Forum - [Dixième Baal] Apocalypse Two Minutes Ago
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Althâr Anthâar | 22/04/09 15:52
Le silence enveloppe l'Enfer de sa chape de plomb. Il n'est plus de son. Ce mutisme n'est pas celui, incroyable, de l'expectative, d'une foule retenant son souffle et attendant un grand événement. C'est un silence de mort, un silence agressif, dans un certain sens, comme celui des sauvages plaines où vivent les plus terribles prédateurs. Pourtant ici il n'est pas de plaine, il n'est pas de steppe, il n'est pas de jungle. Seulement les décombres chaotiques d'un monde qui vient de s'effondrer. Baal est déjà passé en ces lieux, leurs blessures en témoignent avec douleur. Des pierres gisent, ça et là, morceaux déchirés avec violence d'un pan de mur ou d'une cheminée. Des membres arrachés à leur corps jonchent les rues sans pudeur, étalant un peu partout des fleurs qui rougeoient en flaques visqueuses et luisantes ou bien tournant déjà à ce brun foncé que revêt le sang quand il est depuis trop longtemps exposé à l'air. Ce charnier dispersé à ciel ouvert dégage une odeur insoutenable aux âmes pusillanimes. De rares bâtiments tiennent encore debout, portes et fenêtres béantes, explosées parfois, d'où cotonne lentement une fumée noire aux insensés reflets jaunes, à l'aspect mortel, létal, jouant de façon morbide à masquer des cadavres étranges pendus aux rebords dans un ultime effort pour se sauver. La Mort les a saisis, non par surprise, mais ils sont tous figés dans des postures bizarres, que même leurs corps démoniaques n'auraient pas pu prendre naturellement. Les traits crispés des visages visibles sont affreusement déformés, et leurs gueules déchirées en d'inconcevables mimiques semblent pousser des cris qui, par un mystérieux phénomène d'écho, résonnent encore et encore dans la vallée de l'Enfer, rebondissant contre des murailles invisibles. Prisonniers ici, ils emplissent l'endroit d'un tohu-bohu assourdissant qui sonne dans le silence à présent brisé comme des pleurs et des grincements de dents affreusement déformés, comme si le feu, qui brûle ça et là de tristes éléments de cette improbable scène, parvenait à chatouiller les ondes sonores. Il dévore tout, prenant son temps pour parcourir presque amoureusement les courbes sulfureuses des ruines de ce qui demeure malgré tout l'Enfer, et son ouvrage sera bientôt fini, tant la catastrophe, tout sauf naturelle, qui a ébranlé cet endroit, s'est révélé destructrice.
La flopée de charognards difformes qui, jusque là, becquetait avidement les corps flanquant la place, s'égaille dans une même envolée de plumes quand, soudain, Althâr et Celimbrimbor sortent d'un bâtiment qu'ils viennent de visiter. Leur allure tranche avec l'atmosphère de recueillement qui s'installe à présent que le mage a dissipé le sort qui faisait s'échouer les cris des défunts. Ils semblent tous les deux contrariés par quelque chose et parlent fort en gesticulant beaucoup :
« Non ! Non, on n'a pas le temps de faire un bowling avec les restes des démons ! S'époumone l'elfe.
- Mais...
- Alors tu vas me faire le plaisir d'ôter tes doigts des orifices de cette caboche et...
- Mais...
- Et de bouger un peu ! Je veux du sang ! »
Et les charognards, qui volent un peu plus loin, d'exploser en un feu d'artifice de fluides corporels divers.
« Si tu le prends comme ça, abdique le nain.
- Oui ! Oui je le prends comme ça ! On est en Enfer, nom d'un chien ! En Enfer et pas encore le moindre machin, truc, chose...
- Démon, corrigea l'autre.
- Démon, oui, si tu veux, bref, pas la moindre victime à massacrer !
- En même temps, on n'est pas vraiment là pour...
- JE - VEUX - DU - SANG ! » Hurle Celimbrimbor en détachant les mots soigneusement.
La frustration qu'Althâr lit alors dans les yeux de son vieil ami l'empêche d'ajouter quoique ce soit, et finalement il lâche la tête qu'il tenait en main.
...
Ou plutôt, il l'envoie percuter les bâtiments en face de lui.
« Strike ! » Crie-t-il en sautant de joie.
Celimbrimbor ne daigne rien répondre et emboîte le pas au nain qui exécute une petite danse de la victoire en se dirigeant vers les deux seules constructions encore intactes du plan.
Au bout du chemin se dresse effectivement ce qui, à distance, semble être le palais du maître des lieux ainsi qu'un second bâtiment, moins imposant mais tout aussi antique. Ils avancent d'un bon pas, cherchant vainement à se préoccuper d'éventuels pièges tendus par des démons agressifs et violents comme ce joyeux drille d'Asmodée. Pourtant, il n'est pas d'âme pour venir les inquiéter et finalement ils s'intéressent à l'architecture des ruines qui bordent la voie.
Peu de monde le sait, mais l'Enfer demeure un plan fastueux et exceptionnellement beau. De fait, au cours des temps et au long du multivers, de nombreux architectes, dessinateurs, peintres, constructeurs, ont échoué ici, parfois côté torture, parfois côté délices (car l'Enfer n'est pas un plan monolithique, mais propose tant un repos bien mérité à ceux qui le méritent qu'un châtiment approprié à ceux qui l'ont cherché), et ont souvent participé à l'érection des splendeurs de l'Enfer. Il faut avoir vu les allées à colonnades dont les bas-reliefs évoquent les grandes batailles des temps passés et à venir, pour saisir un peu la maestria avec laquelle ces artistes ont décoré les lieux. Car ce plan, hors quelques endroits précis et prévus à cet effet, est tout sauf un plan infernal. Le rouge souvent s'estompe en des myriades d'autres couleurs, et précisément sur ce chemin que parcourent les deux êtres, l'Enfer ressemble moins à ces gravures qui décorent les livres qu'à un décor verdoyant, où coulent quelques rivières et où le ciel bleu surplombe de nombreux arbres aux essences multiples. Même le passage de Baal n'a pas réussi à altérer l'harmonie qui règne ici et ainsi Althâr et Celimbrimbor se trouvent dans un paysage qui semble l'Arcadie rêvée des hommes.
Autour d'eux se révèlent des temples majestueux aux portiques qui ont dû être imposants, comme en témoignent des ruines nombreuses mais en bien piètre état. Sur les pierres antiques, des scènes incroyables se jouent, avec tant de réalisme que certaines figures paraissent se mouvoir sur le minéral inanimé. Loin des odeurs de charnier de tout à l'heure, l'herbe grasse et les fleurs qui bordent le chemin dégagent des effluves doux et de complexes mais agréables fragrances.
Ils arrivent alors devant la gigantesque façade de la bibliothèque, au pied des portes des Archives Infernales, grandioses, magnifiques, intactes. Althâr et Celimbrimbor restent muets devant une telle beauté. Le portique des archives s'élève à plus de vingt mètres de hauteur, soutenu par simplement deux colonnes lançant délicatement des arcs audacieux et entrelacés pour venir assurer l'assise du lourd ouvrage. Sur la grande surface de marbre, gravées par un maître, des lettres annoncent la fonction de l'endroit, tandis qu'en-dessous, en caractères plus petits, une phrase énonce la philosophie de ces Archives : « Tous les savoirs passés, présents et à venir, pour tous, à tout moment. ». Pour décorer les contours de ce fronton, plutôt que de dessiner des frises compliquées et peu visibles d'en bas, les constructeur semblent avoir opté plus simplement pour un relief droit, sorte de petite corniche en marbre qui souligne le propos et s'orne en quelques points de petites fioritures sans prétention.
Sous ce fronton, le vide des colonnes et des entrelacements et, surtout, le vide de quatre niches immenses dans lesquelles dorment des statues non moins grandes, représentant la Mort, le Savoir, l'Amour et la Patience. Ces effigies, d'environ dix mètres de haut, surplombent le visiteur sans les toiser pourtant de leurs regards inchangés depuis des millénaires, l'accueillant, plutôt, avec presque un léger sourire de contentement au coin des lèvres. Telles les divinités tutélaires de la sagesse, elles trônent paisiblement, invitant quiconque à rentrer d'une main amène. Même la Mort semble calme et serein (c'est un homme) en ce lieu si tranquille.
Celimbrimbor franchit le premier le double battant des Archives sans se préoccuper de savoir si Althâr le suit ou non. De toute façon, il le suivra, il le sait. Tout deux souffrent de la même soif atavique de connaissance, le nain plus encore sans doute que le mage. Tout deux alors se perdent pendant quelques temps dans ce temple du savoir, parcourant les rayonnages avec avidité, dévorant ouvrage sur ouvrage, vérifiant des connaissances qu'ils avaient depuis longtemps, en avérant certaines qu'ils avaient induites d'observations minutieuses ou d'éclairs de compréhension géniaux.
Ils ont bien du mal à en sortir et, quand, finalement ils sont dehors, ils ne peuvent s'empêcher de se retourner, rêveurs, vers cet ouvrage incroyable. Pourtant, il ne leur faut pas y rester, et ils savent tous les deux que les attend quelqu'un, autre part.
Ils reprennent alors leur chemin, mais pour un temps beaucoup moins long. Ils en profitent cependant pour admirer la voute céleste et les constellations qui s'offrent à eux grâce à la nuit sombre mais sans nuage. Etrangement, Celimbrimbor sourit, comme par anticipation de quelque chose. Althâr fredonne doucement une chanson reposante. Le tableau serait presque touchant, et touche rapidement à sa fin : les voilà devant la porte d'entrée de la demeure de l'Innommable.
Ils se regardent un instant, comme s'ils hésitaient, et Althâr pose la question :
« Tu vas la défoncer à coup de boule de feu ?
- Non, pas envie.
- Avec autre chose ?
- Non, vraiment, non, pas envie.
- A coup d'épaule alors ?
- Non plus.
- Tu ne vas donc pas la détruire ?
- Pas du tout.
- Très bien. Alors, si tu permets... »
Et le nain de poser la main sur le loquet et de pousser la porte.
Les voici entrés dans le hall de la résidence du grand maître du Plan, et ce qui saute aux yeux, à cet instant, ce n'est pas la décoration intérieure ou le goût exquis dont elle pourrait témoigner, mais les cadavres éparpillés un peu n'importe comment, un peu partout aussi, dans la pièce.
« Baal est passé par ici, dirait-on. Soupire Celimbrimbor.
- Déçu ?
- D'une certaine façon, oui. Les cadavres disparaissent de la salle qui se nettoie d'un seul coup. Je n'aurai toujours pas eu de sang.
- Reste calme. Baal est là haut ?
- Oui, tu l'as senti ?
- Je te rappelle que je suis lié à lui.
- Oh, oui, j'oubliais presque. Enfin, plus pour longtemps, non ?
- Que non. »
L'air de rien, ils se téléportent devant la porte du bureau privé dans lequel Baal les attend. Du moins, ils supposent tous les deux que Baal les attend, même s'ils n'en savent pas grand-chose. Baal est un grand démon, il fait ce qu'il veut, à plus forte raison s'il est désormais le maître incontesté des Enfers. Pourtant, même en sachant qu'il risquait d'être absent à leur arrivée, ils ont préféré venir directement ici, considérant qu'il s'agissait du moyen le plus rapide et le plus propre pour le trouver, plutôt que de devoir retourner l'Enfer pierre par pierre et n'en laisser après leur passage que des ruines fumantes.
Ce qui explique aussi pourquoi Celimbrimbor fulmine. Ils ont réglé la question sur un bête jeu de hasard, et l'elfe avait perdu, laissant finalement à Althâr le choix de la méthode. Et le nain étant parfois un partisan du moindre effort...
Quoiqu'il en soit, ils sont à présent devant la porte simple.
« Celim ! Regarde ! Althâr se précipite sur un ouvrage traitant de l'alchimie à travers les plans. Le légendaire De Opera Magna ! »
Le mage soupire. Ses sens lui apprennent que le démon est de l'autre côté de la porte. Qu'il les attend avec un léger sourire aux lèvres. Que la Mort est toujours à ses côtés. Que les joueurs des trompettes de Jéricho gisent égorgés à ses pieds.
L'elfe sourit de son air le plus carnivore, pousse la porte, et entre.
Althâr Anthâar | 22/04/09 15:53
