Forum - La nouvelle voix, partie 7

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Sanaga | 10/12/08 22:06

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Les Oublis parcouraient en silence le manoir désormais sourd aux bruits de la marche rythmée de la canne du comte Dat Narumyr. Bien que leur tâche ne désemplissait pas, certains s'arrêtaient parfois pour contempler le silence et la mort du comte. Un des Oublis franchit la Grand Porte, marchant jusqu'aux marches bordant l'entrée du manoir.
La remplaçante du comte était là, assise, une missive tachée de sang entre les mains. Sa voix s'éleva à l'approche de l'entité sans visage.
-Le garde Miséricorde n'est plus. C'est définitif.
L'Oubli hocha la tête, il savait. Voilà plusieurs lunes qu'ils n'avaient plus de nouvelles du nain, depuis qu'un sombre Duc était passé sur son chemin. Sa mission tendant à retrouver et libérer Lancwen avait échoué. Tout n'avait pas été vain, cependant. Dans un dernier rapport, Miséricorde avait clairement montré la localisation de la vampire sur Serviettemouilledhil. Repliant le parchemin, la garde héritière se releva :
-Le captif est-il prêt ?
-Fin prêt, Dame Sanaga. Je crois qu'il est temps.
L'Oubli s'inclina, l'invitant à le précéder à l'intérieur.

Sanaga | 10/12/08 22:06

-CERBEEEEEEEEEEEEEERRE !!! CERBEEEEEEEEEEEEERRE !!!
Les cris proférés assassinèrent le silence du manoir, tandis que deux Oublis conduisaient fermement le captif de pièce en pièce. Voilà plusieurs jours qu'ils l'avaient laissé à jeun. Pourtant d'une carrure qu'on devinait avoir été solidement campée, le manque de forces de l'humain permettait aux hommes sans visage de le conduire à leur guise à travers un défilé de grands couloirs plus ou moins tamisés. Le prisonnier se débattait faiblement, sans faiblir ses cris rageurs :
-OU T'ES, FUMIER? MONTRE TOI ! Argh...
D'un geste sec, un Oubi le fit asseoir sur une chaise de rotin.
-Varik Kiorsev.
Se remettant du vertige que lui prodiguait la malnutrition, l'homme releva la tête vers celle qui venait de prononcer son nom. Il se retrouvait assis à une grande table, face à une femme qui lui étant totalement inconnue, tandis que quelques Oublis s'affairaient lentement dans la pièce. Varik tenta de comprendre la situation :
-Vous êtes qui, bordel ?
-Varik Kiorsev, continua la femme assise devant lui, Vitrier de votre profession. Pas de famille, pas d'amis. Vous avez été soupçonné, à raison, d'avoir séquestré et violenté les filles jumelles d'un tenancier de votre cité. Suite à quoi vous avez écopé d'un contrat sur votre tête. D'où votre présence ici.
L'humain serra les dents, sous la barbe d'une semaine qui lui mangeait les joues. Il ne manifesta toutefois pas l'attention qu'il aurait due aux paroles de la femme. Ses pensées furibondes filaient droit que vers une seule et récurrente idée. Il grogna :
-Où il est, l'assassin, l'tueur à gages ? Que j'lui fasse la peau...
Son interlocutrice le fixa en silence un moment, avant de répondre d'une voix à peine audible.
-Le comte est...ailleurs. Il n'a pas pu terminer sa mission. Pour vous, je serai simplement la troisième garde. Bienvenue au manoir des Oublis. J'espère que votre séjour aux cachots provisoires fut agréable.
Varik grimaça. La faim le tenaillait et son ventre charnu n'avait de cesse de lui rappeler le vide qui l'habitait.
-Et vous allez faire quoi, m'achevez ? Me laisser crever dans un trou ?
-Oui et non, tout dépend de vous. Je voudrais vous relâcher, en échange d'un service. Une simple requête qui vous laissera, peut-être, la vie sauve.
-Et vous pensez que je j'vous rendrais service, comme un gentil maître d'hôtel ?
Le captif affamé crut reconnaître l'odeur d'un civet particulièrement ragoûtant. Un Oubli s'était approché de lui, portant un plateau couvert d'une cloche d'argent. Un instinct primitif refit surface chez le vitrier, qui s'immobilisa devant l'assiette creuse que lui révélait l'Oubli. L'entité encapuchonnée déposa devant l'homme un beau morceau de boeuf épicé que baignait une épaisse sauce, et où trempaient quelques végétaux émincés. La femme devant lui continuait de lui parler, captant à peine son attention.
-Je vous laisse le choix, bien entendu. Vous m'obligeriez en acceptant...
Mais Varik ne l'entendait déjà plus, sourd à tout autre chose que l'appel de l'affamé. La salive remontée jusqu'aux commissures de ses lèvres lui implorait de soulager cette faim lancinante. Les secondes décélérèrent tandis que ses doigts plongèrent dans la substance graisseuse, portant à sa bouche le festin tant attendu. Dès lors, plus rien ne toucha ses sens, que la sensation de la carnation broyée sous les mâchoires avides. Enfin, il se satisfaisait, comme une bête en apnée ayant recherché l'air si longtemps ; le soulagement était palpable.

La femme devant lui se racla la gorge :
-Etait-ce bon ?
Varik essuya d'un revers de la main son menton gras.
-Et si je disais non ? Après tout, j'pourrais vous rendre vot' petit service et en profiter pour me tirer.
La garde éclata de rire.
-Est-ce si dur de dire « oui, d'accord » ?
-J'vois mal ce qui pourrait me donner envie d'aider le comte à régler ses petites affaires. Il m'a laissé crever de faim dans mon trou pendant près d'une semaine, il a un contrat sur ma tête. Et j'devrais arrondir ses fins de lunes en lui cirant les pompes ?
L'homme s'esclaffa d'un rire gras et rauque. Mais le regard de la garde s'assombrit étrangement.
-Le comte n'a pas besoin d'arrondir quoi que ce soit. Il met au carré si besoin est. Et c'est moi, et moi seule qui ai demandé à ce que vous restiez à jeun.
-Ah, vous pensiez vous attirer mon amitié en faisant ça ?
-Tout à fait, répond la femme en se fendant d'un large sourire. Que vous choisissiez de vous enfuir, et vous auriez tôt fait de revenir. Je pourrais vous garder ici et vous laisser mourir, tout comme je pourrais vous relâcher... pour que vous mourriez aussi. En réalité, maître artisan Varik, votre choix est déjà fait.
Pointant du doigt son auge tout juste évidée, elle poursuit :
-Il faut six heures, au poison que vous venez d'ingurgiter, pour faire faiblir votre coeur, jusqu'à son extinction. Six heures maximum pour vous donner un contrepoison qui retardera l'arrêt cardiaque. Je vous laisse le loisir de vous imaginer la douleur et le temps que cela prendra. Vous aurez largement le temps de réfléchir à tous les péchés que vous avez commis.
Varik pâlit à ces mots. Déjà, il se pencha sur le côté, aussitôt redressé par l'Oubli alors que la garde continua :
-Inutile d'essayer de régurgiter, maître vitrier. Voilà dix longues minutes que la digitale a eu le temps de faire connaissance avec votre sang.
-Vous m'avez forcé ...
-Vous n'avez pas été contraint de manger ce plat, trancha la femme d'un air faussement vexé. Personne ne vous l'a demandé. Ca vous a paru tout simplement naturel, n'est-ce pas ?

Le vitrier passa une main sur son visage pâle. Après tout, rien ne lui prouvait qu'elle puisse dire vrai. Une goûte de sueur froide coula le long de sa tempe. Merde. De faibles palpitations lui ébrouaient la poitrine. Et si c'était vrai ? Si ça n'était qu'une question de temps ? À nouveau, l'irréductible instinct de survie le poussait en avant. Tout, il ferait tout pour se donner le temps de vivre, de se sortir de ce pétrin. La mâchoire crispée, l'homme observa cette garde qui lui souriait insidieusement, il semblait être devenu, en l'espace de quelques minutes, sont meilleur ami, et son meilleur outil. Il parvint à échapper ces quelques mots :
-Qu'est ce que Varik l'vitrier peut faire pour l'compte de la Garde ?

Sanaga | 10/12/08 22:06

Sur serviettemouilledhil, trois demi journées plus tard, Varik, affairé sur une vitre brisée de « La Gourde Sans Fond », observait les alentours d'un oeil nerveux. Des vampires matriarcales, ça devait pourtant pas courir les rues. Une vive douleur lui étreignit la poitrine. Serrant son poing contre son poitrail, comme si ce simple geste allait calmer le rythme déréglé de son coeur, il s'évertua à chasser les mômes qui traînaient tout autour de son atelier ambulant. Les sales gosses avaient bien fait leur travail. Quelques piécettes d'argent les avaient facilement convaincus de venir à bout de la vitre de l'auberge, à l'aide de quelques pierres et de bonnes jambes prêtes à galoper une fois le méfait accompli.

Badigeonnant de mortier le linteau de la fenêtre, Varik laissait traîner ses yeux sur les gosses qui l'épiaient... Une balle roula sur les pavés et vint heurter le seau de l'artisan. Ne pouvant réprimer un demi sourire, Varik se lécha un pouce pour remettre en place une mèche grasse et rebelle, avant de se pencher sur l'enfant qui venait récupérer sa vieille balle.
-Hé ! Gamin... Veux-tu que Varik le Vitrier t'apprenne l'art de l'artisanat ? Hein ?
Un raclement de gorge le fit se redresser face au tavernier de l'autre côté de l'ouverture, qui le toisait froidement :
- Dites donc mon gars, il ne faudrait pas que la réparation traîne. Je ne voudrais pas que notre cheminée chauffe l'extérieur ; les clients pourraient aller voir ailleurs, et vous aussi.
De mauvaise grâce, Varik se remit à l'ouvrage. Le tenancier laissa traîner sur lui un regard inquisiteur avant de retourner à ses bouteilles. Le gamin avait eu le temps de filer dans une ruelle. Plus qu'à attendre la vampire. Plus qu'à attendre la fiole salvatrice qui lui accorderait le salut, pour six heures supplémentaires. Six heures de sursis, six. Ce chiffre hantait le vieil homme à chaque instant. Attendre.

L'attente s'acheva avant qu'il ne pose le dernier carreau. Le soir commençait à tomber, et alors que l'artisan achevait la coupe d'une vitre, il la vit surgir d'une ruelle. Le malaise survint tout aussi instantanément. Bien que la lenteur de ses pas sur les pavés témoignait d'une fatigue monumentale, une aura impérieuse émanait de la matriarche. Varik serra les rebords du verre à s'en couper les paumes. Il devait le faire, vite. S'apprêtant à entrer dans l'auberge, l'être vampirique passa tout près. Dans un mouvement aussi maladroit que calculé, le vitrier se retourna brusquement. Il eut à peine le temps d'entendre un grognement qu'il relâcha son ouvrage. Ses membres tremblèrent tandis qu'il ramassa les bouts de verre épars, avant d'oser la regarder. Le verre tranchant avait légèrement entaillé l'avant bras de la matriarche. Il tenta d'articuler en s'humectant les lèvres.
-Je... J'vous prie d'accepter mes excuses...
Lui tendant brièvement un papier froissé, Varik le lui introduisit dans la main avant de détaller sans demander son reste, laissant l'atelier en vrac.

Sanaga | 10/12/08 22:07

-Tu crois, ou tu en es sûr ?
Le souffle court, Varik se tenait plié en deux entre deux caisses de cargaisons. L'embarcation qui les avait menés sur Serviettemouilledhil tanguait lentement derrière la digue. Le silence à bord et le crépuscule donnaient à cet endroit des allures opalescentes, fantomatiques. Au loin, on entendait les fortes voix des nantis clamer dans la ville en ce début de soirée et de débauche.
-Oui, j'en suis sûr, elle m'a laissé lui mettre le mot dans la main...
Bon dieu, sa poitrine battait à une cadence insupportable, à croire que son coeur essayait de s'arracher de là quitte à lui accoucher par la bouche ; il le sentait, ça allait lui jouer un mauvais coup.
-Bon, vous l'avez, ce contrepoids...
-Personne ne vous a vus ?
-Non, non ! Bordel, j'pense pas, j'ai dû la bousculer un peu pour pas qu'elle passe sans m'voir. J'l'ai prêtre un peu éraflée, j'sais pas comment ils sont faits, ces vampires, moi.
La troisième garde se pencha vers le morceau de verre que lui tendait l'artisan. Un épais liquide laiteux le tachait encore. Ce ne pouvait pourtant pas être du sang, mais... La femme garda pour elle l'objet souillé. Peut-être cet échantillon de sang suspect intéresserait-il Gaerdem. Passant une main sous son ample manteau, la garde fixa l'artisan à demi agonisant sur sa caisse.
-Tu sais ce qu'il te reste à faire, Varik Kiorsev.
L'homme serra les dents, tendant la main vers la fiole qui renfermait la décoction de digitale, promesse d'autres heures à vivre.

Sanaga | 10/12/08 22:07

Le chahut battait son plein sur les pavés de la cité ; les ivrognes battaient le pavé et la lune battait en retraite sous les nuages trop nombreux. Varik l'artisan se tenait droit comme un piquet, près du centre de la Grand Place. Il serrait les poings, réprimant de légers tremblements. Non pas qu'il ait froid, le robuste, mais il ne faisait pas bon rester attendre ici. Chassant ses idées noires, un gosse passa devant lui, mendiant quelques pièces. Varik renifla bruyamment sur son passage, et le mioche tourna sa tête ébouriffée vers lui. Un petit minot comme il les aimait, tout en chaire fraîche et indomptée. Déjà un sourire malsain dévoilait une rangée de dents bancales alors que l'artisan s'apprêtait à héler l'orphelin. Ce dernier se figea, un regard apeuré barrant son visage famélique, avant de s'éloigner en galopant sans un regard en arrière. L'artisan n'avait pas eu le temps de lui parler, pourtant. Des pas résonnant sur les pavés humides derrière lui dévoilèrent la cause de son effroi. Varik osa à peine se retourner. Ce devait être elle, la vampire. Il sentit une sueur froide se mêler à la crasse de son visage. Que faisait la troisième garde ? Elle devait déjà être là, pourtant. Lentement, Varik se retourna vers la matriarche.

La corniche bordant le toit de l'hôtel de la cité surplombait la Grand Place. Là, dans l'ombre, se tenaient les profils caverneux des sbires de Maalgarth, veillant au grain. L'un d'eux, une créature à la peau bleutée qui semblait tenir les rennes, désigna en bas une grande silhouette esseulée en compagnie d'un humain d'un âge avancé. Un rictus déforma ce qui lui servait de bouche. La matriarche parlait à un humain qui n'avait de cesse de regarder en tous sens, dans l'attente du danger à venir. Un rire sépulcral s'échappa d'entre les lèvres de la créature. La matriarche complotait, encore. Elle n'avait donc pas compris ?

Un sifflement et un imperceptible mouvement du bras ordonnèrent à ses hommes de se débarrasser du gêneur. De là où ils étaient, un fin tireur aurait eu tôt fait d'éliminer l'intrus. Un sbire encapuchonné armé d'une arbalète s'accroupit aussitôt près du rebord de la corniche, pointant son arme de jet vers la matriarche et son indésirable compagnon. Le tireur prenait son temps, semblant hésiter alors que la cible pouvait s'échapper à tout instant. La créature maîtresse siffla son impatience. Le carreau fendit les airs au dessus de la Grand Place, allant érafler le bras de la vampire avant de se ficher dans la poitrine de l'humain qui s'écroula sur les pavés. Les passants ne manquèrent pas la scène, et l'agitation bouscula le flot auparavant fluide des badauds tardifs. La pagaille que le meurtre venait de produire ralentit les sbires de Maalgarth qui se ruèrent en direction de la matriarche. L'arbalétrier sauta habilement de la corniche vers un espace dégagé et piqua droit sur Varik. La matriarche alertée glissa une main sous un revers de son vêtement, prête à se défendre contre l'agresseur. En arrivant à sa hauteur, celui-ci garda son arbalète pointée au sol, avançant une main en signe de neutralité.
-Je ne suis pas votre ennemie, Lancwen. Votre serviteur Gaerdem ainsi que Cerbère vous envoient la Garde. Profitez de l'agitation avant que vos chaperons n'arrivent. Les quais sont un bon endroit pour vous dissimuler quelques minutes.
Aux noms prononcés, Lancwen ne sembla plus hésiter un instant. Elle disparut dans le flot des passants affolés.

Au sol, Varik se tordait de douleur, une écume rougie remontant à ses lèvres. Il cracha un grognement rageur tandis que la garde s'accroupit près de lui. Alors qu'il tendait la main, requérant de l'aide, elle enfonça d'un geste sec la pointe d'un second carreau en travers de la gorge du vitrier. Il eut un dernier râle avant de s'immobiliser, le regard interdit. La troisième garde Sanaga jura. Comment faisait donc Cerbère pour toujours viser juste ?
Deux sujets de Maalgarth survinrent à ce moment. La garde se releva, leur dévoilant le corps inerte de l'humain.
-Ksss, elle a filé par là !, cracha-t-elle en désignant une sombre ruelle.
Les deux serviteurs s'y engouffrèrent sans plus tarder, tandis que la garde déguerpit vers les quais à la suite de Lancwen. Quelques minutes suffirent avant que les flots placides du port ne voient la modeste embarcation procurée par Gaerdem mettre les voiles et quitter le dock. Toutes lanternes éteintes, le navire éloignait la matriarche de Serviettemouilledhil, et laissait derrière lui le cadavre d'un homme dont on avait commandé la mort.

Edité par Sanaga le 10/12/08 à 22:10

Celimbrimbor | 11/12/08 00:54

Toujours agréable.

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