présent, commença l'homme avec un sourire, il est temps de discuter un peu. D'abord, je vais te donner mon nom. Je m'appelle Helsios.
- Enchanté, marmonna Falxo.
- Et toi ? »
Falxo leva les yeux vers lui, surpris.
« Vous ne connaissez pas mon nom ? Vous aviez l'air d'être venu me chercher, moi en particulier. Et vous ne savez même pas qui je suis ?
- Toi non plus, tu ne sais pas qui tu es, à ce que j'ai compris, répondit l'autre avec un sourire vaguement sarcastique. Mais as-tu au moins un nom ?
- Falxo, répondit l'elfe à contrecoeur. Falxo Feronas.
- Nous avons déjà fait un premier pas, » fit Helsios en souriant encore plus largement.
Il plongea la main dans la besace qui pendait à son côté et en retira la pierre qu'il avait montrée à Falxo plus tôt. A la lumière, l'elfe se rendit compte qu'elle était en fait nettement plus petite que la sienne propre ; cependant, elle diffusait toujours sa douce lueur verte, contrairement à celle qu'il portait avec lui depuis plusieurs mois. Différences intrigantes, assez intrigantes pour qu'il ait suivi Helsios jusqu'ici sans même savoir qui il était... Dans le cas contraire, il n'aurait même pas fait deux pas derrière lui. Et il avait bien l'intention de repartir dès que l'humain lui aurait dit ce qu'il voulait savoir.
« Alors, demanda Helsios, sais-tu ce qu'est un druide ?
- Jamais entendu parler.
- C'est dommage, mais ça ne me surprend pas...
- Allez-vous enfin m'expliquer, oui ou non ? grogna Falxo.
- J'y venais... »
Il s'adossa à un mur et, d'un geste, enjoignit à Falxo de s'installer sur la chaise.
« Un druide, c'est quelqu'un comme moi. Quelqu'un qui a décidé de consacrer sa vie à la nature et à la méditation... Pour simplifier, bien que ce soit en réalité bien plus complexe, on pourrait dire que c'est un prêtre de la nature. »
Tout en parlant, il tripotait la pierre brillante qu'il tenait toujours. Il la leva devant les yeux de Falxo.
« Ca, vois-tu, c'est un signe distinctif des druides. Ceux qui la portent sont désignés comme tels. Ils en ont également besoin pour exercer leurs quelques pouvoirs.
- Et j'en ai une. Ca signifierait donc que je suis un druide ? Mais qui sait ? Peut-être ai-je tué l'un d'entre vous pour lui arracher cette pierre, fit Falxo avec un sourire mauvais.
- C'est une possibilité, répondit Helsios en braquant, sans ciller, son regard sur lui. Mais je n'y crois pas. Quand un druide en pleine forme possède sa pierre, celle-ci palpite de vie, comme celle que je tiens en ce moment... »
Falxo jeta un coup d'oeil à sa propre pierre, si terne que, sous un éclairage moindre, on eût facilement pu la confondre avec un vulgaire caillou.
« La mienne n'a pas l'air très vivante.
- Elle ne l'est pas, en effet. Pourtant, je la ressens quand même. Ne t'es-tu pas demandé comment je t'ai retrouvé ? Je t'ai senti approcher d'Assim, ou plutôt, j'ai senti ta pierre. C'était un sentiment étrange... Pas celui qui nous frappe en présence d'un druide au faîte de sa puissance, non, plutôt une force, une grande force, mais enfouie, cachée sous une carapace d'ignorance et d'oubli. Comme si tu étais un druide, mais que tu avais tout oublié de ta propre identité. Me trompe-je ? »
Falxo ne répondit rien. Les paroles d'Helsios avaient l'accent de la vérité. Ils collaient tellement bien avec sa propre histoire... Avait-il été un druide ? Avant... avant quoi, au juste ? Avant son réveil, avant ce qui l'avait endormi... Helsios ne lui apportait pas la moindre explication à ce sujet. Mais... druide ? Si c'était son identité, et qu'il venait de la retrouver, il n'en serait jamais assez reconnaissant à cet homme.
« Tu te rends compte que je dis vrai, n'est-ce pas ? fit Helsios, le sourire plus large que jamais. Tu es un druide, au fond de toi ; nous sommes pareils. Je peux te proposer un apprentissage - un réapprentissage, devrais-je dire ; tout ce que tu as oublié et perdu, je peux te le rendre. Qu'en dis-tu ? »
Leurs regards se croisèrent. Dans les yeux gris, l'elfe avait vu jusqu'ici un individu inquiétant, très inquiétant même, qui savait beaucoup trop de choses à son sujet, qui avait assassiné un homme simplement pour s'infiltrer dans la ville et venir le chercher sans être dérangé... Mais à présent... Par-dessus tout ça, il y avait son salut, une partie des réponses qu'il cherchait depuis son éveil. Et cela éclipsait largement le reste... Helsios pouvait l'aider.
« Je suis d'accord, murmura-t-il. Apprenez-moi. Je veux redevenir ce que j'ai été... »
Lentement, le druide hocha la tête. Souriant, toujours, comme s'il n'avait jamais douté que Falxo puisse lui résister.
« Va te coucher, murmura-t-il. Prends mon lit, j'irai ailleurs, ne t'inquiète pas. Tu as besoin de repos, je le vois, tu as fait un long voyage. Demain, nous commencerons. »
Falxo Feronas | 04/12/06 16:20
[Chapitre IV]
« Et... l'accoutrement, alors, c'est obligé ? »
Helsios bâilla peu discrètement et jeta un coup d'oeil à Falxo. Il esquissa un sourire.
« Bien sûr, la robe druidique est la tenue réglementaire. Mais tu es très bien comme ça, ne t'inquiète pas.
- Hmm. »
Falxo examina sa nouvelle tenue d'un oeil dubitatif. Il lui fallait reconnaître que la robe en question, courte et serrée semblait parfaitement étudiée pour ne pas gêner ses mouvements. Et, de toute façon, ses vêtements précédents étaient en haillons. Alors, pourquoi pas...
« Bon, je vois que tu es prêt ! lança jovialement Helsios. On va commencer... Dis-moi, as-tu vraiment tout oublié ?
- Tout, je te l'ai déjà dit, soupira Falxo. Jusqu'à la signification du mot « druide ». Oublie le fait que j'ai été druide par le passé ; reprends depuis le début, comme avec n'importe quel novice.
- On va s'ennuyer, répondit Helsios en haussant les épaules. Mais soit ! Puisque c'est ce que tu veux... »
Il se leva et sortit de la chaumière, faisant signe à l'elfe de lui emboîter le pas. Falxo se dit qu'il n'avait fait que ça durant la nuit précédente, le suivre, mais comme, a priori, c'était également ce qu'il allait faire pendant les mois qui suivraient, il ravala son orgueil et sortit à la suite du druide.
***
Le soir. Les étoiles perçant la voûte céleste. Schéma complexe que Falxo admirait entre les frondaisons touffues de la forêt. La journée avait été épuisante, il ne savait pas où était Helsios et il s'en contrefichait. Il était très bien, là, affalé dans l'herbe à contempler le ciel nocturne.
Il mentirait également s'il déclarait qu'il n'était pas sous le choc de ce qu'il venait d'apprendre. Durant ses pérégrinations sur ce monde, il avait parcouru pas mal de plaines, de forêts ou de montagnes, et s'était donc plutôt habitué à la vie sauvage. Il pensait connaître le monde naturel. Mais il était à mille lieues de la réalité...
Être druide, ce n'était pas, comme il l'avait d'abord déduit des premières brèves descriptions qu'Helsios lui avait faites la veille, vivre dans les bois et être ami avec les oiseaux. Non, c'était... différent. Il se remémora l'un des premiers discours que lui avait assénés son mentor le matin même.
« Regarde ça, Falxo, avait-il dit. Vois ce qu'est le pouvoir d'un druide. »
Ce faisant, il avait saisi un bâton par terre et l'avait brandi sous les yeux de l'elfe, qui avait louché dessus, l'air vaguement ahuri. Ca ne ressemblait qu'à un bâton. Une petite branche de bouleau tombée de l'arbre. Rien d'autre. Falxo l'avait fait remarquer à Helsios, qui sans répondre, avait souri et avait enfoncé le bâton dans la terre meuble. Qu'espérait-il ? La branche était morte, rien n'en sortirait.
S'agenouillant, Helsios posa alors une main au sol, juste à côté de la branche. Et, petit à petit, sous le regard incrédule de Falxo, le bois se mit à bourgeonner, d'abord lentement, puis de plus en plus vite, et développa un panache de jeunes feuilles d'un vert éclatant. Le druide se releva et sourit à Falxo, tout en passant une main sur son front pour en nettoyer la sueur qui y avait perlé lors de l'exercice. Il expliqua, sur un ton satisfait, presque jubilatoire, qui fit frissonner son élève :
« Tu vois, tu vois... Cette branche était morte, et grâce à mon pouvoir, je l'ai ressuscitée. Elle va pousser maintenant, comme n'importe quel bouleau. C'est ça, un druide ! Un simple être vivant qui a réussi à dépasser ses limites et à domestiquer la nature, rêve de l'humanité depuis la nuit des temps. Nous sommes en perpétuelle lutte contre elle, et la plupart des gens tentent bêtement de se civiliser, ils construisent des villes, mettent des harnais aux animaux, exploitent la terre, mais ils sont toujours soumis à sa colère. Moi, et toi bientôt, en tant que druides, nous avons réussi à gagner cette lutte. Tu vois, j'ai inversé les lois de la nature en rendant la vie à un végétal mort. Et je peux faire plus... Bien plus, grâce à ça. »
Helsios avait alors ouvert sa main gauche, dans laquelle il tenait serrée, si serrée qu'elle avait imprimé sa marque sur sa paume, la petite pierre luisante qu'il avait déjà montré à Falxo la nuit précédente.
L'elfe revint au présent et à son lit d'herbe sous le toit d'étoiles. Il farfouilla dans l'un des sachets qui composaient la tenue druidique et qui étaient principalement destinés, lui avait dit Helsios, à contenir des échantillons d'herbe, et en tira sa propre pierre. Il la leva et l'examina à la lueur des étoiles. Avec un soupir, il fit les même constatations que d'habitude. La pierre était nettement plus volumineuse que celle que lui avait montré Helsios, et désespérément terne, tandis que celle de son mentor semblait luire doucement de l'intérieur. Il lui avait posé la question, mais Helsios, avec un sourire apaisant, s'était contenté de répondre qu'il saurait le moment venu.
En grognant, Falxo rangea la pierre à sa place. De nouveau, il avait la désagréable impression d'être manipulé. Depuis qu'Helsios était venu le chercher, il ne faisait que marcher dans ses pas et obéir à tout ce que le druide lui disait. Bon, bien sûr, dans le cadre de son apprentissage, c'était normal... Mais tout de même...Son mentor ne répondait que rarement aux questions que Falxo lui posait, et l'elfe avançait à tâtons. Le fait qu'il ait été druide ne lui disait aucunement d'où il venait, et pourquoi chaque jour qui passait lui donnait un peu plus le sentiment que ce monde n'était pas le sien.
Il songea à son épée, qu'il avait laissée dans la hutte d'Helsios. Voilà un autre détail difficilement explicable. Et ça, il pressentait que ce n'était pas en apprenant deux ou trois trucs druidiques qu'il parviendrait à une réponse. Il lui faudrait continuer ses recherches, plus tard... dès qu'il aurait terminé son apprentissage... Mais quand était-ce ? Il n'en avait pas la moindre idée. Il allait poser la question à Helsios dès qu'il le reverrait. Pour l'instant, la forêt, le ciel, les étoiles, ça lui suffisait largement.
***
« Combien de temps ? »
Helsios plissa les yeux en répétant la question de Falxo. Il avait l'air sincèrement étonné.
« Tu veux déjà partir ?
- Non, mais tu comprends bien que je ne resterai pas éternellement ici... J'aurai encore de la route à faire, après. »
Helsios eut un reniflement de mépris.
« On verra bien. Le druidisme, ce n'est pas seulement deux ou trois pouvoirs. C'est un mode de vie... on n'a jamais fini de l'apprendre.
-Ce qui n'est pas une bonne nouvelle.
-Ca dépend pour qui, répliqua Helsios avec un sourire carnassier. Enfin... Déjà, il va te falloir un moment d'entraînement avant d'accepter de ne faire qu'un avec la nature. Ensuite, on verra si tes compétences se réveillent. Et en attendant... »
Il jeta un coup d'oeil par la fenêtre.
« ... Il est l'heure de dormir, non ? »
Il sourit de nouveau à Falxo. Un sourire suffisant, sûr de lui, sûr qu'il tenait l'elfe. Un sourire, en fait, qui termina d'user la patience de ce dernier, qui se jeta sur Helsios et le saisit par le col. Pris au dépourvu, le druide n'offrit aucune résistance.
« Maintenant, pauvre imbécile, tu vas coopérer ! grogna Falxo entre ses dents. Je ne suis pas à ton service, je ne suis pas un quelconque objet que tu aurais ramassé et dont tu te serais attribué la possession... Je suis juste quelqu'un qui a accepté ton apprentissage pour trouver des réponses, et qui n'en trouve aucune pour l'instant ! Alors, donne-les moi tout de suite, ou je récupère mes affaires et je pars loin de toutes tes inepties. »
Helsios, apeuré, avait pâli lors de l'attaque brutale de son élève. A présent, il se calmait peu à peu et retrouvait sa contenance. Il lança un regard méprisant à Falxo.
« Des paroles, des paroles. Qu'est-ce que tu crois pouvoir faire sans moi ? Vas-y, pars. Je ne te retiendrai pas par force. Toi, en revanche, tu sais que tu ne partiras pas, parce qu'une fois dehors, tu redeviendras la loque que étais avant que je ne te ramasse dans ta ruelle à côté des déchets. Rejoins-les, ces déchets, rejoins-le si tu en as le courage... Mais tu ne l'as pas, hein ? »
Et de nouveau ce sourire. Falxo eut envie de l'étrangler sur place. Sa colère grondait et enflait, d'abord à cause de l'arrogance infâme du druide, mais aussi et surtout à cause de la justesse de ses paroles... Sans Helsios, il se retrouverait à nouveau perdu, sans piste, sans rien. Il le lâcha.
« Bien, tu vois que tu sais où est ton intérêt, fit Helsios d'une voix doucereuse. Tu as encore beaucoup à apprendre, et je suis le seul à pouvoir te les apprendre, n'est-ce pas ? »
Il rit doucement et tira lentement sa pierre verte de sa poche.
« D'autre part, reprit-il, tu serais bien bête de penser pouvoir t'opposer à moi. »
Ce disant, il referma brutalement le poing autour de la pierre. L'elfe se figea. Une désagréable sensation s'insinua en lui. Il avait l'impression que... que la terre grondait et le menaçait... Rapidement, il se rendit compte que ce n'était pas qu'une impression. Le sol avait bel et bien commencer à trembler sous ses pieds. Ce n'était qu'une légère vibration, mais bien suffisante pour que les menus objets posés sur les meubles se déplacent de quelques millimètres, et surtout pour glacer le coeur de Falxo.
L'ébauche de séisme ne dura pas plus de six ou sept secondes. A son terme, Helsios poussa un profond soupir, comme si une immense tension pesant sur lui venait soudainement de se relâcher. Il avança lentement jusqu'à la table et s'appuya dessus, avant de fixer de nouveau Falxo, un sourire mauvais aux lèvres. Son visage était incroyablement pâle et son front était baigné de sueur.
« Vois, fit-il dans un souffle. Ce n'est que pour t'impressionner, bien sûr, mais songe à ce que je pourrais faire si je voulais me battre contre toi. Je te le garantis, ce ne serait pas une bonne nouvelle pour toi. »
Falxo n'en doutait pas un instant. Il serra les poings et baissa les yeux. Le sourire d'Helsios s'élargit.
« Bien, mon cher, bien. A présent, je le répète... Il est l'heure de dormir, non ?
- ... Oui. Tu as raison.
- Alors au lit. Une rude journée nous attend demain. Rude, comme toutes celles qui suivront, d'ailleurs.
- Bien. »
Sans rien ajouter, Falxo se détourna et rejoignit la couche de fortune qu'Helsios lui avait fournie, puis ferma les yeux et laissa ses pensées défiler. Le druidisme... Un art complexe, épuisant et mystérieux... Puissant surtout, semblait-il... Helsios le maîtrisait-il vraiment autant qu'il voulait bien le faire croire ? Etrangement, il avait l'impression que quelque chose lui échappait encore, qu'il y avait plus que ce que son mentor disait, plus même, peut-être, que ce qu'il savait, tout druide qu'il était... Une autre question sur laquelle il devrait se pencher.
Mais... Quand il serait bien reposé.
Helsios avait raison sur un point : un long apprentissage l'attendait... il faudrait prendre des forces.
Falxo Feronas | 04/12/06 16:20
[Chapitre V]
Debout devant Helsios, les mains croisées derrière le dos dans une attitude sage et soumise, Falxo attendait calmement la réponse de son mentor.
Celui-ci, tourné vers la fenêtre de la cabane, semblait réfléchir soigneusement à la question posée. A moins qu'il ne l'ait jugée tellement saugrenue qu'elle ne valait pas la peine qu'il s'y attarde, et qu'il se soit complètement désintéressé de l'elfe. Avec lui, on ne savait jamais.
Mais il finit par se retourner vers Falxo, le regard dur.
« Et qu'est-ce qui te fait croire que tu n'as plus besoin de moi ? »
Ils s'affrontèrent du regard un instant. Avant de répondre, Falxo passa en revue ces dernières années. Pendant tout le temps qu'il avait passé sous la tutelle d'Helsios, et passée la première période où il avait failli se révolter contre son autorité, il avait décidé d'obéir sans discuter. Son maître lui imposait une hiérarchie stricte à laquelle il obéissait en partant d'un principe simple : Helsios savait, lui non. Helsios pouvait lui inculquer tout ce dont il avait besoin pour devenir, ou redevenir, un vrai druide.
Alors il l'avait écouté. Et il ne pouvait pas prétendre n'en avoir rien retiré. Grâce à son mentor, il savait à présent plier la nature à sa volonté, en devenir le maître, utiliser sa force. Mais il avait beau avoir appris énormément, depuis un certain temps, il avait le sentiment de ne plus avancer... Pire, de passer à côté de quelque chose de plus important. Il y avait longuement réfléchi, puis était arrivé à la conclusion que s'il avait encore quelque chose à apprendre, ce n'était pas aux côtés d'Helsios. D'une voix calme, assurée, il fit valoir cet argument.
Ils s'affrontèrent longuement du regard, puis Helsios répondit :
« Je vois. Tu penses donc qu'être druide ne représente pas grand chose, que ce n'est que du charlatanisme.
- Pas du tout. Plus j'en apprends avec toi, plus j'ai l'impression de me rappeler de ce que j'étais... avant. Je sais maintenant que j'étais réellement druide. Ce que je pense, par contre, c'est que ce que tu m'as appris n'est qu'un début. J'ai l'impression qu'il me reste des choses bien plus importantes à assimiler. C'est pour ça... que je veux partir. »
Helsios s'approcha de lui, le fixant du regard. Il approcha son visage de celui de Falxo. Puis il sourit et, du bout des doigts, caressa la joue de l'elfe, qui frissonna à ce contact.
« Falxo, mon cher Falxo, susurra-t-il. D'accord. Tu partiras. Mais avant, laisse-moi juste te montrer ce que c'est vraiment que d'être druide. Ce que c'est vraiment que de travailler à la gloire de la nature pour mieux qu'elle nous obéisse. Après, tu pourras partir.
-D'accord, répondit Falxo après un temps d'hésitation. D'accord, si c'est nécessaire. »
Helsios fit volte-face et sortit de la hutte en faisant signe à l'elfe de le suivre.
Alors qu'il le regardait partir, une conviction soudaine frappa Falxo. Il sut, avec une certitude absolue, qu'Helsios ne pouvait réellement comprendre ce qu'il avait essayé de lui dire, parce qu'il était certain d'avoir entièrement maîtrisé le druidisme depuis des lustres. Il sut aussi qu'Helsios se rendait parfaitement compte de son infériorité. Et il sut, surtout, que quoi que son mentor lui montre, cela n'avait aucune chance de le détourner de son but.
Ils marchèrent longtemps, plusieurs heures durant. Leurs pas leur firent quitter le bois, traverser des zones cultivées, contourner des villages, et pénétrer dans une autre forêt. Falxo commençait à s'interroger sérieusement sur leur destination, quand il s'arrêta subitement, attaqué apr un sentiment de malaise soudain.
« Qu'y a-t-il ? » s'enquit obligeamment Helsios.
L'impression désagréable qu'il savait parfaitement, en amenant Falxo ici, ce qui arriverait à son novice s'insinua dans l'esprit de Falxo.
« Je... il y a des vies là-bas, des vies qui s'affrontent...
- Je sais. Je le sens aussi, fit Helsios entre ses dents. Tu vois, là où tu as accompli ton apprentissage, tout était calme. Pas d'être intelligents, une nature tranquille. Ici, en revanche... Enfin, suis-moi, je vais te montrer. »
Ils continuèrent jusqu'à une clairière, et Falxo vit de ses propres yeux ce qui le mettait mal à l'aise.
Les arbres tombaient les uns après les autres sous les coups de hache d'une demi-douzaine de bûcherons. Leurs troncs débités s'empilaient dans un coin de la clairière. A chaque fois que l'un des hommes abattait son outil, Falxo sentait son coeur l'élancer.
« Tu vois ? grogna Helsios. Ils détruisent la forêt. Ils font des réserves de bois pour se chauffer l'hiver ! Quand les hommes seront-ils capables de se contenter de ce que la nature leur offre ? »
Tandis qu'il regardait les bûcherons accomplir leur ouvrage, Falxo se rendit compte qu'il partageait l'avis d'Helsios, ainsi que sa colère. Il avait appris qu'un druide devait plier la nature à sa volonté pour en retirer son pouvoir, mais cela n'empêchait pas le respect, un respect sans lequel elle ne consentirait pas à se laisser dompter. Alors que ces hommes... Pour avoir un peu plus chaud lors d'un hiver qui n'était même pas encore arrivé, ils n'hésiteraient pas à raser la forêt.
« Suis-moi, » fit sèchement Helsios.
Et, sortant des fourrés où ils s'étaient dissimulés jusqu'ici, il se campa devant les bûcherons. Ces derniers, surpris par cette apparition, se figèrent ; leur étonnement ne fit qu'augmenter quand Falxo, peu sûr de lui, vint se placer derrière Helsios. Passé cet instant de flottement, quelques-uns des bûcherons esquissèrent un sourire poli et firent mine de retourner à leur ouvrage. Malheureusement, Helsios ne l'entendait pas de cette oreille. Il fit un pas en avant.
« Vous vous êtes laissés emporter par votre folie. Vous êtes morts. »
Bien qu'il se trouvât derrière lui, Falxo eut l'horrible impression - non, plutôt une certitude - qu'il souriait largement en prononçant ces mots, cette sentence définitive. L'incompréhension se dessina sur le visage des bûcherons. Ils n'avaient manifestement pas saisi que cette simple phrase condamnait leur existence et les maudissait pour l'éternité. C'étaient d'honnêtes gens ; jamais une mauvaise pensée n'avait effleuré leur esprit. Et, en réalité, ils ne voulaient que se chauffer... L'espace d'un instant, Falxo sentit ses convictions vaciller.
Mais elles n'eurent pas le temps de s'effondrer ; soudain, le sol se mit à trembler sous leurs pieds. Les hommes poussèrent des cris de surprise et de terreur. Falxo, lui, sursauta seulement. Il savait ce qui se passait, pour y avoir déjà assisté quelques années auparavant : Helsios faisait de l'esbroufe. Tout comme, se souvint Falxo, le jour où il avait tenté de - et réussi à - l'impressionner par ce tour, qui, s'il était gourmand en énergie, faisait bien plus de peur que de mal. Aujourd'hui, l'elfe savait qu'Helsios n'était aucunement capable d'ouvrir le sol sous les pieds des bûcherons ou d'ordonner à la forêt de les étrangler ; mais quelle différence pour leurs esprits simple ? Eux se voyaient face à un dangereux sorcier à la terrible puissance. Et ils comprenaient enfin qu'ils seraient morts dans quelques instants.
Le séisme miniature cessa brutalement. Il avait été en réalité très court, probablement moins de cinq secondes, et ne laisserait pas Helsios sur le carreau, vidé de son énergie.
Loin de là, en fait. Falxo le comprit en observant la suite des événements, le souffle coupé. Helsios, la secousse à peine terminée, s'était saisi de la serpe acérée qu'il portait à la ceinture, arme druidique par excellence dont Falxo était également pourvu. Et il bondit vers deux des bûcherons. Avec une impressionnante rapidité de réflexes, il se glissa entre eux et sembla asséner un coup. Lorsqu'il se retourna, la serpe dressée vers ses adversaires dans une garde apparemment futile, la lame de celle-ci luisait de sang ; et, sur la gorge d'un des bûcherons, une ligne rouge s'était dessinée. Ligne rouge à laquelle l'homme, lâchant sa hache et poussant un cri de terreur gargouillant, porta les mains dans une tentative futile d'enrayer les bouillons sanglants qui s'en déversaient. Puis il s'effondra.
Falxo n'eut guère le temps de profiter de sa contemplation morbide. Un grognement enragé, sur sa droite, lui rappela qu'il était dans le camp d'Helsios, et par conséquent en danger de recevoir une hache de bûcheron à un endroit où la blessure mettrait un terme prématuré à son existence. Il tourna la tête : tandis que les bûcherons s'étaient jetés sur son mentor, l'un d'entre eux le chargeait, lui, arme brandie, prêt à fendre du crâne d'elfe. Danger immédiat.
Sans qu'il y réfléchisse, ses vieux réflexes lui revinrent. Ses réflexes d'un temps où, seul, errant sans but, il ne pouvait compter que sur lui-même ; un temps qui datait de moins d'une décennie, durée dérisoire pour un elfe, mais qui lui semblait aujourd'hui appartenir à un autre monde.
Il se projeta vers l'assaillant, épaule en avant. Se glissant sans mal sous la lame émoussée, il le percuta en pleine poitrine. L'homme, le souffle coupé, recula d'un pas ; mais il ne laissa pas à Falxo le temps de reprendre l'initiative. Il envoya son poing massif vers le visage de l'elfe, qui fut jeté sur l'herbe, touché en plein front. Le bûcheron poussa un grognement et brandit sa hache, prêt à l'achever. Falxo eut le réflexe de chercher à dégainer son épée. Sauf qu'il ne la trouva pas ; elle pendait habituellement à son côté gauche, et il était quasiment certain que c'était également le cas ce jour-là.
Toujours était-il qu'il ne perdit pas de temps à se demander où elle pouvait se trouver, car le bûcheron, lui, n'avait pas l'intention d'attendre qu'il soit prêt pour l'étriper. Falxo roula sur le côté une fraction de seconde avant que la hache ne vienne s'enfoncer dans l'herbe à l'endroit précis où sa tête s'était trouvée un instant plus tôt.
Il se releva d'un bond envoya instinctivement un grand coup de pied dans la temps de l'homme, qui poussa un gémissement et roula par terre, lâchant son arme. Toujours aussi instinctivement, Falxo la saisit, la brandit, l'abattit. Le craquement produit lorsqu'elle visita la colonne vertébrale de l'homme était assez immonde, ainsi que les spasmes furieux qui agitèrent le corps un bref instant avant qu'il s'immobilise enfin.
Falxo ne perdit pas de temps à les admirer. Il leva les yeux vers Helsios, qui était aux prises avec les bûcherons survivants après en avoir étalé un autre, tailladé de multiples coups de serpe. L'elfe tira sur la hache toujours sagement plantée dans le cadavre, mais elle refusa de se dégager de ses chairs. En jurant, il saisit sa propre serpe et se tourna vers le combat.
Lequel était assez incertain quant à son issue. Si la rapidité d'Helsios lui avait dans un premier temps donné l'avantage face aux lents réflexes des bûcherons novices dans l'art du combat, son manque d'allonge et son infériorité numérique risquaient de le lui faire perdre rapidement. Falxo n'hésita pas ; il brandit son arme, et la lame incurvée s'enfonça avec une facilité déconcertante dans la nuque de l'un des hommes. Helsios lui lança un bref regard, dans lequel il lut une approbation satisfaite, avant de se retourner vers le dernier bûcheron ; et, passant aisément sous sa garde maladroite, il décrivit un gracieux arc de cercle du bras qui tenait la serpe. L'homme vacilla et s'effondra. Le silence retomba sur les deux druides et les cinq cadavres.
Il se passa un long moment, que Falxo, cherchant à se remettre du choc à présent que l'adrénaline était retombée, ne parvint pas à évaluer. Le calme était total tant dans la forêt que dans les perceptions de Falxo. Le malaise qu'il avait ressenti avant le combat, et qui s'était intensifié durant celui-ci, avait totalement disparu.
Il chercha le regard d'Helsios. Le druide le fixait, rayonnant, le sourire plus large que jamais. Falxo baissa les yeux sur la serpe que tenait son mentor. Du sang dégouttait de plus en plus lentement de la lame pour aller sécher sur l'herbe. Il eut un bref haut-le-coeur en se souvenant comment ce tranchant, qu'il avait toujours considéré comme un moyen pacifique de récolter des herbes pour pratiquer les arts druidiques, avait donné la mort, impitoyable. Et il regarda sa propre serpe, reflet de celle que tenait Helsios, tout aussi ensanglantée. Comme les environs, d'ailleurs ; les souches étaient mouchetées de rouge, l'herbe verte s'assombrissait à mesure que les cadavres se vidaient doucement de leur fluide, et les vêtements des deux druides en étaient maculés. Falxo lâcha la serpe.
« Quelle émotion, hein ? lança Helsios d'une voix douce, presque aimante. Aujourd'hui, nous avons permis à la Terre-Mère de se sentir un peu mieux en La débarrassant d'une des trop nombreuses taches qui La souillent. Ne La sens-tu pas nous remercier ? »
Non, il ne la sentait pas les remercier. Il ne sentait plus rien. Il voyait rouge.
« Et ce n'est pas terminé, continua Helsios. Voilà comment les druides travaillent à Sa grande gloire, à la gloire de Gaia ! Et comment toi et moi, ensemble, continueront à purifier Sa surface tant que nos vies dérisoires continueront à se dérouler.
- Non... »
Le sourire disparut du visage d'Helsios.
« Non ? répéta-t-il, l'air mauvais.
- Non. Tu as fait une horrible erreur, Helsios. Tu pensais que je serais comme toi, mais c'est faux, totalement faux. Je ne ressens pas les mêmes choses que toi. Sers la nature comme tu le désires, mais je ne ferai pas de même... Je pars, c'est décidé.
- Tu vas faire une bêtise, grinça Helsios. Tu as un potentiel, un potentiel énorme, je peux t'aider à le développer... ta puissance...
- Est largement supérieure à la tienne, le coupa Falxo. Je m'en suis rendu compte. Tu ne pourras pas m'arrêter. »
Et il le fixa dans les yeux. Mais il ne s'était pas attendu à sa réaction brutale : Helsios poussa un cri de rage et se jeta sur lui.
Ils s'empoignèrent et roulèrent dans l'herbe, luttant comme des bêtes pour leur survie. A cette distance, plus question de se servir d'armes, qu'ils avaient d'ailleurs abandonnées : dents, ongles, tête, tout était bon pour attaquer l'autre, lui infliger de la souffrance, lui faire lâcher prise. Ignorants des cadavres qui les entouraient, grognant, se cognant contre les souches, ils luttèrent presque jusqu'à l'épuisement.
Au bout d'un moment, le front d'Helsios percuta brutalement le nez de Falxo, qui le lâcha et tituba en arrière, des étoiles dansant devant ses yeux. Helsios, haletant, enragé, ramassa l'une des serpes et se jeta de nouveau sur l'elfe, qui réagit trop tard pour esquiver la lame : elle vint se planter dans son bras, apportant avec elle son lot de douleur déchirante. Falxo hurla et se jeta en arrière. La lame ressortit, mais non sans déchirer cruellement les muscles. Helsios riait maintenant, il riait aux éclats en admirant les flots vermeils qui s'échappaient inexorablement du bras de Falxo.
Il cessa de rire lorsque le poing de l'elfe s'abattit sur son visage avec une force décuplée par la douleur et la rage. Il tituba en arrière, mais n'eut pas le temps de se reprendre. Falxo le saisit à la gorge de son bras valide et se jeta à terre avec lui. Les souches étaient nombreuses dans la clairière ; il n'avait que l'embarras du choix. Il en sélectionna une dont les bords semblaient particulièrement aigus et abattit dessus, de toutes ses forces, le crâne d'Helsios. Puis une deuxième fois, et encore une autre, chaque fois plus violemment que la précédente. Finalement, un craquement sinistre retentit. Falxo se calma petit à petit, soufflant comme un boeuf, et examina le visage d'Helsios. Le druide était devenu tout flasque sous sa poigne ; ses yeux étaient vides, semblant fixer le ciel à travers le feuillage.
L'elfe avait l'impression que ses forces le quittaient maintenant au même rythme que le sang s'écoulant de son bras. Il lâcha le cou d'Helsios, sur lequel ses doigts avaient imprimé de profondes marques violacées, et se rejeta en arrière, les yeux fermés. Son corps semblait commencer à s'engourdir. Il avait perdu beaucoup de sang à cause de cette simple blessure, mais il s'en sortirait certainement... Sauf s'il restait trop longtemps ici à se vider sur l'herbe. Et la manière dont la serpe lui avait déchiqueté le bras ne présageait rien de bon quant à sa capacité de rétablissement.
Une impulsion le prit alors. Frénétiquement, ses doigts commencèrent à tâter sa ceinture, à la recherche de son salut. Il finit par le trouver. La pierre verte, elle, était toujours là. Elle diffusait une lueur étrange, comme une flamme vacillante. Il n'avait pas le courage de se poser de question sur ce phénomène, ni sur l'intuition qui lui avait soufflé de se saisir de sa pierre ; il se contenta de la serrer entre ses doigts ensanglantés, fort, comme si sa vie en dépendait. Et il se sentit mieux, peu à peu. La douleur dans son bras s'atténuait.
Avec un effort qui lui sembla surhumain, il se releva. Sa vue était trouble. Ce n'était pas plus mal. Cela ne lui disait rien de voir plus nettement la demi-douzaine de cadavres gisant dans la clairière. Il tourna le dos au carnage et fit un pas, puis un autre. La pierre toujours serrée dans son poing, il s'éloigna. Il ne savait pas où il allait. Mais il préférait ne pas rester là d'où il venait.
