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Carlyle | 21/02/08 15:13
Dans la salle des cartes de la citadelle de Dane, maison mère de la Confrérie Blanche, l'ambiance était sombre. Sans doute parce que les rideaux purpurins de la pièce, tous tirés au mieux, ne laissaient filtrer qu'une lumière diffuse, obscure, qui, bien loin d'éclairer, soulevait des ombres inquiétantes plus qu'elle ne les dispersait. Dans ce festival de fantômes, de souvenirs anciens, de hauts-faits passés et de légendes furtives, les couleurs étaient bannies depuis longtemps, le décors entier ayant au fil du temps pris la teinte mystérieuse de la patine. Indéfinissable et pourtant criante, tout ici, subrepticement, annonçait haut et fort au passant qu'il était en présence de l'histoire lourde, pesante, que les vagues des siècles avaient longuement dessiné, affiné, peaufiné sur l'estran à force de patience.
Le silence, par-dessous tout, emplissait chaque recoin, et polissait chaque meuble d'un murmure indéfinissable. Il se cachait dans les rouleaux de cartes, étalant ses mémoires entre les frontières de deux pays, sur les régiments étendus à plat sur les comptes-rendus d'opération. Il annonçait, dans le chuintement frémissant de la porte s'ouvrant, tout ce qu'il avait entendu, toutes les intrigues, toutes les batailles, tout ce qui jamais avait été préparé céans, il le savait.
Rien d'étonnant alors que cette salle fut désertée depuis longtemps, et que seul le Maître Archiviste de la Confrérie y entra de temps à autre pour subtiliser une carte, pour en ranger une autre, toujours avec douceur, passant souvent ses mains sur ces histoires figées dont même la poussière était porteuse. Puis, sa tâche accomplie, il refermait la porte, et retombait sur la salle des cartes de la Confrérie Blanche un silence presque religieux et de saintes ténèbres. Même l'agitation qui avait fait trembler l'endroit depuis l'accession de Garrigan à la plus haute place n'avait pas perturbé le délicat calme qui était loi dans la pièce. Désormais, elle était presque oubliée de tous. Le tohu-bohu avait cessé, des cartes avait été délogée, et jamais remise, et puis tout était enfin revenu à la paix.
Les grincements de dents ne se faisaient plus entendre dans la forteresse, vidée de ses forces vives. Qui alors se soucierait de la salle des cartes ? Pourtant, quelqu'un écoutait le silence, écoutait les cartes, écoutait les ombres, patiemment, calmement, attendant paisiblement que son plan se déroule comme prévu, sans accrocs.
L'éclat de la tête d'épingle émeraude qui serti la cravate immaculée de Carlyle rehausse finement les deux opales brillantes de ce dernier. Les coudes reposant sur la table, les mains jointes, il patiente le temps qu'Eva revienne avec sa proie. Leur proie. Précieuse, ô combien. Nécessaire, aussi. Sinon, il n'aurait pas pris un tel risque... Un risque... D'une certaine manière, oui, cela en est un, même si Carlyle connaît par coeur chacun des couloirs de cette ancienne forteresse, même s'il sait les mots de passe. Il sourit, et l'émail de ses dents s'achoppe à un rai de lumière, fugacement. Jamais la Confrérie n'avait vu pareils civils.
La porte s'ouvre, et les torches brillent un instant, dévoilant le costume impeccablement blanc de Carlyle, et la tenue élégante d'Eva. Puis elle se referme, et l'obscurité reprend ses droits, s'abattant sur une troisième silhouette hautaine tel un piège savoureusement préparé. Elle se drape dans sa dignité, pour autant qu'elle le peut, et repousse le siège qu'Eva lui avance.
« Nul ne me convoque ! Savez-vous qui je suis ! Il use de tout son talent d'orateur, et le sourire de Carlyle s'élargit. Et vous, qui êtes-vous, d'abord !
-L'inertie. Cependant, avant que vous ne succombiez à cette force implacable, je vous conseille aimablement de vous asseoir, et de répondre précisément à mes questions.
-Jamais je ne fus traité de... Il se mord la langue quand Eva le pousse négligemment sur le siège d'un coup de pied placé juste sur la poitrine.
-Sélène Yesod, maître archiviste. Vous êtes également connu sous le nom de Gabriël, grand commandeur de la secte des Incarnats, faction secrète se mouvant au sein de la Confrérie Blanche. La jeune femme qui vous a si gentiment installé se nomme Eva. Quant à moi... Je suis votre némésis, potentielle, pour le moment. » Déclame lentement Carlyle.
D'une démarche souple, Eva récupère quelque chose près des rideaux, qui battent alors fugitivement, mais juste assez pour faire briller du métal déposé en ordre sur la table des cartes.
« Je vais tâcher d'être clair. Vous sortirez en vie de cette pièce, pour peu que vous soyez obéissant et accédiez à mes requêtes. La première est que vous usiez de votre influence pour débloquer le verrou magique du coffre numéro vingt sept. La seconde, que vous l'ouvriez, avec les codes que je confierai à Eva. La troisième, que vous m'en apportiez son contenu ici diligemment. »
Un claquement se fit entendre, et le Maître Archiviste porte les mains à son cou, stupéfait d'y découvrir un collier.
« Ceci vous persuadera de lui obéir en tous points et tous lieux. Il en va de votre vie.
-Je... je ne vois pas de quel coffre vous parlez ! Je ne sais même pas quelle est cette secte !
-Malheureux... Gémit Carlyle. Vous commettez-là une terrible erreur... Ne m'obligez pas à faire usage de ces instruments-ci... Il est vrai que, dans votre cas, j'y prendrai un plaisir tout particulier, puisque j'apprécie les cris des rouages de mes plans, mais j'aimerai autant que possible l'éviter. Cependant, il se saisit d'une lame courbe, nous pouvons faire ce sacrifice, non ?
-Pitié ! Je ne sais rien !
-Eh bien... Dans ce cas... Dans un soupire, Carlyle s'empara du bras de sa victime et en l'écorcha d'un geste expert du poignet jusqu'au coude, tandis qu'Eva empêchait l'autre de se débattre et de hurler. Nous allons commencer à récolter du cuir pour les grimoires. Il s'empare de l'autre bras, sans déchirer la bure.
-Co... Comme vous voulez. Très bien. Je... Très bien. Se précipite Sélène.
-Vous avez une heure, pas une minute de plus. Il s'empare d'une carte au hasard sur la table, et en fait un pansement. Cela fera l'affaire. Eva, je te défends de le quitter des yeux pour muser à ta guise. Nous sommes pressés. Tu te souviens des codes, n'est-ce pas ? »
Elle ne prend pas la peine de répondre, et disparaît dans la porte qui vient de s'ouvrir. Le silence retombe dans la pièce, et seuls les lueurs bleues et vertes trahissent la présence d'un homme.
Très exactement une heure plus tard, affichant une grimace de douleur, Sélène Yesod s'affale de lui-même dans un fauteuil, laissant tomber sur la table le contenu du coffre. Suant à grosses gouttes, il observe la réaction de l'homme dont il commence à peine à cerner l'identité.
Carlyle ramasse le tube métallique dans lequel se trouve un parchemin qu'il a lui-même rédigé, ainsi que le petit rouleau de cire rubis. Il les range précautionneusement dans les poches de son costume impeccablement blanc, et sourit.
« Parfait. Nous n'avons plus rien à faire ici. »
Du coin de l'oeil, le Maître Archiviste avise Eva qui trépigne, comme d'impatience. Il croit bon d'intervenir quand Carlyle ouvre la porte.
« Vous aviez dit que je sortirai d'ici vivant ! Hurle-t-il.
-J'ai tenu ma parole, très cher pion. Vous êtes sorti d'ici vivant. Puis vous y êtes rentré, de votre propre volonté. L'ironie des propos n'échappe pas à Sélène. Eva, il t'appartient. N'oublie pas de me ramener mes instruments quand tu auras fini, veux-tu ? »
Et il referme la lourde porte en chêne renforcé sur les cris de terreur anticipée du Maître Archiviste. Se composant un visage neutre, il s'en retourne au travers des couloirs de la citadelle de Dane, désertée depuis l'état de guerre, par le chemin le plus rapide en direction de l'hôtel où il a élu résidence pour la durée de son opération. Encore une fois, son plan s'est déroulé sans accrocs.
Carlyle | 21/02/08 15:13
La suite arrive.
Treesong | 21/02/08 16:13
ça fait du bien de revoir ce bon vieux Carlyle 
