Forum - La Dette de Sang
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Shadee | 01/12/12 19:56
Le soleil ressemblait à la lune derrière le voile des brumes. Nous étions ailleurs et ici en même temps. Ce monde façonné à leur image était le leur et j'en étais le gardien.
Les cieux se sont transformés en un océan de fracas, l'orage sonnait ses puissantes trompettes célestes pour célébrer l'Arrivée, la pluie formait de larges sillons grondants tels des coups de griffes capricieux sur les plaines devenues bourbeuses. Malgré tout, le feu déchirait les nuées à la manière de puissants battements de coeurs, aveuglants et têtus d'envie de vivre. Ce jour était une nuit. Les éléments accueillaient en leur sein la venue de deux êtres, fruits de la chair et de la magie. Dans le cocon tempêtueux, son cri invita soudain le silence et le second déchaîna davantage la fureur des éléments. En cet instant, moi, Teryan d'Ombrazur, simple Déva, j'ai crains pour ma vie. Qu'étais-je pour cette charge ? Je sentais l'attention des esprits primordiaux prêts à me broyer si je me dérobais comme celui qui aurait dû être à ses côtés. Je l'avais cherché des jours et des nuits. Ombre-lune avait simplement disparu.
Elle se cambra, les prémices d'un tourbillon se formèrent, les élémentaires la plaquèrent sur sa couche de mousse, le vent tomba de peu. Je restais stoïque, ses yeux se braquèrent brutalement sur moi : deux lames acérées d'amour viciées de terreur qui déchirèrent mon coeur.
J'avais échoué.
Ma présence ne changeait rien, ni celle de ses serviteurs ; elle était seule pour faire face.
Honteux et orgueilleux, mon poing serra le manche en pierre de lune du poignard sacré porté au côté. Cette fois-ci, je ne manquerai pas de satisfaire ma Reine. A part l'Aîné, j'étais la seule créature de chair capable d'affronter ce morceau de tempête qui sévissait sur un mont de Myrilla. En bas, sur la plaine Brume Hociehan, son compagnon de toujours tenait le commandement des combattants primotaures déployés sur des kilomètres. Les lions et les loups formaient la première ligne, véritables vagues de sentinelles à qui rien ne pouvait échapper. Comment le Grand Cornu avait-il fait pour monter ce mur de loyauté et d'armes ?
Peut-être parce qu'une prophétie se mettait en branle...
Moi, dans l'étau tempétueux, je restais le prisonnier volontaire de ma mission. Dans ce chaos, je ne pouvais m'empêcher de détailler sa souffrance, si belle, et le ballet féerique qui évoluait autour d'elle. Tant de forces dans un corps si fragile. Tant de dons qu'elle n'arrivait plus à brider totalement. La Fille des Eléments devenait mère. Et de ses entrailles sortirent enfin un petit d'homme recouvert de sang et d'écailles d'un bleu profond.
Cris et joies.
Enfant des éléments et prince de l'Aîné. Il avait hérité des deux sangs.
Le second enfant également attendu et redouté apparu ; il avait la peau des humains parsemé en partie d'écailles d'un noir profond, son regard était déjà habité par un éclat argenté.
Princesse des éléments et fille de l'Aîné. Les deux sangs coulaient dans ses veines.
Douleurs et rires.
L'orage se tut, le vent devint doux, il enveloppa les nourrissons en les faisant flotter dans ses airs cajoleurs en digne seigneurs des airs, la pluie chaude et fine effaça les traces du combat de la chair pour la vie
Larmes et amour.
La voix de la Reine était faible, tremblante. Pourtant, je ne l'ai jamais vu plus envoûtante qu'à l'instant où elle caressa ses enfants du regard, les toucha d'une brise, mais n'osa les prendre dans ses bras. Shadee savait ce qu'elle devait faire, aussi détourna-t-elle soudain le regard, je tressaillis, le charme rompu :
- Emportez-les. Maintenant...avant que je ne faiblisse.
- Pour vous servir, toujours, répondis-je avec une étrange froideur.
Le moment était venu, j'eus la sensation que le poignard me brûla. J'arrachai les nouveau-nés aux éléments, à leur contact, une vague de souvenirs des temps ancestraux me parcourut. Ils avaient déjà une connaissance...
Orféa Millétoiles et Haelyon Ondabysse, vous êtes des joyaux à anéantir pour notre bien ou notre fin.
Edité par Shadee le 01/12/12 à 20:02
Ombre-lune | 02/12/12 22:02
Ils étaient morts. Sacrifiés pour une cause que le Dragon ne percevait pas. Jeu atroce de pouvoir, d'influence, guidé en sous-main par une prophétie dont il avait accepté de renoncer à chercher la nature, parce qu'elle le lui avait demandé. Et ils étaient morts. Arrachés brutalement à leur Vie à l'instant même où elle prenait forme. Plongé par nécessité dans des trames infiniment lointaines, si fragiles qu'elles avaient requis toute son attention, Ombre-Lune n'avait rien perçu de ces actes, rien perçu même de la naissance de ces enfants pourtant tant espérés. La nouvelle de leur mort lui était tombée dessus sans prévenir, aussi pesante que trois mondes, fissurant comme un rien toute l'assurance du Seigneur des Noirs, pointe maudite qui avait fouaillé ses entrailles et son âme pour en extraire la quintessence de la douleur. A cet instant, il avait frôlé la folie de si près qu'il ne parvenait pas encore à savoir par quel miracle il était parvenu à la repousser. La vague de colère abyssale qui avait inévitablement suivi avait sans doute été salvatrice, rééquilibrant l'âme déchirée du Dragon, assez vaste pour le maintenir, pas assez pour surpasser la souffrance vertigineuse qui le taraudait. Ils étaient morts.
Ombre-Lune avait regagné son Krak, usant de toute sa volonté pour préserver un masque impassible envers ceux qu'il avait croisé, puis il était descendu dans les tréfonds de la citadelle, en ce lieu secret et protégé qui accueillait l'une des trois faces du Sanctuaire des Noirs. La lourde porte avait scellé l'endroit derrière lui dans un claquement lugubre, l'isolant du monde et des vivants. Titubant, vidé de toute force, il s'était approché de l'Autel, s'y était adossé pour se laisser glisser au sol, assis, l'esprit à mille lieues de là. Le temps avait alors cessé d'avoir la moindre signification, et le Dragon était resté là, absent, les mâchoires serrées, une larme roulant de temps à autre sur l'une de ses joues, sans plus se soucier des jours ni des nuits.
Où êtes-vous? Où êtes-vous, Enfants? Vos âmes si jeunes parcourent-elles les mornes plaines infinies des Limbes? Ou êtes-vous encore dans ces files interminables qui précédent les battants maudits, trop jeunes, trop faibles pour seulement pouvoir vous en approcher? Avez-vous eu le temps de contempler les astres, un bref instant, cela vous a-t'il été accordé au moins? Vous a-t'elle pris dans ses bras, serré contre elle? Non...non bien sûr. Elle ne l'aurait pas supporté. Pourquoi...POURQUOI?! Pour que jamais vous ne menaciez le trône d'Olwë? Parce que le Prince Héritier, à moins qu'il ne soit Roi maintenant, sombre dans la peur d'un juste châtiment à ses crimes? Je n'en sais rien. Toutes ces trames me sont dissimulées, je suis aveugle, totalement aveugle...même vous...je ne vous vois pas...je ne vous sens pas...nulle part...où êtes-vous? OÙ ÊTES-VOUS???
L'esprit de l'Aîné s'éloigna peu à peu de son corps, étirant dans les trames infinies le fil de son âme, de plus en plus loin, errant au hasard de plan en plan, si longtemps que son corps eut-il été encore humain, il se serait desséché à la manière d'une momie. Mais le Don Vampirique le protégeait, cette apparence humaine autrefois si fragile avait laissé place à la non-vie, aussi les jours passèrent-ils sans que le moindre changement n'altère son être physique. Parce qu'il est dit que toute route finit par y mener, l'esprit d'Ombre-Lune finit par parvenir dans l'antichambre des morts, immense "vallée" remplie d'êtres diaphanes, gris et éteints, piétinant interminablement pour finir par parvenir, un jour ou l'autre, devant la Faucheuse. Ils étaient des millions, cohorte infinie qui s'étirait comme un gigantesque fleuve entre les pics déchiquetés qui interdisaient tout espoir de fuite, brisant l'horizon, le réduisant à une grisaille impalpable qui sapait la volonté du plus endurci. Ce spectacle macabre réveilla pourtant dans l'esprit du Dragon des souvenirs lointains qui le submergèrent comme une vague irrépressible, et chassèrent de lui toute torpeur. Incrédule, il contempla le lieu dans lequel il se trouvait, apercevant à la limite de sa vision la silhouette par trop reconnaissable de la Mort, trônant sur son siège d'ossements de créatures oubliées. L'âme du Noir frissonna, il avait contraint la Mort à relâcher quelques proies, par le passé, lui-même l'avait narguée à de nombreuses reprises, mais il ne se souvenait que trop bien de leur dernière "entrevue". La Mort, lasse des exigences de l'Aîné, lui avait signifié que la prochaine fois qu'ils se rencontreraient, il prendrait sa place. Oh, pas sa place de "divinité", non, juste celle de gardien de la Porte maudite, condamné à rester éternellement rivé au siège ténébreux, à prononcer un jugement sur chaque âme qui se présenterait, sans pour autant avoir moyen de savoir quoi que ce soit de sa vie. Et chaque jugement erroné briserait un peu plus le Noir, le rapprocherait inéluctablement de sa perte et des abysses infernaux. Le piège était parfait, la Mort y avait veillé.
-Je t'attendais, Dragon, ricana-t'elle sur son odieux trône. Approche...
Edité par Ombre-lune le 02/12/12 à 22:02
Shadee | 03/12/12 21:19
Enfin... Le régicide monta en selle quand la montagne écarta ses voiles orageux. Un sourire torve barrait son visage pétrit d'assurance. Il se sentait incroyablement fort en cet instant, le déploiement que Brume avait mis en place lui donnait une humeur moqueuse et légère. Pour qui le prenait-il ? Personne ne peut se targuer d'être plus civilisé que celui qui a tué son père. Il est à la pointe du respect, sans heurts, il tranche toujours pour le bien du peuple.
D'un mouvement de bras et de pas de son destrier, l'armée sur ses arrières se mit en branle pour quelques mètres. Il prenait plaisir à sentir l'électricité imprégner l'air, la frénésie d'une probable bataille. Voyons... pourquoi faire couler du sang plus qu'il n'en faudrait ? Sa soeur l'avait fait pour le plus beau des combats. Il était là, comme prévu pour recevoir son neveu et sa nièce. D'ailleurs le comité d'accueil qui lui faisait face prouvait que ce n'était pas un plaisir. Il se gaussa intérieurement : ces idiots savaient au moins qu'il n'avait pas oublié, et que les naissances ne seraient pas des plus discrètes. Une chose que sa Maudite ne pouvait cacher... Shadee ne pouvait cette fois se jouer de lui.
Un grand Cornu approcha, il reconnut Brume qui se détachait de la ligne défensive. Le régicide talonna sa monture pour le rejoindre. Ce fut le primotaure qui ouvrit l'échange :
- Prince Seypher, je vous demande d'attendre ici, comme il a été convenu.
- Seigneur Hociehan, mes salutations, je suis roi à présent - il inclina sa tête libre de heaume - Je pense à la courtoisie avant tout. Ce serait fort inconvenable de laisser ma soeur descendre de cette montagne pour venir à moi après ce qu'elle vient de faire. Je pense qu'il serait judicieux d'aller à elle afin d'économiser son énergie. Et puis... je suis quelque peu impatient de rencontrer les pupilles d'Olwë.
Brume me broncha pas, et c'est d'un ton neutre qu'il répondit à l'elfe vêtu d'une armure de grand apparat :
- Vous êtes le roi de l'orgueil et de la traitrise en effet, mes hommages. Vous ne passerez pas.
Les traits de Seypher se crispèrent violemment. Sa bouche était réduite à fente sifflante :
- Ecartez-vous sur le champ ou mourrez comme une bête à poils. Je pourrai vous donner la chasse pour vous déguster lors d'un grand banquet en l'honneur de mes protégés.
- Vous ne passerez pas, tels sont les ordres de la Fille des Eléments. Cette montagne est sacrée et nul ne doit y monter sans craindre pour sa vie - le primotaure plissa un regard presque rieur - ce serait un service que vous me rendriez en y montant.
Un rire s'éleva, celui du régicide qui se tourna de moitié vers son fidèle conseiller qu'il révéla ainsi à ses côtés, toujours dans son ombre.
- Entends-tu, ça ! Une montagne aurait raison de nous ! Soit... Soyons donc honorés que ma chère et tendre Shadee daigne descendre de son sanctuaire avec ses présents.
***
Dans un ailleurs, un autre monde, deux petits êtres étaient ballotés. Ils gazouillaient comme les oiseaux en plein été, et leurs regards dansaient avec les volutes de brume qui les enveloppaient. Ils allaient vite, si vite et si régulièrement au rythme d'un étrange tonnerre provenant de la terre que cela finit par les bercer. Et quand ils s'endormirent, ils rêvèrent de leur mère plus forte qu'elle ne l'a jamais été, infiniment heureuse, puis ils connurent leur premier cauchemar en voyant déjà dans les trames, leur père qui renonçait à un trésor : la vie.
***
La mort se délecta de l'approche du dragon. Elle était surprise de le voir ici, mais c'est toujours mieux de mimer l'attente pour assurer sa prise sur la proie. Et puis s'il était là, c'est qu'il voulait quelque chose, elle allait sans doute pouvoir en tirer partie. Elle avait beau tourner ses multiples regards en tout sens, elle ne percevait rien qui puisse l'intéresser. Pour une fois qu'elle était surprise, elle n'avait aucune envie de briser cette chance.
Edité par Shadee le 03/12/12 à 21:19
Ombre-lune | 03/12/12 22:04
D'ondes et d'abîmes, les échos du rire aigrelet se répercutent dans le val sans retour, atteignent l'esprit du Noir à la manière de lames rouillées qui déchireraient la chair offerte, impuissante. Pris dans les rets de la Faucheuse, l'âme est attirée devant elle, qui se lève, ombre colossale semblant poussiéreuse d'ancienneté, dardant ses orbites caverneuses sur le présomptueux qui l'a défiée trop de fois. D'un geste sans appel, elle désigne son trône au fantôme Dragonnique, s'écartant avec un nouveau ricanement suintant de malignité.
-Je t'en prie, mon cher petit, prends place. Prends place pour l'éternité. Hé hé hé...
-Non...non...nnooooooonnnnn!
Les voiles qui entourent la sombre entité claquent, et l'âme impuissante se fait plaquer contre le trône maudit, brutalement, pâlissant et faiblissant à mesure que le pouvoir du lieu l'envahit, le liant à ce destin comme d'invisibles torons inflexibles. La Faucheuse ricane une dernière fois, disparaissant en murmurant d'un souffle cruellement ironique:
-Bon règne, "Dragon". Hé hé hé...
La première âme se présente, tremblotante d'inexistence, attendant dans une passivité totale le jugement qui la condamnera, ou la sauvera. Le nouveau gardien la fixe, mû par la force du Trône, sa silhouette vibre dans une vaine tentative pour ne pas juger ce qu'il ne connait pas mais le pouvoir de la Faucheuse est trop enraciné en ces lieux pour être contré. La sentence tombe. Imperceptiblement, le gardien frémit, une légère fissure se crée dans son apparence éthérée. Une deuxième âme déjà a remplacé la première, à nouveau le jugement tombe. Une à une, les âmes passent devant l'entité, se succédant en une ronde obsédante d'infinité, car de son trône le gardien terrifié voit jusqu'aux confins de la vallée, réalise qu'elle grandit, de seconde en seconde. Son hurlement silencieux n'ébranle que lui-même, le peu qu'il reste de lui car sans répit, les jugements tombent, couperets de plomb qui martèlent en une indicible torture l'esprit devenu gardien de l'Huis Maudit. Une part de lui se demande combien de temps il tiendra, une autre lui répond qu'il n'y a pas d'issue, que le plus vite sera le mieux. Il ricane, tousse, jugeant encore, et encore, sombrant peu à peu dans une sorte de folie intérieure qui se replie sur elle-même, déchaînement sauvage et chaotique d'une entité vouée à la liberté des grands espaces dans un milieu absolument, totalement clos.
Lâche-moi satané trône! Je ne veux pas juger! Libère-moi! Non! Non, pas encore!!Je...nooonnnn...tenir...tenir assez longtemps...peur...pour...pour eux...pour nous...qui...nous...qui c'est, nous...elle et moi...c'est qui elle...c'est...elle...son nom...elle avait un nom...et je...je suis...le gardi..non! J'avais un Nom! Je m'appelais...gardie...non! Non, avant...avant...quoi? Avant...je ne sais pas...et eux...avaient-ils un nom...je...je ne sais pas...qui...qui...et pourquoi...pourquoi eux...eux qui? Damnation! Combien en ai-je déjà jugé...qu'importe...je m'éteins...éteint...le feu...je me nommais...Orféor! Oui! Non! Non? Non...c'était...avant....alors quoi...je...damnation! Qui a tué tous ces gamins? Gamins? Eux! C'est ça! NOS ENFANTS! Ils se nommaient...sais pas...jamais su...ils...ils ressemblaient...ils...ils lui ressemblaient! A qui? A elle! Qui elle? Elle! Je...elle avait un nom...Bon sang, je crois...je crois que...mon esprit est en train de partir en vrille...il faut...faute..non...faut que je fiche le camp...vite..mais il n'y a aucune issue...merde, mauvaise idée, ils sont combien dans cette vallée par les enfe..non! Non, pas ici pauvre fou! Fou...oui...sombre dans...dans l'inconscience...se laisser glisser...endormir toute...perception. Être...ailleurs. mais...eux? Ils ne sont pas là...je...je les sentirais...je crois...alors...renoncer...accepter et...non! NON! S'ils ne sont pas là...je...je dois...ressortir mais...comment...comment me délier de cette foutue place?! Idiot! Je me suis fait piéger comme un dragonnet...quoi que...peut-être...une...trame...oui, il y a une trame...possible.
Au coeur occulte du Krak, une sombre couronne de brume entoure soudainement le front du vampire appuyé contre l'autel, quelques gemmes couleurs de jais lancent d'étranges éclats de noirceurs dans la pénombre orangée de la salle, les éclats se rassemblent en trois runes d'obscurité qui flottent devant les yeux ouverts mais vides de l'être. D'un effort qui le laisse pantelant, le gardien parvient durant une fraction de seconde à visualiser ces runes au travers des yeux de son corps "non-mort", et pareilles à trois flèches de ténèbres, les runes viennent se ficher dans l'esprit fissuré qui se tient sur le trône. Un premier spasme d'agonie arque l'esprit alors que le pouvoir des Noires l'envahit torrentueusement, un deuxième lorsque ce pouvoir se heurte à celui de la Mort en un indescriptible choc de titans qui fait vaciller la vallée entière. Le Dragon se lève du trône d'ossements, hurlant silencieusement de douleur alors que la séparation produit l'effet d'une insoutenable déchirure en lui. Une haute et létale silhouette réapparaît, semblant si glaciale que la terre gèle à pierre fendre sous ses pas.
-Par les démons du septième plan, tu as dépassé les bornes, Dragon. Fini de jouer, ton fil s'arrête ici et maintenant.
La faux décrit une large courbe vive comme l'éclair, visant à trancher la "tête" de l'esprit du Noir d'un coup si empli de puissance symbolique que rien ne semble devoir l'arrêter. Pourtant, une lame d'un noir cristallin vient au dernier instant parer le coup dans une pluie d'étincelles givrées, provoquant la stupeur de la Mort.
-Tu ne peux rien, vieille femme. J'ai échappé à ton jugement, plus rien de moi n'est mortel, pas même mon corps "d'humain". Laisse-moi partir, et reprends ta place.
-Qu'es-tu venu faire ici, alors?
-Chercher mes enfants. Mais j'ai été trompé. Ils ne sont pas morts. Pas encore.
-Peut-être le seront-ils lorsque tu parviendras à retourner dans ton corps, Dragon. Ce serait très amusant.
-Je n'en doute pas. Maintenant, écarte-toi.
-Pas si vite. Tu es puissant, c'est vrai, mais tu es dans mon royaume. Je pourrais te briser, simple question de temps et tu le sais, malgré ta prétendue assurance. Seulement, vois-tu, je suis une Dame généreuse et trop occupée. Alors toi et moi allons conclure un pacte. Un pacte que tu n'auras pas intérêt à rompre...
Edité par Ombre-lune le 04/12/12 à 02:56
Shadee | 15/12/12 10:42
Deux jours et une nuit passèrent. Tant d'heures d'angoisse. Quand allait-il revenir ? Par quel miracle allait-il trouver ? L'Ombrazur lui avait assurée qu'il voyait la mort à des kilomètres à la ronde et qu'il ferait le nécessaire si la providence ne la lui offrait pas. Cette zone d'ombre l'angoissait. Avait-elle le droit de sacrifier autrui pour les siens ? La dame morale lui aurait certainement dit non, mais l'amour rend aveugle. Shadee se sentait capable du pire pour protéger ceux qui lui étaient le plus chers, pour démentir cette prophétie. Elle sentait la puanteur de l'esprit cupide de son frère à travers les éléments. Pourquoi ne le tuerait-elle pas ? Le sang a déjà poissé ses mains, même peut-être le meurtre pour arriver à ses fins. Que devenait Ombre-lune ? La Blanche Plume ne délivrait plus ses messages, son coeur avait donc cessé de battre. La terreur de sa mort la submergea, elle ne pouvait rien faire pour élucider ce mystère, ça la rendait folle de rage. Une rage qu'elle transformait en force pour accomplir froidement ses plans.
Les silhouettes diaphanes des élémentaires se dissipèrent comme un nuage effiloché par le vent. Il arrivait enfin, le visage grave et tiré. Avait-il encore une fois échoué ? Le Déva dessella et s'avança vers Shadee qui l'accueillit sans douceur :
- Est-ce bon ?
- Ils sont en sécurité, mais ils ont besoin de vous.
- De nous... Mais pour le moment, ils feront sans. Les avez-vous ? Une guerre menace d'éclater sur la plaine.
Elle devança sa réponse en allant vérifier le ballot pendu sur le côté du destrier, la voix de Teryan d'Ombrazur lui glaça les sangs alors qu'elle s'apprêta à l'ouvrir : « Oui... J'ai dû... »
- Ne dites rien... Que les esprits me pardonnent, souffla-t-elle en dégageant deux nourrissons aussi froids que le marbre
Elle laissa filer ses doigts sur les visages bleuis des petits morts, ses traits avait pris la dureté de la pierre, son ordre claqua tel un coup de fouet dans les airs : « Partez, je m'en occupe. » Sans hésitation, elle saisit le paquet funeste. « Je dois y aller seule, votre présence pourrait semer le doute, la place du gardien doit être près d'eux ».
L'Ombrazur s'inclina en guise de simple réponse, il laissa Shadee sur ses arrières. Elle ne l'observa pas partir, elle était absorbée par les deux petits corps qui reposaient devant elle. Sa fascination l'écoeura. Oui, elle était capable du pire pour protéger les siens. Elle prit précipitamment le ballot, et chercha du regard sa monture fauve qui se révéla aussitôt.
Ce sont les ténèbres et la danse des feux de camps tenus de part et d'autre de la plaine qui lui servirent de chemin. Son apparition imposa le silence chez les primotaures, et éleva le son d'une corne de guerre chez les elfes d'Olwë. En réponse, les loups hurlèrent à la lune que son éclat pouvait s'ensanglanter. La Fille des Eléments insuffla un message au vent qui caressa les sens des primotaures. « Assez, mes amis. La mort a déjà pris trop d'âmes. Restez où vous êtes. Toi aussi, Brume. » Le Grand Cornu grogna son mécontentement. Il aurait voulu se précipiter pour la soutenir dans cette épreuve. Il avait saisi: les jumeaux étaient morts nés.
Elle s'engouffra dans le camp des elfes, le Régicide marchait déjà d'un bon pas sur la bourbe, vif comme un enfant capricieux qui recevait ce qu'il pensait lui être dû.
- Bonsoir, mon frère, pas ici. Allons dans ta tente.
Il se gonfla d'un sourire séduisant et mielleux : « Oui, c'est bon soir. A ta guise, tu dois être harassée. C'est le moindre confort que je puisse te donner ». Shadee se contenta d'esquisser un pâle sourire et le suivit sans un autre mot, deux corps morts serrés contre sa poitrine. Elle ne pouvait les délivrer sans prendre le risque qu'il lance un assaut sous le coup de la colère.
La tente était aménagée avec faste, une douce chaleur la préservait des frimas de l'hivers. Les flammes des candélabres dansaient doucettement et leur lueur caressait les ors du mobilier. Sitôt la tenture refermée derrière eux, le Régicide la dévora du regard. Elle déposa ses fardeaux dans des couffins qui n'attendaient qu'eux et c'est sans feindre la tristesse qu'elle lui cracha :
- Les voici.
Elle le détailla s'approcher avec une timidité qu'elle ne lui avait jamais vu, il roucoula quelques mots à la manière d'un amant :
« Ma soeur adorée, tu deviens enfin la douce amie que j'ai... » La gifle partie sans crier gare et arracha un filet de sang à la lèvre éclatée de Shadee « Maudite ! » il empoigna son cou et serra tant que le souffle lui manqua. Les flammes s'étouffèrent, pris soudain d'effroi, il relâcha sa prise, le feu se raviva.
- Lève une autre fois la main sur moi, et je te promets que tu n'auras ni d'yeux ni de langue pour exprimer ta souffrance, murmura-t'elle avec un calme inquiétant.
- Tes morpions sont morts, garce ! Tu n'es donc capable de rien !
- Va t'en plaindre à La Faucheuse. Ne crois-tu pas que ma douleur est plus grande que la tienne ?
Il hésita. Elle s'engouffra dans la brèche:
- Je n'ai pas oublié la dette que j'ai envers le Royaume d'Olwë.
Un carré de soie vint tamponner sa lèvre blessée avec tendresse :
- Pardonne-moi. Je t'aime tant, Shadee, tu sais comme la haine peut être si proche de l'amour.
Elle se laissa faire même si le moindre de ses contacts la répugnait :
- Tu sais que je ne peux enfanter qu'une seule fois, c'est écrit.
- Si tu avais été ma femme, les...
- Non, ce n'est pas ainsi que cela devait être, tu le sais - elle devint doucereuse - comme je sais que tu ne me laisseras pas partir sans un bain de sang.
Le rire du Régicide coula comme le miel :
- Alors viens-tu sans résister, cette fois ?
- Oui...
- Et ton époux ?
Les larmes lui montèrent aux yeux :
- Il est mort, lui aussi.
Edité par Shadee le 15/12/12 à 10:43
Ombre-lune | 15/12/12 18:00
Les yeux du Vampire adossé à l'autel cillent, se ferment alors que les traits fins de son visage se crispent sous l'assaut d'une douleur mentale atroce. Lentement, ses paupières se relèvent, ouvrant sur des puits de ténèbres dévorantes. Le Pacte a été scellé. Il se redresse, comme un qui n'a plus l'habitude de pouvoir se mouvoir, presque maladroitement. Puis les souvenirs affluent, le Vampire titube et se rattrape de justesse contre la pierre ancestrale. Au travers du symbole, un véritable pouvoir se cache dans le sanctuaire, l'Aîné le sait mieux que personne, mais lorsque ses mains touchent le froid rocher, c'est son instinct qui l'y relie aussitôt, lui permettant de se nourrir des feux, de la terre, des airs. Il frémit doucement, aussitôt sa peau se couvre d'écailles de jais plus dures que le diamant, son visage se modifie légèrement, devenant plus reptilien, plus dur. La Flamme Sombre l'envahit, palpite en lui, remplaçant son coeur éteint pour battre le rythme du monde, et le Dragon devenu Vampire enfin l'entend à nouveau. De puits sans fond, son regard se fait sombre brasier, non moins dévorant, avec une vivacité inhumaine Ombre-Lune traverse la salle, gravit les étages en direction de la salle du Trône, son esprit se consumant en tentant de percevoir quelque chose dans toutes les trames qui lui avaient été cachées.
Il se fige soudain, se maudissant de son aveuglement. Fébrilement, il sort de son sac un coffret de bois si magnifiquement travaillé qu'il paraît fait de lianes vivantes, l'ouvre et plonge son regard dans l'orbe que Shadee lui avait offert, tant d'âges en arrière lui semble-t'il. Son âme frémit en découvrant la Flamme de vie reflétée dans l'orbe, si tremblante, si exposée et pourtant si forte. Son esprit se lance dans les Trames, animé d'un unique but, la trouver. Et il la voit, elle quitte les siens, se dirigeant vers un camp clairement militaire dont la bannière ne lui est pas familière. L'aperçu brumeux que parvient à entrevoir le Dragon indique que cela se passe sur Myrilla, aucune terre n'a cette intensité de vie, qui fourmille d'ailleurs, réalise-t'il, sur les contreforts de la puissante montagne visible en arrière plan. Subtilement, il perçoit une tension à la limite de la rupture entre les deux partis, dont l'un doit être celui de la famille Primotaure de son épouse au vu de son Ami Brume qui semble désespéré de voir sa Soeur d'âme s'éloigner. Ombre-Lune regagne son corps à toute allure, et sans ralentir se précipite "physiquement" dans la salle du Trône, y prenant place.
-Troëren!
-Aîné?
-Je veux l'intégralité de la Légion d'Ivoire en formation dans la cour centrale d'ici trois minutes. Je veux la Légion d'Obsidienne prête dans cinq minutes à la même place. Je veux trois cents Nécromanciens et un millier de dryades répartis dans ces deux légions. Exécution.
-Avec joie, Aîné! Murmure Troëren en souriant férocement, ravi d'avoir l'occasion de peut-être se dégourdir. Il allait se retourner lorsque Ombre-Lune murmura:
-Commandant?
-Oui Aîné?
-Je ne sais pas dans quoi je nous lance. Je n'en n'ai qu'une très vague idée. Mais je sens que je dois le faire. Nous allons devoir jouer un étrange rôle.
-Nous te suivrons quelle que soit la fin, Seigneur.
-Merci mon Ami. Vas maintenant. Vite!
Resté seul, le Dragon commençe à se concentrer, ce qu'il s'apprêtait à faire était risqué, et lui demanderait dans le meilleur des cas une colossale dépense d'énergie. Il savait en théorie comment procéder pour ouvrir une "porte" entre un lieu et un autre, mais relier ainsi Daifen à Myrilla était un exploit qu'il était loin d'être certain de réussir. Le temps de l'hésitation était échu, pourtant, un sentiment d'urgence taraudait Ombre-Lune de sa pointe glaciale, aussi se pressa-t'il à rejoindre la grande cour. Un sourire sauvage releva ses lèvres, à la vue des trois mille combattants de la Légion d'Ivoire disposés en phalanges serrées. Plus loin, les premiers rangs de la légion d'Obsidienne se forment, ils seront prêts à temps. Discrètes, en retrait, se tiennent les dryades, leurs yeux étincelant étrangement de vie dans les rangs des vampires. A l'opposé de hautes silhouettes vêtues de noir se tiennent presque immobiles, irradiant d'une force occulte qui assombrit les cieux au-dessus du Krak, ils sont trois cents, maîtres des arcanes de la Mort, prêts à relever les déchus pour faire advenir les desseins de leur Seigneur. Ombre-Lune bondit sur une estrade, le silence se fait instantanément, malgré les légionnaires d'obsidienne qui arrivent encore à pas étouffés.
-Mes Frères! Mes Soeurs! Voici vos ordres pour les instants à venir: Légion d'Ivoire, je vais vous "envoyer" sur Myrilla, au beau milieu d'une situation explosive. D'un côté des Primotaures, de l'autre des Elfes. Les Primotaures se tiennent sur les premiers contreforts des montagnes, je veux que vous formiez une ligne défensive infranchissable devant eux, et que vous les protégiez. Ne tuez qu'en cas d'absolue nécessité. Elynn vous commandera.
Troëren hausse un sourcil à ces mots, mais demeure silencieux, attendant la suite.
-Légion d'Obsidienne, vous attendrez ici, vous formez une seconde ligne que j'espère ne pas avoir à utiliser. Si vous êtes appelés, vous arriverez au milieu d'une bataille, votre objectif sera le même que celui de la Légion d'Ivoire: protéger les Primotaures. Et éviter de tuer. Votre commandant habituel vous dirigera. Troëren, Elynn, vous venez avec moi.
Le Dragon fait signe à Troëren et Elynn de le rejoindre, puis il sort un étrange médaillon, que les Myrilliens nomment Hyël, et darde un regard irradiant de pouvoir dessus.
Esprit des Dragons, prête-moi ton regard pour ne pas céder aux illusions, prête-moi ta force pour ne jamais vaciller, Esprits, de la Terre, du Vent, du Feu, je vous invoque, en mémoire de l'Aube, soutenez-moi, indiquez-moi la Voie, protégez la Vie! Dame de l'Eau, contenue en toute Vie, Matrice de l'Existence, je t'en conjure, rends le passage fluide, et la présence de l'Ombre acceptable aux êtres de Myrilla, protège les vivants, crois en moi, une fois, je t'en supplie, aide-moi!
Comme une vaste tornade se formant très lentement, les esprits entament une ronde silencieuse autour de l'Aîné, lui murmurant des secrets connus d'eux seuls. Il semble leur répondre de manière inaudible, la ronde s'accélère, les vents commencent à se déchaîner autour du Krak, la lave éclate en de nombreux geysers autour de ses murailles, la terre gronde et frémit sourdement, un premier coup de tonnerre fracasse le silence d'une détonation assourdissante. Dans la grande cour, une chape de brume obscure s'est abattue sur la Légion d'Ivoire, Troëren et le Dragon, un deuxième coup des tambours célestes ébranle le Krak, un arc flamboyant d'énergie se crée entre la brume et les nuées, crépite en parcourant la brume d'éclairs bleutés à l'éclat insoutenable. Lorsque le troisième coup de tonnerre résonne entre les puissantes murailles, la brume se dissipe comme par enchantement, dévoilant un espace vide de toute être.
Sur Myrilla, devant une montagne sacrée, une ligne de phalanges compactes apparaît devant les yeux médusés des êtres présents, les Vampires semblent étrangement parés d'une aura cristalline, presque liquide, leurs longues lances acérées formant un infranchissable rempart létal en direction des Elfes d'Olwë. Elynn se rend aussitôt vers Brume qui, hache en main, vient s'inquiéter de cette arrivée effarante.
-Votre Ami, le Seigneur des Noirs, vous salue, Messire Brume, dit-elle en s'inclinant. Il m'envoie pour honorer ces liens d'Amitié, et vous épauler dans cette épreuve en protégeant les vôtres. Une deuxième Légion est prête à être déployée, si nécessaire. Pour le reste, vous connaissez mieux la situation et cette terre que moi, je me tiens donc à votre disposition, la seule "condition" étant que vous nous laissiez assumer la première ligne en cas de dérapage.
A peine arrivé sur Myrilla, l'Aîné avait écarté Troëren des troupes, l'entraînant derrière quelques arbres. Puis il avait plongé à nouveau son regard dans l'Orbe, brièvement, avant de le ranger vivement et de fixer le Vampire:
-Mon Ami, le temps est compté. Je vais nous téléporter, toi près d'une tente gardée, moi dedans. Occupe les gardes s'ils sont appelés, évite de les tuer si tu le peux. Fais attention à toi.
Ombre-Lune pense fugacement à Xüne, qui a autrefois appris à son père cette magie, et à son père qui a pensé à le lui demander, puis adressant une dernière supplique aux forces, téléporte Troëren près de la tente du Roi Seypher, dans une zone d'ombre qui lui permettra d'être invisible au moins quelques instants. Un battement de cils plus tard, camouflé par tous les voiles de sa lignée, aussi impalpable que le Néant, il se transporte lui-même derrière Seypher, juste à temps pour entendre:
-Et ton époux?
-Il est mort, lui aussi.
Les larmes qu'il voit scintiller dans les yeux de son Aimée transpercent son âme, qui saigne davantage encore lorsque il réalise qu'elle a été battue. Une colère impérieuse, polaire dans son embrasement, saisit Ombre-Lune, qui reprend silencieusement matière sous sa forme humanoïde la plus proche du Dragon, bardé d'écailles et irradiant de chaleur autant que de fureur. D'un geste invisible à l'oeil tant il est vif, L'Aîné saisit brutalement le Roi Seypher par la nuque. Sa main puissante prolongée de longues griffes se referme sur la gorge de l'Elfe d'Olwë, les rasoirs venant frôler dangereusement sa jugulaire. Les vertèbres craquent alors que les pieds du Roi quittent la terre ferme, se débattant pitoyablement. Le regard du Dragon se pose sur Shadee, incandescent, plonge dans le lac de ses yeux, s'y perd dans un instant d'éternité. Sa main broie inconsciemment plus durement la nuque du Roi alors qu'il voit les blessures qu'elle a subies, les épreuves traversées. Un filet de sang ruisselle sur le col de Seypher, qui gémit, ses os malmenés craquent lugubrement en se fissurant sous la force terrifiante du Dragon, qui murmure sans paraître le remarquer ni dévier son regard de celui de son Aimée.
-Une nouvelle bien attristante, en vérité, ô ma splendide Reine. Je crois pourtant que m'enterrer est un peu...prématuré.
Edité par Ombre-lune le 15/12/12 à 18:02
Shadee | 16/12/12 20:50
Un pas en arrière, un autre. Un regard qui fuit vers le berceau, le temps d'une hésitation - les protéger de lui- et qui accroche les prunelles enflammées de l'être infernal, de son époux - les protéger de lui. Un souffle qui ressemble à un cri de désespoir :
-Qu'es-tu devenu ?
Le gargouillis qui provient de la gorge du régicide met un point final à sa décision : « Adieu, mon frère. Que les esprits me pardonnent. ». Elle s'évanouit dans les éléments en laissant derrière elle, l'ambivalence de la terreur et de l'amour s'attarder dans l'éther. Quelque part dans le Royaume, dans un ailleurs connut d'elle et du Déva, elle se mêle aux brumes et se compose un sourire de pure douceur ; oublieuse de ce qu'elle a abandonné sur Myrilla, du fracas de la guerre, du conseiller qui sonne la retraite, d'Ombre-lune... cet inconnu qu'elle aime pourtant.
Enfin, la solitude avec eux. De ce moment intime, une magie indestructible opère. Les yeux fermés des enfants-dragons s'ouvrent sur le monde de leur mère, les éléments brillent dans leurs pupilles et pulsent dans leurs veines. Ils sont éveillés et nul pleurs n'a dû servir pour que l'air pénètrent violemment dans leur corps. Le rire de soulagement de Shadee coule comme mille cascatelles et le soleil jalouse le radieux de ses traits. Un baiser aussi doux qu'une plume se pose sur le front d'Orféa et de Haelyon.
Elle s'installe sur un trône de cristal qui vient de se former à sa volonté, puis tend ses bras pour recueillir les deux nourrissons sur l'orbe de son sein. De ce contact, le monde s'arrête, suspendu à la mère et ses enfants qui découvrent en silence, avec une délicieuse stupeur un nouveau lien se former. Le Monde reprend doucement sa course quand la voix de Shadee résonnent dans le Palais des Brumes Eternelles.
- Ombrazur, je vous demande de vous révéler.
Sa silhouette versatile se dessine dans l'espace, sa démarche souple et rapide l'entraîne vers sa souveraine : « savez-vous ce qu'il est devenu ? Il a l'air si... »
-Mort, répond-il sans ambages.
- Voulez-vous dire que ?
- Vous vous êtes unie avec un dragon à l'héritage des plus troubles. Il était certainement destiné à devenir ce qu'il est aujourd'hui : un vampire.
- Comment a-t-il osé ?
Le tonnerre gronde à travers la colère qui vibre jusqu'aux fondations. Les deux enfants s'agitent dans ses bras. Elles les bercent contre son coeur pour les calmer tout en se levant pour les reposer dans leur couffin princier aux symboles des quatre éléments. « Ne suis-je donc rien pour qu'il agisse ainsi en secret ? Pour qu'il me laisse seule lors de leur Venue ? »
Le Déva garde un silence attentif et respectueux. Shadee écarte les brumes d'un geste las de sa main. En réponse, un rayon de soleil perce le dôme en cristal et forme des arcs-en-ciel pour enchanter l'espace. Aux couleurs qui dansent devant eux, les jumeaux gazouillent de joie.
- Il va certainement penser qu'ils sont morts, reprend-elle tout en observant ses enfants, c'est sans doute mieux ainsi. Qui de vous deux doit-être la terreur ou la bienveillance ?
Teryan Ombrazur se permet une incursion dans les pensées de Shadee formulées à haute voix :
- Aucun des deux, votre grâce, tant qu'ils seront ensemble, ils sont équilibres. Tant qu'ils vous auront, vous et leur père. Et si le malheur frappe, la dague aussi le fera dans leur coeur, finit-il en caressant inconsciemment l'arme passée au côté.
Elle paraît porter le poids de l'univers quand elle se tourne doucement, les épaules basses : « leur père est mort. N'en parlez plus. »
- Mais...
- N'en parlez plus, s'il vous plaît...
Ce n'est pas un ordre qu'elle vient de formuler, mais une prière émise par la douleur d'âme. Il acquiesce sombrement inquiet, mais n'ose formuler ce qui
lui brûle la langue. Shadee le sort de l'embarras avec une autre pensée :
- Nous allons devoir gérer une crise. Le Roi d'Olwë est mort, tué par Ombre-lune. Le pouvoir va revenir à la Reine Mère Iwen, à ce poison vivant qui servait de conscience à feue mon frère. Je veux que tous pensent qu'ils sont morts. Si nous avons pu duper Seypher, il n'en est rien d'elle. C'est une Enchanteuse qui peut lire au-delà des apparences.
- Que pensez-vous qu'il va advenir ?
- Je suis bien incapable de vous le dire...
Elle se détourne de Teryan Ombrazur pour s'enivrer de l'image paisible d'Orféa et de Haelyon, attrapés par la douceur du sommeil des innocents.
Edité par Shadee le 16/12/12 à 20:51
Ombre-lune | 23/12/12 12:25
Un souffle qui ressemble à un cri de désespoir :
-Qu'es-tu devenu ?
Il n'a pas le temps de lui répondre, déjà elle disparait, le laissant seul avec le mourant dans une ambiance totalement paradoxale. Un profond abattement l'envahit, sombres et pesantes nuées qui menacent un instant son équilibre, se mêlent à la colère, à l'incompréhension pour le faire vaciller. Lentement, frémissant sous l'effort qui lui permet de maîtriser ses pulsions, il dépose le roi à terre, le contemple en silence, glacial, jusqu'à ce que le dernier spasme d'agonie scelle son trépas. Comme à regrets, il se détourne du spectacle, son regard tombant sur les deux petites formes dans les berceaux. Il s'approche, écarte d'une main les couvertures qui les dissimulent, fixant chaque cadavre un bref instant d'un regard empli de tristesse. Un bruit étouffé de lutte à l'extérieur de la tente l'alerte, Troëren vient sans doute d'être découvert, le temps n'est plus à la contemplation morbide. Plissant les yeux de concentration, Ombre-Lune tente d'envisager la situation dans son ensemble, qui est rendu trop fragile à son goût par de nombreuses zones d'ombre, d'inconnues totales. Il murmure:
-Puissances...Je fais quoi, là...? Mmm...on dégage, et on efface...pas le choix...
Le Dragon Noir jaillit des débris de la tente du roi, l'éventrant dans sa transformation flamboyante. Il repère Troëren d'un coup d'oeil, lui rugissant:
-On dégage, Commandant!
Le Vampire rejoint le Dragon en quelques bonds surréalistes, se hisse à son encolure dans le chaos naissant du camp elfique et s'accroche alors que le reptile prend vivement son envol. Le Dragon crache une trombe de feu sur les restes de la tente de Seypher, longuement, réduisant bois, tissus et cadavres à des scories impossibles à identifier. Mais déjà des archers s'approchent, bandant de puissants arcs de corne pour transpercer cette apparition qui vient d'anéantir leur roi. Le Noir s'élève à toute allure au milieu d'une pluie de flèches dont la plupart ricochent contre les dures écailles. D'autres pourtant se fichent dans les membranes de ses ailes, lui tirant une rugissement de colère qui ébranle les airs loin à la ronde. Il crache une nouvelle trombe de feu en direction des archers, pas vraiment pour les calciner mais plutôt les aveugler. Enfin, il se trouve hors de portée des dangereux projectiles, Troëren hurlant pour se faire entendre dans le fracas des vents alors qu'ils filent vers les rangs de la Légion d'Ivoire:
-Il se passe quoi, là?!
-Leur roi est mort, Shadee est partie, elle semblait terrorisée.
-Par ce roi?
-Non...par moi...
-Ah...ennuyeux.
-Oui. Accroche-toi on arrive.
Ils se posent juste derrière le rang inflexible de la légion, rejoints par Elynn alors qu'Ombre-Lune reprend son apparence humanoïde.
-C'est quoi ce b....?!
-Leur roi est mort. Fais avancer nos troupes lentement, en silence, ils reculeront.
-Bien. Et après?
-Chaque chose en son temps. Vas!
-Oui Seigneur.
Les phalanges de la terrifiante légion Vampirique, soutenues par une armada de dryades et de Nécromants se mettent en branle comme une seule, sans un cri, sans un mot inutile. Dans le camp des Elfes, l'agitation et l'incompréhension du début commençe à virer à la panique, la nouvelle de la mort de leur roi se répandant comme une traînée de poudre. Tant bien que mal, leurs officiers tentent de coordonner une retraite qui menace de se transformer en déroute sous la pression des légions dragonniques en mouvement. A l'arrière, Ombre-Lune observe pensivement l'avance de son armée, cherchant à démêler quelque chose dans les trames qui lui sont cachées tandis qu'une Dryade lui procure quelques soins, résorbant les quelques coupures dues aux flèches reçues.
-C'est fini, Seigneur, ils fuient, annonce Elynn en revenant peu après. Quels sont les ordres?
-Établissez un camp aux frontières d'Olwë. Je veux que toute leur attention soit braquée sur nous. Pour le reste, pas d'assaut pour l'instant, je veux savoir de quoi il retourne et avoir l'avis de Shadee avant d'agir contre ce peuple.
Edité par Ombre-lune le 23/12/12 à 12:25
Ombre-lune | 23/12/12 12:27
L'équilibre...un fil si fin que l'oeil ne le perçoit qu'à peine, de temps en temps, quand l'attention et l'intention sont assez pures. Et autour...le vide. Absolu.
Danse...danse Dragon...suis La Trame...ne vacille pas, bâtis la route, trace ta Voie, trace votre Voie...Danse!
Voir...sentir...écouter...apprendre... entrevoir...pressentir...entendre. Le coeur. Le battement Primal. Et puis...Agir.
***
Myrilla, Camp de la Légion d'Ivoire, tente de commandement:
-Elynn, je te confie le commandement des armées Dragonniques sur Myrilla. Tu as à disposition la Légion d'Ivoire, la Légion d'Obsidienne et les phalanges Naines de Nashdhil. Je veux que tu assures discrètement la protection de nos Frères Primotaures, et de leurs lieux sacrés. Aucune agression contre le Royaume d'Olwë, entends-moi bien sur ce point.
-Bien...mais comment...
-Il doit exister une autre voie, plus juste. Fais-moi confiance. Donne-moi du temps. Simule un repli, comme si nous n'avions plus rien à faire là, mais demeure vigilante. Je doute qu'ils recherchent un affrontement de cette nature. Le coup sera plus vicieux.
-Je veillerai.
-Merci, Elynn. Ça va avec Brume?
-Oh, oui, j'ai fait renforcer mon armure aux épaules, rapport aux tapes amicales, et il est un peu désorienté par ce qui s'est passé.
-On le serait à moins. Dis-lui que je vais tenter de trouver une Voie lumineuse, qui préservera l'équilibre, et surtout qu'il faut qu'il veille sur son peuple avec ton aide. Prends soin de toi. Troëren, vous dirigez les Terres des Noirs pour une durée indéterminée dès cet instant, ne me décevez pas.
Le Vampire s'incline, abasourdi, les yeux plissés d'imaginer les implications de ce rôle.
-C'est un honneur, je ne faillirai pas, Aîné.
-Prenez soin de vous également, Troëren. A bientôt.
Ombre-Lune quitte le camp à grandes enjambées, le regard déjà plongé dans la danse qu'il s'apprête à mener, se dirigeant rapidement vers la porte principale reliant Myrilla à Daifen, trop épuisé après l'ouverture du Seuil qui a permis à ses armées d'arriver à temps pour se risquer à user encore du pouvoir des Trois Noires inconsidérément. Alors qu'il approche enfin de la Porte, un silhouette voûtée se dresse entre le passage et lui, appuyée sur un bâton d'aspect noueux. Le Vampire s'incline devant le Vénérable, avec un respect palpable qui se manifeste dans la grâce de sa révérence.
-Je vous salue, Vénérable...
-Où sont les jours heureux, où est-il ce temps insouciant, que vous parcouriez à deux?
Ombre-Lune fixe un instant l'Ancien en silence, sachant fort bien que derrière la subtile réprimande se cache quelque chose d'infiniment plus sérieux. Le vieux Primotaure connaît la Prophétie, il perçoit les destinées et en oriente parfois le fil, lorsque les intentions sont justes. Enfin, le jeune homme reprend la parole, d'une voix douce et calme:
-Il s'écoule, dans le reflet de nos êtres, dans la continuité de nos âmes mêlées. Et il m'appelle à le rejoindre.
Les deux orbes dorés de l'Ancien plongent dans ceux, infiniment plus sombres bien qu'étoilés en leurs tréfonds, du Vampire:
-Peut-être, que cela dans certain rêve peut naître. Je suis de ce bois qui aide au voyage. Je suis aussi le chant du coeur conjugué à l'instant. Je m'égrène dans le sablier du temps. Qui suis-je ? T'en souviens-tu?
-Le mariage...Chacun de ces instants est gravé dans mon âme, ma chair et mon coeur, Ancien.
-Pourtant la Flamme de l'Orbe a été presque soufflée, les arabesques de la Plume ignorées, qu'est-il d'autre que tu aies oublié, toi qui t'es enchaîné au trône sombre de la vanité?
-Nulle chaîne, jamais, Ancien, ne...
Ombre-Lune s'interrompt brutalement, se figeant sur place alors qu'il réalise à quel point il a ignoré les évidences, cherché dans le Néant des réponses qui se trouvaient exposées juste sous ses yeux. Il grimace légèrement, ses épaules s'affaissent imperceptiblement, une lueur de désarroi traversant fugitivement son regard.
-Quel stupide animal je peux faire, parfois...
-Voilà mots justes et bien sentis, te voici prêt à franchir l'huis...
Sans un mot de plus, l'Ancien se fond dans les frondaisons épaisses du sous-bois en quelques pas tranquilles, laissant le Dragon effaré de réaliser à quel point il est trop simple d'oublier l'essentiel, de se laisser détourner insidieusement de la Voie par des illusions créées de toutes pièces. Son regard s'abaisse vers sa main gauche qui se lève lentement, se pose sur l'anneau créé par la volonté de Shadee et la sienne, jumeau de celui qu'elle porte elle-même depuis ce jour magique de leur union. Il se souvient de ces instants enchantés, qui lui semblent se redessiner dans la sylve ancestrale de Myrilla:
"- Puisque je suis la seule qui t'aveugle par les feux de mon amour, je t'offre ma flamme de vie. » Au bout de l'index de Shadee, une flamme se détache du coffret et suit son geste vers le coeur de celui qui se nommait alors Larme, où elle disparaît. Instinctivement, le dragon répète les paroles et l'offrande symbolique. À la place du voile de feu, dans la boîte, se révèlent ensuite deux feuilles de lierre, les amants s'en saisissent en même temps. Elles se développent à leur poignet jusqu'à rejoindre sa jumelle, liant ainsi Larme et Shadee qui continue à réciter les mots que les entités élémentaires lui ont appris. « Puisse la terre être la gardienne de nos amours. Que sa fertilité nous honore et nous préserve du besoin ». Les bracelets de lierre frémissent d'un courant d'air issu de la boite tandis que Shadee poursuit. « Que le vent soit témoin de notre serment et éloigne de nous les tempêtes de l'existence. » À ses paroles, c'est le bruit d'un léger clapot qui attire la curiosité des jeunes gens. Shadee sourit à la découverte et reporte son regard habité par l'émotion vers Larme. « Que les ondes s'allient à notre feu pour que se forge le symbole de notre union. » De leurs bras liés par les lierres, leurs doigts se portent vers l'eau aux allures de petit océan et rencontrent deux anneaux scintillants dans les profondeurs, d'un métal mystérieux qui ne pourrait être brisé autrement que par les forces premières. Avec une indicible douceur, le couple achève la cérémonie en les passant."
Reprenant ses esprits lentement, un sourire infiniment doux aux lèvres à l'évocation de ces instants sacrés, il franchit enfin le portail, regagnant le monde de Daifen, puis ouvre aussitôt la Porte qui mène au Royaume des Éléments, offerte par son père pour leur union. Entrant d'un pas rapide dans le palais, il grimace encore un peu en voyant tous les liens ignorés, toutes les évidences à côté desquelles il est passé, se demande combien encore vont se révéler dans les temps à venir. Rugissant et rougissant légèrement de dépit et de honte, il se plonge dans la magie de l'anneau, la laissant l'envahir corps et âme pour y retrouver le trésor dissimulé. Il murmure, sans même s'en rendre compte:
-Les Brumes...les Brumes éternelles...là où tout peut être caché, disparaître jusqu'à n'en avoir jamais existé...Puissances...sagesse ou folie que cela? Si fragiles...si purs...et elle...si peu de mots pour exprimer cela...Astre de ma Vie...mais il est temps. Temps de les rejoindre. Temps de devenir Père.
Quelques heures plus tard, vêtu simplement comme il aimait à le faire par le passé, il observe les immenses volutes brumeuses qui dissimulent une contrée qu'il sait presque infinie, source, refuge et prison de nombre de forces, entités et créatures oubliées, ou encore jamais connues. Une large vallée s'enfonce dans les brumes, disparaissant au regard comme effacée du monde par des nuées opaques mais légèrement iridescentes. Quelque part, loin devant lui, au coeur de ce monde cotonneux et prompt à perdre le voyageur, se trouvent leurs enfants. Il sent leur présence, maintenant, et une exultation farouche autant qu'émue envahit son âme à l'idée de bientôt les voir, les tenir enfin contre lui comme il en rêve depuis tant de lunes.
Edité par Ombre-lune le 23/12/12 à 12:28
Ombre-lune | 30/12/12 13:42
Une odeur étrange, dont il était difficile de dire si elle était de nature végétale, minérale, un mélange des deux voire quelque chose de totalement nouveau.
Il y avait dans l'air...
Une fine brume, volatile et versatile, portée par de capricieux vents elle tournoyait jusqu'à former des illusions surprenantes de réalité.
Il y avait dans l'air...
Une étrange magie, sombre telle une tempête, limpide comme une brise d'été, qui emplissait les poumons de l'audacieux venu parcourir les lieux.
Le Dragon connaissait les légendes qui demeuraient, rares, à propos de ces terres oubliées de tous, ou presque. On les disait immenses, peuplées de tout ce qui avait disparu ailleurs. Certains parlaient de châteaux flottant dans les airs, d'autres de rivières d'opales qui formaient de leurs larges colliers soyeux autour de collines verdoyantes. D'autres encore racontaient que de ceux qui s'y étaient aventurés, aucun n'était revenu, et que tout cela n'était que fariboles, ces terres avaient été maudites en un temps lointain et la mort attendait avec impatience les fous qui s'y risqueraient. Les Brumes, disaient-ils, étaient si denses qu'un honnête homme ne voyait plus même le bout de son nez dès lors qu'il s'enfonçait de plus de quelques pas dans les nuées. Sortilège à n'en point douter, car aucun vent ne parvenait jamais à la dissiper, ce lieu n'était pas pour les vivants, c'était du moins l'avis de l'ancien du plus proche village. A ces mots, Ombre-Lune avait souri tranquillement, donnant une tape amicale au vieil homme, et lui avait dit de ne pas s'inquiéter de cela. Sous le regard éberlué de la populace, leur Seigneur se dirigea d'un pas rapide vers les brumes, et y disparut.
Trois pas, trois pas dans la nuée et tout est cotonneux, opaque, luminescent. Un étrange vertige s'empare d'Ombre-Lune, qui ralentit l'allure, s'arrête au bout de cinq pas, titubant. Une étrange voix, désincarnée, lui susurre à l'oreille en un souffle:
-Tu es Mort. Tu ne peux pénétrer en ce lieu. Retourne d'où tu viens, ou rejoins le rien...
Malgré lui, malgré trois longues et sombres vies, le Dragon frissonne. Étrange ce froid glacial qui envahit son corps vampirique d'habitude presque insensible aux températures. Il scrute la brume, en vain, ne percevant que nuées s'entremêlant en une folle et lente valse, puis hausse les épaules, un infime sourire déterminé aux lèvres, et avance d'un pas léger, presque dansant, sur un invisible sentier qui le mène vers les siens. Longuement il marche, guidé par un instinct et une intention reliées enfin à leurs symboles, et au travers eux à ce qu'ils représentent. Soudain, alors que le sol redescend enfin après une rude montée, la brume se dissipe devant Ombre-Lune, dévoilant un monumental cirque rocheux d'où dévalent cinq cascades puissantes qui pourraient aussi bien être à l'origine des brumes au vu des nuages d'eau qui s'en élèvent en de vastes panaches. Le Vampire s'immobilise, contemplant un instant le paysage avec émerveillement, puis sursaute alors qu'une brutale rafale le déséquilibre et qu'une voix sifflante autant que tonitruante retentit à ses oreilles:
-Tu as été prévenu, Vampire. Quel effet cela te fait-il, d'avoir été l'instrument même de la prophétie, forgeant notre Fille aux réalités de l'Ombre mieux encore que nous ne l'aurions pu? Dure et fière, pure et implacable, ne t'avions-nous pas mis en garde, insensé?
-Seigneur des Vents...je vous salue...
-Silence! Tu as rompu le Pacte Sacré. Elle t'a offert sa Vie, tu l'as offerte aux Ténèbres! Rugit le Seigneur des Airs en bousculant brutalement le Vampire.
-C'est faux! Le Pacte n'est pas rompu, la Prophétie se décline sous d'autres lumières, tout est équilibre précaire et vous le mettez en péril! Répond Ombre-Lune en tendant la main où se trouve l'anneau qui a scellé la volonté de Shadee et la sienne aux éléments ,afin que le tempétueux Seigneur le voie.
-Et pourtant tu es un Mort!
-Non. Il n'y a pas de vents dans les Limbes, tu ne sais rien. Ni toi ni aucun de tes pairs, Seigneur des Airs, car ce domaine vous est interdit. Vous ignorez les Sombres Voies car vous n'y avez pas place, pourtant elles sont nécessaires à l'équilibre, vous le savez de toute éternité, c'est pour cette raison qu'a été scellé Le Pacte, il y a si longtemps. Dois-je te le rappeler à chaque fois, Seigneur des Airs?
-Le Pacte...ton père n'est plus là, petite phalène, et nous, Parents Elémentaux de Shadee, nous doutons de toi.
-Vous m'avez éprouvé, déjà...perdriez-vous confiance en vous, Entités?
-Nous avons éprouvé un vivant...nous allons éprouver un mort qui dit ne pas l'être...apparences trompeuses peut-être, mais nous devons savoir. Nous les protégeons, nous la protégeons.
-Je vous remercie, pour cette protection. Alors faites, éprouvez-moi s'il le faut, mais faites vite, car la Vie n'attend pas.
-Nous avons déjà commencé.
Ombre-Lune sourit intérieurement, entendant cette phrase qu'il a lui même dite à Eragonnes voilà si peu de temps, étrange comme les rôles peuvent s'inverser subitement. Il se contente d'incliner la tête, puis désigne la cascade centrale d'une main qui ne tremble pas:
-Puis-je me rendre là-bas?
L'entité venteuse murmure en s'écartant lentement:
-Tu peux...peut-être que tout n'est pas perdu, finalement...
Le Vampire s'incline légèrement, puis entreprend de dévaler la pente, gagnant rapidement le pied de la cascade. Il la contemple un instant, un sourire lointain flottant sur ses lèvres qui murmurent:
"Daifenien, empruntez la route qui file, semblable à la force du torrent, où se glissent, très habiles, les longs rires du vent."
Instinctivement, sa main se referme sur le Hyël, puis en riant il se glisse derrière la trombe d'eau, par une étroite corniche giflée d'embruns glacés, atteignant une cavité de bonne taille creusée derrière la chute. Il réalise qu'une massive silhouette féminine obstrue visiblement la suite de la cavité, un examen plus attentif lui révèle un colosse de pierre et de terre, dont le regard semble bien trop vivant pour que ce ne soit qu'une statue.
-Tu as convaincu l'Air, et l'Eau, convaincras-tu la Terre, Vampire? Tu serais le premier...Dis-moi, pourquoi te laisserais-je passer?
-Parce que je les aime.
-Vraiment? Tu n'étais pas là, lorsqu'ils sont nés. Tu ne les as jamais vus. Tu l'as ignorée en jetant ta Vie, liée à la sienne, comme un vieux manteau usagé. Comment pourrais-je te croire, Ombre-Lune?
-Vous avez senti chacun de mes pas, vous savez que je les aime.
-Oui...mais tu les as abandonnés. Pour cela, nous te demandons paiement.
-Cela a déjà été payé.
-Ce n'est pas à toi d'en juger.
-Il semblerait...quel est ton prix?
-Notre prix. Ce sera à elle d'en juger. Le paieras-tu?
-Oui...bien sûr ...s'il doit y avoir un prix...murmure le Vampire, une imperceptible tristesse dans le regard et la voix.
-Bien. Passe.
Dans un fracas d'éboulement, l'entité terrestre se mêle à la paroi de la grotte, s'y fondant rapidement sans qu'il n'en demeure une trace. Ombre-Lune se secoue légèrement, ébranlé par les paroles de la Terre, puis s'enfonce dans le tunnel ouvert d'un pas vif, ne s'arrêtant que parvenu, une centaine de pas plus loin, à un étrange puits perçant une salle à peu près hémisphérique naturelle. Fugacement, il se demande où et quand l'éprouvera le feu, puis il se jette dans le puits, serrant le Hyël de la main droite. A peine a-t'il franchi le bord du précipice qu'une étrange "trombe" de force brumeuse et iridescente le saisit, l'aveuglant avant de le propulser vivement vers le haut, du moins est-ce l'impression qu'il éprouve, jusqu'à un point de culminance qui, inexorablement bascule en une chute de plus en plus effarante. Soudain, un léger choc sous les pieds d'Ombre-Lune, suffisant pour le contraindre à s'accroupir pour l'amortir, lui apprend qu'il doit être arrivé à destination. Anxieux, il se demande quelle elle peut bien être, plissant les yeux pour essayer de percer la brume qui se retire bien trop lentement à son goût.
Il se relève, lentement, au centre d'une place incroyable, centre d'un palais de brume diaphane surréaliste qui resplendit de teintes opalines sous les rayons de l'orbe nocturne, abasourdi de tant de splendeur. Puis, alors qu'il détaille lentement le spectacle incroyable qui l'entoure, son regard se pose sur eux. Et le temps se fige, se glace, se craquèle, se fracasse et se recompose, ne sachant trop dans quel sens repartir, avant de reprendre son cours inéluctable dans les trames lorsque Ombre-Lune fait un pas, puis un deuxième, en direction des trois êtres qui se trouvent en si paisible posture sur un trône de diamant. Subjugué, il ne remarque pas son coeur Dragonnique qui martèle follement sa poitrine de Vampire, la contemplant, elle qui le fixe, si sereine, si belle et si pure, tenant leurs enfants endormis qu'il aperçoit pour la première fois. Sans un bruit, il s'avance jusqu'à eux, s'agenouille, pose doucement sa tête sur les genoux de Shadee alors que quelques perles diamantines de bonheur roulent sur ses joues. Il les enlace avec une tendresse infinie, ses yeux se fermant sous la force des sentiments trop longtemps réprimés qui affluent en lui torrentueusement, il les libère, les leur offre pleinement dans cette étreinte tant espérée, tant attendue, ne se souciant plus ni d'avant ni d'après.
Edité par Ombre-lune le 30/12/12 à 13:42
Tala | 04/01/13 21:44
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