Forum - Une histoire peut en cacher une autre

Eigoel Nahb | 19/04/09 14:52

L'homme tremblait de tous ses membres. Ses doigts crispés sur son luth trahissaient la peur qui lui tordait les boyaux. Il fixait la dague pointée sous son nez et ne la lâchait pas des yeux, priant un quelconque dieu pour qu'elle ne dérape pas. Le barde déglutit. Difficilement.
Elle, le fixait. Sans vaciller. La main était robustement fermée sur la poignée de sa lame, beaucoup trop proche du visage de sa victime.
Il avait du mal à se concentrer.
Elle s'amusait.

-Mais... Pourquoi... m'avoir gardé en vie ? Hésita le malheureux.
-J'ai besoin que tu contes à tous ce qui s'est passé ici. A tous ceux qui te poserons des questions. Répondit Eigoel.
-Si je puis me permettre... Ce n'est point flatteur... pour vous... Fit-il remarquer.
-Nous allons arranger quelques détails que tu vas apprendre par coeur. Je ne voudrais pas que les gens se fassent de fausses idées et ne me jugent trop rapidement. Ironisa-t-elle.

Derrière eux, les flammes dansaient et rugissaient. Bien qu'elles soient à plusieurs dizaines de toises, les deux êtres pouvaient sentir leur chaleur, et humer l'odeur pestilentielle dégagée par la fumée. Le barde tira sur son col nerveusement, et tira son chapeau de feutre bleu nuit pour essuyer son front reluisant de sueur.
Eigoel sortit tranquillement d'une poche intérieure de sa cape une pipe en bois abîmé. Elle reprit d'un ton calme, tout en remplissant le foyer d'herbe à fumer.

-Pour commencer, je n'ai pas perdu patience. J'ai juste... accéléré les choses.

A l'aide de sa pierre à feu, elle embrasa le foyer de sa pipe et tira quelques bouffées d'une épaisse fumée. L'homme restait silencieux.

-Huit lunes de négociation dans le vide. J'ai horreur de perdre mon temps avec des broutilles. Dans notre version, ce n'est pas moi qui ait lancé l'assaut. Ce sont ces gens, ceux qui ont abusé de ma souplesse, qui ont organisé un attentat contre moi. Je n'ai fait que réagir. Tu comprends ?
-Oui, damoiselle... Ce sont eux qui ont cherché les noises...
-Exactement. Je n'ai fais que me défendre, moi et le continent. J'ai conquis ces terres avec d'autres seigneurs et compte bien y préserver l'ordre et... la paix. Ces trouble-fête ont choisit de se rebeller. Je ne pouvais pas laisser le mouvement déborder. Ils auraient pu être un danger pour les autres habitants de Turpalidhil.
-Oui... Vous avez donc... maintenu l'équilibre.
-Tu comprends vite ! Applaudit Eigoel avec un large sourire satisfait. Bien, continuons. Voyant qu'ils perdaient du terrain face à mon autorité, les vandales ont mit le feu aux granges et aux moulins. Moi et mes hommes n'avons malheureusement pas pu contrôler les flammes, et l'incendie s'est étendu sur tout le village où se réunissaient les mutins, ainsi qu'un petit bout de forêt. Mais que les gens se rassurent ! Je ferai reconstruire une petite ville au même endroit, où j'y logerai des Turpalidhiliens digne de confiance, qui ne seront pas un danger pour l'ordre public.

Le barbe acquiesce mollement. Il retient de justesse un soupir, songeur quant à la tâche qui l'incombe.

-Est-ce tout ? Se permit-il.
-Mmh... Oui. A toi d'enjoliver ensuite. Tu y étais, tu sais donc mieux que quiconque ce qui s'est passé ici. Oh, et une dernière chose... - La dague se pointa à nouveau sous l'oeil de l'artiste - Si j'entends quelque part une autre version que celle que je viens de te raconter, c'est ton arrêt de mort qui est signé !

Le pauvre homme gémit et recule de quelques centimètres, tentant d'échapper à la dague. Eigoel reprend une bouffée de sa pipe. Son regard scrute le musicien un long moment, puis elle rengaine son arme, et se lève de la souche de bois sur laquelle elle était assise. Le barde n'ose pas bouger. Il reste tétanisé, assis sur sa vache morte.
La jeune femme contemple le ravage un peu plus loin. La fumée de sa pipe s'échappe d'entre ses lèvres. Au loin, le feu dévore tout. Il ravage les maisons, détruit les corps inanimés, et réduit en cendre les travaux de plusieurs vies.
Mais Eigoel ne ressent aucune culpabilité, aucun regret. Au fond de sa pupille droite, une discrète étincelle noire scintille. Elle veille...