Forum - Délire et démence [Conte de Noël]

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Loxias | 24/12/08 21:49

Délire et démence

La neige commençait à envahir les cieux alors que la foule affluait vers le forum. L'hiver approchait et la fin des récoltes automnales se fêtait avec excès dans la métropole. Richement vêtue, l'aristocratie se mêlait aux habitants venus des campagnes lointaines pour profiter, eux aussi, de l'événement annuel. La masse grondait dans la cité bondée où se bousculaient hommes, femmes et enfants. Acculée à l'entrée du centre-ville ceinturé d'une haute palissade en pierre, la populace s'impatientait. La dernière avant les festivités du nouvel an, la foire de l'Action de Grâce tardait à débuter. Depuis les premières heures du matin, les commerçants installaient leurs étalages sur la place publique, devant le regard brûlant d'envie de la population désireuse de se déverser sans retenue dans l'enceinte du vaste marché central. Pourtant, la place publique restait obstinément barrée jusqu'aux douze coups de midi, l'heure d'envoie tant attendue.

La plèbe s'écrasant contre les grilles de l'entrée ébranlait les fondations des portes immenses, telle une armée assiégeant le bastion d'une forteresse. Les flots humains léchaient inlassablement la grève de l'acropole baignée par une marée de consommateurs impétueux. Insatiables et voraces, les créatures des profondeurs les plus mièvres mêlaient leur clameur à la tempête terrible, tumultueuse, annonçant l'ouverture prochaine du grand portail derrière lequel brillaient mille richesses. À l'éclat aussi superficiel que les rayons lunaires, ce trésor enivrait autant la noblesse, la bourgeoisie que la paysannerie, s'accrochant tous désespérément aux larges barres métalliques les séparant de la jouissance ultime. Les yeux levés vers le ciel nuageux, à l'écart, les prêtres tenaient fermement leur croix en priant inlassablement pour le salut humain, demandant à Dieu de pardonner l'égarement de sa plus belle création.

De service pour l'occasion, les gardes de la ville avaient été postés à l'intérieur des murs, de manière à assurer le maintien de l'ordre à distance. Disposés derrière le portail, derrière la large poutre en chêne massif retenant les battants grillagés de l'unique voie d'accès, ils repoussaient avec de longs bâtons les bêtes sauvages en furie. Malgré que les perches leur lacérassent violemment les côtes, le visage déformé par l'excitation féroce d'une euphorie dépravée, les fêtards compulsifs s'énervaient toujours aussi rageusement puis malmenaient sérieusement les charnières affaiblies par la pression constante de cette foule survoltée. Les traits de plus en plus tendus, les soldats rabattaient furieusement la population rassemblée au pied du promontoire de la haute-ville. La garde royale assurait un certain contrôle de la situation mais aux premières lignes, les loups à la gueule béante s'agrippaient énergiquement à l'extrémité des lances, entravant alors dangereusement l'efficacité des officiers en fonction.

Énervée par son premier jour de service, une jeune recrue fut alors désarçonnée. Ayant échappé maladroitement sa perche, celle-ci se fendit entre deux des larges barres métalliques de la grille. Se saisissant d'un des éclats effilés ayant volé à l'extérieur de l'enceinte, un vieillard colérique brandit l'arme sectionnée en direction des soldats dressés de l'autre côté de l'arcade. N'ayant pu réagir assez prestement, le garde désarmé eut la base du cou transpercée par la pointe de bois. Surpris par la douleur sourde lui traversant le corps, il ne s'écroula sur le sol gelé que quelques instants plus tard. L'entaille laissait jaillir un flot de sang clair maculant ses vêtements propres. Cédant sous le poids du trépas, le visage buttant lourdement contre la voie pavée, l'adolescent s'étouffait dans un bruit affreux, et ses lèvres serrées ne contenaient que partiellement le fluide sanguin se répandant sur la blancheur du tapis de neige. Sous le regard vindicatif de ses frères d'armes, bercé par la dernière mélodie des ricanements cruels de l'ancêtre, le jeune homme rendait l'âme doucement, paisiblement.

Avant que ses pairs aient pu dégainer leur épée pour châtier la loque les invectivant de la façon la plus vulgaire, le son d'un cor déchira l'air glacée, puis la grande horloge centrale résonna bruyamment. Midi sonnait, la foire débutait, et désormais, plus rien ne pouvait arrêter la masse compacte s'entassant contre les portes grillagées.

La poutre colossale empêchant les volets d'entrée de s'ouvrir craquait à chaque nouvelle vague humaine s'écrasant contre la grille s'affaissant toujours davantage. Enchâssant les charnières robustes dans la paroi de pierre des murs enclavant l'acropole, les longs pieux de fer pliaient progressivement sous l'impulsion populaire. Les soldats reculaient lentement, impuissants, assistant avec horreur au désordre le plus complet.

Pourtant, la barre en bois résistait, alors que s'enfonçai la haute structure en fer massif. Les rugissements gutturaux des bêtes perdant toutes traces d'humanité accompagnaient la plainte du métal et du roc perdant quant à eux un combat sans pitié. Lâchant leur lance les uns après les autres, les yeux rivés sur le portail jusqu'alors imprenable, les gardes royaux s'immobilisaient, béats d'inquiétude.

Pas un des membres de la compagnie ne fit un geste, lorsque les dernières tiges retenant en place les battants des énormes portes cédèrent, dans un craquement sonore. Pas un n'esquiva, lorsque l'immense pan métallique se renversa sur eux, les broyant net.

Déjà, piétinant décombres et dépouilles, s'engouffraient frivolement les hordes de consommateurs ayant gratté jusqu'au fond le tiroir de leurs économies, espérant pouvoir bénéficier des offres alléchantes de la grande foire de l'Action de Grâce.

Déjà, voyant le déluge envahir les rues du marché public, un sourire radieux, les commerçants exhibaient fièrement soierie luxueuse, épices coûteuses, ou pommes bien rouges, fruit interdit, fruit de la discorde, alors que chacun poussait, mordait et hurlait, pour être le premier à se saisir des produits en quantité limitée.

Dommage que la bête humaine n'eut point regretté la mort et l'injustice, ce jour là...

Dommage, d'hommage à l'humanité...

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