Forum - La nuit des longs grulleaux

Treesong | 11/02/08 10:38

Treesong vérifia que son masque d'exécuteur était bien en place - une forme de tête de chien des steppes stylisé avec un long museau et deux hautes oreilles pointues - avant d'avancer vers la porte. Il ajusta sa ceinture ornementée sur son tabard de velours crème et leva le poing pour frapper. Pris d'un ultime doute, il se ravisa et sortit de nouveau le mandat d'extermination qu'il avait reçu du Saint Office des Eliminateurs Assermentés. Il relut attentivement les indications :

-Nom : Grull
-Localisation : visite régulièrement une taverne / auberge de basse fréquentation à la croisée des chemins sur Lacaleauxpsypsdhil.
-Technique d'assassinat préconisée : sept onctions majeures.
-Recommandations : rumeurs d'usurpations d'identité, éteindre le dénommé Grull en priorité.

Tout semblait en règle. Il frappa. Une voix étouffée répondit de l'autre côté :
-Ouiiiiiiiii ? Une minute je vous prie ! C'est pour quoi ?
Treesong s'éclaircit la voix et annonça d'un ton qui se voulait le plus solennel possible :
-Je suis l'Executeur Treesong. Etes-vous le dénommé Grull ?
-Oui oui ! Entrez, installez-vous, je suis à vous dans une minuuuute !!
Treesong hocha la tête avec satisfaction et poussa la porte.
L'intérieur était agencé avec un goût légèrement prononcé pour le clinquant baroque. Un immense lit hémisphérique surchargé de coussins bariolés trônait au centre de la pièce. Le désordre qui régnait dans les draps et divers vêtements de cuir, casquettes, fouets et autres ustensiles oblongues laissait deviner une activité fébrile et intensive. Une légère odeur âcre de sueur flottait dans la pièce. Dans un angle siégeait une dame de fer entrouverte. Treesong repoussa négligemment un tas d'oripeaux et des hauts de chausse en résille pour s'installer dans l'un des larges fauteuils en osier.
-Servez-vous une goutte de liqueur d'Affreudite, faites comme chez vous ! Je finis de me débarbouiller et je suis à vous !
La voix émanait d'une porte entrebâillée d'où suintait une épaisse masse de vapeur d'eau ondulante.
-Messer Grull, je n'ai pas beaucoup de temps, j'ai un contrat à votre encontre émis par le Saint Office des Eliminateurs.
-Oh ? Vraiment ?
-Oui, je vous prierai de ne pas faire obstruction au bon déroulement de l'exécution qui devra être pratiquée par la technique des sept onctions majeures. C'est un honneur qui vous est fait, vous devez être un seigneur influent...
-Comment ? Je ne vous entends pas bien !
Treesong posa sa mallette sur la table basse devant lui et en sortit sept petits pots d'onguent qu'il disposa en étoile. Il y eut soudain un bruit derrière le volet, comme si quelqu'un essayait de l'ouvrir de l'extérieur avec un pied de biche. Treesong maugréa derrière son masque...
-Impossible d'assassiner quelqu'un tranquillement de nos jours...
Le volet céda d'un coup avec un grand craaaaac, et un objet de métal rond et noir rebondit sur le sol avant de rouler aux pieds de l'Exécuteur. Une mèche d'amadou semblait se consumer lentement en émettant un petit sifflement. Treesong se pencha pour ramasser la chose et l'étudia de près.
-On dirait un engin de destruction... mais quelle guilde pourrait se servir d'un objet aussi rustre et vulgaire ?
Un bruit pachydermique de déplacement le tira de ses réflexions. Il se tourna et, de stupeur, lâcha l'objet qu'il tenait dans la main. Une créature semi-préhistorique se tenait voûtée dans l'embrasure de la porte, une serviette de bain négligemment jetée sur les hanches. Le monstre devait faire au moins deux toises, avait la peau verte couverte de protubérances chitineuses, des griffes lustrées et polies en bleu nuit d'une longueur démesurée et une série de crocs si longs que sa gueule ne pouvait se fermer complètement.
-Je suis à vous, quel est le but de votre visite ?
-Ahem... hmmmm. Vous êtes le seigneur Grull ?
-En personne, à qui ai-je l'honneur ?
A ce moment, quelqu'un frappa à la porte.
-Décidément, ce matin j'ai de la visite ! Qui est là ?
-Grrrruullll ?
-Oui ?
-C'est Grrrruuuull, j'ai un message de Grruuuullll pour toi.
Treesong parut interloqué.
-Ne bougez pas, je vais ouvrir.
L'Executeur n'eut pas le temps de se poser d'avantage de questions.
Il se réveilla à demi-carbonisé, assis sur un fauteuil fumant au milieu d'une pièce démembrée par le souffle d'une explosion.
-Mes pots d'onguents ! - furent les dernières paroles qu'il prononça avant d'être évacué par son estafette vers un centre de soins intensifs.

Rat De Labo | 11/02/08 19:48

excellent, on s'y croirait!

Pépé Narvalho | 14/02/08 07:14

Oui, tres plaisante lecture.