Forum - Les Enfants de Bodom [2. Lake Bodom]

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Loxias | 07/07/08 05:16

Les Enfants De Bodom

Deuxième partie - Lake Bodom

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Tôt ce matin là, comme à son habitude routinière, le vieillard fade et monotone s'était levé pour entreprendre une autre journée de labeur sans grand éclat, à l'instar du soleil pointant à l'horizon -comme par dépit- étrangement d'un ineffable teinte de sang. Sans se presser, écrasé par le poids de la vie, l'homme au dos vouté rangea dans son sac de toile rapiécé le matériel désuet nécessaire, puis se dirigea d'un pas trainant vers le Lac Bodom, véritable joyau naturel du royaume scandinave, cerné par la forêt dense s'éveillant lentement. Dans ces eaux calmes, reposait paisiblement son embarcation décrépie lui servant de modeste bateau de pêche. La clarté sanguine perçait à peine entre les branches fournies des épinettes serrées, formant une arche compacte au dessus du chemin forestier. Le sentier en terre battue, maintes fois emprunté par l'ancêtre, témoignait certes de l'ancienneté de son utilisation quotidienne.

Ayant enfin rejoint les berges isolées de la froide étendu hydrographique, le vieil homme laissa paresseusement ses pieds se faire lécher avec voracité par quelques vagues délicates venant se perdre sur la plage de galets et de gravier, légers remous faisant doucement tanguer la chaloupe lilliputienne. Ce jour là, comme tous les autres jours ternes, il s'écroula lourdement sur le siège central, lançant sans ménagement sa ligne puis ses appâts dans le fond de la coque. Assis sur la surface dure et inconfortable, il donna quelques coups de rame sans entrain, fendant la surface quasi inanimée du fluide cristallin. Lentement, la barge s'avança vers le milieu du lac, toujours obstinément plongé dans le silence le plus complet, pour alors s'immobiliser totalement. Le pêcheur éreinté avait finalement atteint l'emplacement idéal, son endroit de prédilection pour saisir les plus gros poissons, soit le même depuis bientôt cinquante-cinq ans.

Il poussa un ricanement étouffé en guise de profonde satisfaction, dévoilant légèrement deux rangées de dents partiellement pourries et aussi brunâtres qu'un marais buccal. En équilibre dans son embarcation instable, accroupi au-dessus des hameçons rouillés puis des vers grouillants, il s'affairait machinalement à préparer sa canne avec une habilité dûment acquise au fil d'innombrables années de perfectionnement. Le vieillard n'avait d'ailleurs jamais connu que ça, en fait. Le son de l'appât plongeant alors dans les profondeurs du lac glacial résonna clairement et joyeusement au creux des montagnes environnantes, au sein des silhouettes résineuses veillant immuablement sur le territoire hivernal. Aussi, un large sourire éclairait le visage émacié de l'homme à l'âge vénérable. Dans le calme paisible de cette matinée brumeuse, il prenait un plaisir tout naïf à patienter candidement que sa proie se manifeste.

Assez promptement, ses attentes furent récompensées, ce qui fit pousser un cri de joie au vieillard. Un poisson rôdait vraisemblablement aux alentours de son hameçon obsolète, il pouvait sentir avec délice sa corde se tendre sporadiquement, sous son passage. Sans plus attendre, il se leva sur son séant, faisant brusquement vaciller la chaloupe, puis tira d'un coup sec, grognant de bonheur, avant de mouliner frénétiquement la ligne. Le pêcheur septuagénaire continuait de ricaner de façon pleinement libératrice alors que remontait à la surface son précieux butin. D'après le poids -il ne pouvait se tromper- il allait certainement cueillir là la plus belle prise de tout sa longue carrière. Étrangement, pourtant, l'animal ferré ne se débattait pas, cette fois. Lentement, faisant durer le triomphe, il se pencha par-dessus le rebord de la petite péniche pour contempler le poisson insolite. Un dernier toussotement joyeux s'étouffa dans le fond de sa gorge...

De ses yeux ébahis, perclus, le pauvre homme fixait son regard vide dans celui sans vie d'une adolescente, ou du moins, une partie seulement de celle-ci. Son corps dénudé avait littéralement été tranché de la clavicule jusqu'au haut de la hanche opposée. L'hameçon s'était solidement accroché à la chair rigide de l'un des bras du cadavre bleuâtre. L'autre moitié de la victime reposait indubitablement en paix dans les tréfonds vaseux du Lac Bodom, aux portes de l'Enfer. Tout comme celle de la dépouille, la bouche figée et ouverte du triste figurant de cette histoire morbide aurait voulu crier, sans en être en mesure, toutefois. Sortant avec horreur de sa torpeur, le vieillard porta maladroitement la main à sa ceinture, brandissant gauchement un couteau émoussé, et trancha d'un geste lourd la corde qui retenait la jeune femme trépassée à la surface de son tombeau singulier. Alors qu'elle sombrait à nouveau vers les noirceurs, rappelée par la Mort elle-même, l'ancêtre se détourna avec dégoût puis entreprit de regagner prestement la rive la plus près.

Les jambes tremblantes, la démarche mal assurée, sautant pesamment sur la plage sablonneuse de Bodom, il laissa là son embarcation et ses avoirs, résolu à se rendre le plus brièvement au village narrer son récit sordide au seigneur de l'endroit, ainsi qu'avertir les habitants du drame. Contre toute attente, levant soudain les yeux, il aperçut devant lui un campement abandonné, la tente en toile blanche déchirée à plusieurs endroits. S'en approchant prudemment, méfiant, il remarqua avec stupéfaction de larges traînés de sang sur le tissu tailladé. Divers objets jonchaient le sol, aux alentours immédiats. Une lanterne avait été fracassée, alors qu'un poêlon sale reposait tout près du vestige d'un feu de camp. Aussi, les ossements carbonisés dans les cendres encore fumantes attirèrent bien vite son attention. Le pêcheur éprouvé contemplait la scène comme si ce ne fut qu'un simple et terrible cauchemar, gémissant d'incompréhension, marmonnant quelques paroles incompréhensibles, pour lui-même, pour lui seul.

Peinant désormais à mettre un pied devant l'autre, immergé dans ce monde de désolation, il lui semblait être enchaîné par les fers des Enfer, avec comme seul geôlier, la Faucheuse, implacable, impassible, avec comme dernière amie, l'Épouvante. Il hurlait de souffrance, tant son enveloppe charnelle, linceul tissés des souffrances existentielles, l'insupportait. Non... Ces cris déchirants ne provenaient de lui. Machinalement, d'un regard obstinément voilé par l'irréel, il cherchait rêveusement d'où émanait cet appel mortuaire. Le vieillard repéra enfin le corps ensanglanté d'un homme dans la vingtaine, avec encore devant lui toute la vie, pourtant. Il se traîna jusqu'à lui, puis avec une force qu'il ne se soupçonnait guère, le jeta sur son épaule frêle. Lentement, chancelant comme une bougie bravant le vent sibérien, l'ancêtre se dirigea vers la bourgade de Bodom, se souvenant à peine du trajet, tant son esprit s'était dilué en présence des plus vils démons, fidèles suppôts de la Mort...

... Quelque chose de sauvage flottait dans l'air, à Bodom...

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Saga aussi disponible dans la bibliothèque de l'Ordre Lux Ferrer Cerberus

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Edité par Loxias le 07/07/08 à 05:17

Vadim | 07/07/08 16:33

À force de circonstance, je crois que la faucheuse est devenue l'emblème de Bodom ;). Encore bravo :D

Vormonta | 07/07/08 17:24

J'aime toujours et encore. Vous avez Vadim et toi beaucoup d'inspiration en ce moment et tous le monde en profite merci à vous deux pour vos récits.;)

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