Forum - 7-Ténèbres *La Danse des Trois Noires*
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Noir-feu | 20/06/09 20:13
Abîmes givrés, blizzard aux mille lames de glace, transparentes, coupantes, qui déchiquètent sans même frémir des souvenirs, déjà si éthérés, si lointains.
Tornade de noirceur, malmenée par ce vent sans âme, par cette tempête sans merci, qui ne sait plus, ni qui elle est, ni ce qu'elle est.
Temps maudits, inexistence persistante qui ne semble avoir de cesse, que de briser en éclats plus menus encore ce qui déjà est éclaté.
Encore, et toujours, les trames des Trois Noires se dévoilent, machiavéliques entités infiltrées dans l'essence même de tout regard, de toute chose, sans fin, ni début, qu'en sais-je.
Naître. Une fois de plus. Combien y en aura-t'il d'autres? Mystère. L'ombre ne veut le savoir, ou ne le peut, nul ne le sait.
Danser, parcourir à l'infini ces routes qui n'en sont pas, chemins de rêve, ou de cauchemar, hantées par des possibles sans cohérence, de prime abord, mais liés, indissociables pourtant.
Renoncer, une fois, définitive et sans appel, se plonger dans les couloirs du Vide, cesser, simplement, en silence, en paix, enfin.
Éternité, sans objet, parcourue de fugaces aubes ensorceleuses, crépusculaire perception de passagères écumes, brumes insondables, dotées de sens, ou non, qu'en sais-je.
***
Une fois encore, dans les profondeurs de la citadelle ancestrale des Dragons, les arabesques enflammées d'un sombre trône oublié entament leur ouvrage, rappelant des limbes glaciales l'Ainé des Noirs, lui recomposant à la manière d'une horde de tisserands fous un corps, réceptacle d'une âme damnée, qui ne sait que composer un masque d'existence, mais qui a oublié comment être.
Un hurlement ébranle les airs et la pierre, empreint d'une telle peur, d'une telle colère, que quelques moellons se descellent ici et là, craintifs et effrayés.
-NOOOOONNNNNNNNNN!!!!!!
Déjà, les Runes tissent les liens premiers, reliant l'âme à ce foutoir de sang et d'organes qu'est le corps, mais le rituel vacille soudain. Une Porte s'ouvre, abyssale, frémissante de malignité démesurément vorace, une obscurité inqualifiable se précipite avec une frénésie sans égale sur cette âme solitaire, l'englobe en poussant un écoeurant soupir d'aise, la faisant sienne, en ce jour et à jamais. Entre les arabesques d'or qui ornent le trône, un filigrane opaque se trace, presque invisible, qui entoure chaque brin comme le lierre entoure le chêne, s'en nourrissant, prêt pour cela à tuer son hôte impuissant, parasite cosmique issu du pire, le présageant, le permettant.
Dans l'esprit de l'être qui se recrée, une explosion assourdit toute pensée, rideaux écarlates de flammes sanguines qui s'entre-ouvrent, dévoilant avidement l'impensable, révélant ce qui avait si soigneusement été masqué. Les yeux s'ouvrent brutalement, deux joyaux de ténèbres emplis d'une frayeur démente, comme s'ils voyaient la fin de toute chose, responsables de la Chute, le sachant et se sachant prêt à le refaire. Comme un cobra se lovant pour mieux mordre, elle se tord, se ramasse, puis en un instant, se grave partout, ensevelissant chaque pensée de l'être sous son incommensurable force. Elle rejoint enfin les mondes, après avoir pendant tant de millénaires été enfermée à Num: La Première Noire est de retour. Portée ou porteuse de l'âme de l'Aîné des Dragons Noirs, même lui ne le sait sans doute, elle jubile, malsaine, son temps est advenu et plus rien ne peut l'entraver désormais.
Les heures passent, lentement, indicibles de douleur pour celui qui est assis sur l'artefact d'obsidienne. Revenir à la Vie n'est pas chose aisée, chaque pensée doit retrouver une place, chaque sentiment ses sources et ses usages, chaque souvenir se relier à son passé, chaque rêve à son futur. Le Dragon est puissant, son âme trempée dans les feux les plus ardents, mais même lui ne peut retrouver l'exacte place de chaque chose, et revivre chaque parcelle de ses trois vies antérieures est un dangereux exercice. Il sera différent, légèrement si tout se passe bien, totalement autre, s'il échoue. Le risque est colossal, mais il n'a plus le choix.
Enfin, Noir-Feu se lève, lourdement, maladroitement. Il ne regarde pas autour de lui, il connaît ce lieu par coeur. Un soupir à fendre l'âme plus tard, il marche vers la sortie, entamant une nouvelle vie, la quatrième. Fugacement, il se demande combien lui seront octroyées, puis d'un haussement d'épaules, chasse cette pensée, et reprend son envol.
Edité par Noir-feu le 20/06/09 à 20:30
Noir-feu | 21/06/09 03:32
Le cracheur de feu se pose, encore peu assuré, au bord d'une haute falaise qui surplombe l'océan austral, d'un bleu indigo profond. Difficilement, il reprend forme humaine et s'assied, les jambes dans le vide, le regard vague. Ses pensées sont peu cohérentes encore, il peine à trouver un équilibre avec la multitude d'images qui lui reviennent à l'esprit. Sa Soeur lui dirait de ne pas vivre au passé, de l'oublier, mais il n'y arrive pas. Le passé trace les routes du futur, et les conséquences des actes accomplis ne cessent pas parce que l'on veut qu'il en soit ainsi. Un visage s'impose à son esprit, visage qu'il ne reconnait pas aussitôt, tant sont ténus encore les liens entre les choses, après cette renaissance. Il ferme les yeux, laissant l'image se rattacher d'elle-même à divers souvenirs. Le nom de cette personne lui revient, savoir qui tranche comme une lame portée au rouge dans son âme, qui se défend par d'impalpables tentacules de ténèbres. Le combat s'engage, lame brûlante contre tentacules glaciales. Peu à peu, la lame se refroidit, la douleur redevient supportable. Le Dragon a une pensée subite, écarte d'un geste brusque sa chemise, observant sa peau à l'endroit du coeur. Il fronce légèrement les sourcils en constatant que le tatouage discret qui devrait s'y trouver a disparu. Il doute, n'était-ce donc qu'un rêve? Pourtant, il se souvient avec précision de ces instants, et ce qu'il sait des Runes Dragonniques lui indique que ce n'est pas le genre de chose qui devrait disparaître, même lors d'une manipulation comme celle effectuée par le trône.
Un cormoran passe, piaillant avec force, distrayant l'attention du dragon. Le regard de ce dernier suit un moment l'oiseau, puis se pose sur une lointaine chaîne de montagnes, au nord. Le nord...il y est né, la première fois, à moins que ce ne soit la deuxième, ou, plus probablement encore, les deux à la fois. Il porte deux mains tremblantes à ses tempes, tout s'emmêle, paradoxe de vies simultanées qui se sont ensuite réunies, embrouillant tout, ôtant toute logique, toute cohérence à l'ensemble. Vicieusement, une autre image se manifeste, visage toujours, plus récente vision, il le pressent obscurément. Là encore, il laisse la vision se rattacher à...à quoi? Étrange lieu, sombre, enfumé, relents d'alcools, certains frelatés, sueurs âcres, parfums entêtants à la douceur écoeurante qui ne couvrent que piètrement les autres odeurs inavouables. Une taverne, sans doute. Oui, c'est à cela que ce visage se rattache. Mais autre chose attire son attention, à peine visible, derrière ce visage. Intense concentration, il plisse les yeux, cherchant à discerner de quoi il s'agit. Une garde...oui, une garde d'épée. Pourquoi diable attire-t'elle ainsi son attention? Vague brutale, tout se mélange, se fond en grisaille, qui se fend soudain d'un regard brûlant. Feu...colère...guerre...mort...invocation...vengeance...douleur...peur...doute...dégoût. Le Dragon Noir ne saisit pas, trop d'inconnues, encore. Inconnue...oui...il se souvient plus précisément, maintenant. Une femme, chevelure de flammes, regard à la fois triste et joyeux, assuré, le regard de quelqu'un qui a vu la mort en face, qui l'a regardée droit dans les yeux. Les deux images se percutent avec violence, laissant le guerrier tremblant, épuisé, l'esprit embrumé.
Sans réfléchir, il se relève, reprend forme reptilienne et suit les vents, se laissant porter sans se soucier de leur direction. Ne plus penser, laisser se mettre en branle ce qui doit se mouvoir, laisser se figer ce qui doit sommeiller, cela le soulage, un peu. Quand quelque chose doit advenir, peu importe la lutte, peu importe la révolte, l'univers conspire dans son ensemble à la réaliser, comme le disait un sage humain*. Les vents n'échappent pas à cette règle, ils déposent le Dragon non loin de la Taverne, lieu de sa mort. L'esprit à mille lieues de là, le dragon redevient humain, se dirige comme un pantin vers son destin. Qu'il soit écrit ou non n'y change rien, il entre lentement dans la salle patinée par les siècles, son regard vide parcourt cet endroit si souvent fréquenté. Un choc le fait presque tituber: ce visage...le guerrier ferme brièvement les yeux, cherche un repère pour stabiliser la ronde effrénée qui domine son esprit. Il voit le linteau de la cheminée, encore taché de son sang, brisé par son corps la veille, l'univers entier vacille autour de lui. Il se souvient de l'impact, puis du visage de sa Soeur, puis...plus rien. Des voix s'élèvent:
-Bonsoir Maitre Dragon.**
-C'est à moi de vous offrir un verre ce soir.**
Son regard se porte à nouveau sur ce visage, la seule chose nette qu'il perçoive, la seule chose qui lui soit un tant soit peu familière. Feu...douleur... Il avance, lentement, s'approche de ce regard qui le fixe, envoûtant, mystérieux, perplexe, aussi. Il s'arrête à trois pas, les yeux soudain irrésistiblement attirés par les mains de la jeune femme. Aucune pensée cohérente, seul son instinct le meut, quelques mots s'échangent, elle retire ses mains, comme gênée. Les voix s'élèvent à nouveau:
-Vos propos semblent incohérents.**
-Si je vous parle de Sagesse, ça vous rappelle quelque chose?**
Une lueur perce le brouillard, les engrenages complexes de l'esprit du dragon se remettent en route, ses souvenirs s'ordonnent, d'abord lentement, puis de plus en plus vite, bientôt assez pour qu'il réalise ce qui se passe. A tâtons, il reprend pied dans la réalité, la Vie reprend ses droits, le Seigneur d'obsidienne respire profondément, sourit, songe que cette fois il n'est pas passé loin de la Fin. Un éclat de rire intérieur le secoue, une pensée moqueuse jaillit, claire, emplie de défi: Certains auraient fêté toute la nuit sa disparition, qu'ils attendent donc encore un peu! La soirée se poursuit, ou commence, selon le point de vue. Noir-Feu découvre peu à peu son "nouvel" être, redécouvre le rire. Il ne connaît guère les personnes présentes, leurs noms, et quelques histoires, tout au plus. Lancwen de Sigil, la Matriarche, Raguël, l'Elfe cynique, Lekka, la jeune femme au visage envoûtant. Puis plus tard, l'architecte, un vieil ami qu'il avait cru disparu. Etrangement, il est heureux de leurs présences, même quand Raguël lui lance:
-Si je ne m'abuse, vous êtes fiancé, non?**
-Elle est morte. répond le Dragon, qui semble presque totalement détaché de cette tragédie.
Il ne le réalise pas, mais les protections érigées à Num ont acquis une efficacité implacable, terrible et salvatrice. Il ne le comprend pas encore, mais la Première Noire cible immédiatement la défense, la transition est presque imperceptible, à peine une seconde plus tard il rit à nouveau. Les heures passent, parsemées de rire, l'architecte entame une gigue tribale, Lekka et Noir-Feu dansent, se découvrant des origines proches, rient encore. Puis, peu à peu, la fatigue et le devoir reprennent leurs droits, la taverne se vide, chacun reprend sa route. Le coeur léger, le Dragon reprend le sentier de la forêt de Dana, se réjouissant des jours à venir comme il ne l'a pas fait depuis de nombreuses lunes. Dans les abysses de son inconscient, le Première Noire rit longuement, les graines de son oeuvre sont semées.
* Adaptation personnelle d'une phrase de Paulo Coelho tirée de son excellent livre: L'alchimiste.
**Il se peut que ces propos aient été légèrement altérés, je prie donc leurs auteurs respectifs de pardonner mes manquements de mémoire s'il y a lieu.
Edité par Noir-feu le 21/06/09 à 03:34
Bart Abba | 21/06/09 15:19


