Forum - Les Corrompus I. Chevaliers d'éon

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Sanaga | 10/08/09 23:33


-Sa Grasce le Duc Amalric de Brehamont!

Amalric dissimulait à grand peine le sourire naissant qui fendillait les stries de son visage dur et altier. Le maréchal d'armes assagit l'audience d'un bref coup de bâton. La lumière blafarde qui perçait faiblement des vitraux n'illuminait la grande salle que selon des teintes monochromes et solennelles. Longue, bondée, la salle avait pour l'occasion revêtu ses plus belles parures; un tapis molletonné, pourpre et interminable sur lequel on osait à peine poser le pied; un sol de marbre gravé de scènes homériques, des tentures de laine tressée aux motifs historiques et proprement dhiliens, que les plus fins aristocrates évoquaient avec ravissement du bout des lèvres.

L'objet des curiosités n'était pas tant l'ornement que le roi Lunnar, sis sur son trône, seul demi elfe parmi la masse humaine, phénomène de curiosité mêlée de respect. Devant lui, le Duc Amalric posa genou à terre, l'échine courbée comme en de très rares occasions. Pour les sujets du régnant, le duc était un homme intègre et droit. Pour Lunnar, l'homme s'était avéré être en tout temps d'un soutien politique et militaire sans faille. Pour sa femme, qui avait brusquement trouvé bonne retraite au couvent, Amalric était un salopard fini. Mais pour son petit fils, tête blonde qui l'observait pour l'heure sur la pointe des pieds, il était un pur modèle d'admiration. Quant à ses propres sujets, bien que ne ployant pas sous la taxe, ils trouvaient de quoi pousser gueulante, de temps à autres. En d'autres termes Amalric avait tout d'un bon seigneur. Il resta ainsi prostré alors que son fils aîné, Aimlin, s'agenouilla en retrait, présentant à bout de bras les armes de son père. Ceci fait, Amalric put enfin déclamer, de sa voix grave et vibrante.

-Nous, Amalric, Duc de Brehamont, reconnoissons comme notre suzerain, sa majesté le roy Lunnar, régent de GoldenBoydhil par la grasce des armes, et par la mesme renouvellons notre allégeance envers luy et ses pairs. Nous luy devons respect (obsequium), aide (auxilium) et conseil (consilium), ainsi que notre protection s'il venait à entrer en conflit contre l'ennemi.

L'assistance observa quelques secondes de silence, avant que que le vidame, qui officiait aux côtés du roi, fasse un pas en avant, apportant au duc de Brehamont et son fils un parchemin déjà entériné, n'attendant plus que le scel du duc. Une fois que le fils de Brehamont l'eut estampillé, Lunnar, le roi silencieux, se pencha en avant. Amalric scella le lien vassalique par un chaste baiser qu'il déposa sur la bouche souveraine. Toujours accompagné de son fils, il s'inclina, reculant sur le tapis où un autre ne tarda pas être appelé par le maréchal d'armes.

-Sa Grandeur, le Comte de Noctade!

Les sujets retenaient leur souffle, dans l'émoi pieux et statique de ceux à qui une apparition divine se dévoile. La cérémonie de renouvellement d'allégeance n'était qu'un préliminaire, avant le grand Conseil d'éon qui se réunirait, comme à chaque centaine de lunes.
Seul un héraut semblait trouver le cérémonial assommant, bougrement appuyé qu'il était sur sa pertuisane. Fort heureusement pour sa pomme, le mur qui le soutenait n'était pas fait d'argile, lui évitant une gamelle retentissante, l'opprobre générale et une mise-à-pied qui l'aurait fait chuter des nuages où il aimait à rêvasser.

Sanaga | 10/08/09 23:40

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L'heure du revenant, l'instant du revenu, le revoilà, comme Thiber de retour en plaine grâce auprès de son unique maître. À cela près qu'il était plutôt question de disgrâce et de traitrise. Bah. Les pas du baron de Navar l'avaient conduit vers la cité de La Salle, qui allait accueillir le trublion pour la lune qui allait s'en suivre. Les poissonniers poissonnaient, les charcutiers charcutaient. Les maréchaux distribuaient la matraque sur de suspects marchands, non loin de fillettes jouant à la corde sauteuse et de garçonnets se marrant en sautant dans les flaques. Rien que de la gueusaille, qui croyait que Voldaire avait déjà fait l'apologie de l'esprit façon Khan Did. Que du très futile, du très populaire, quand De Navar ne se plaisait qu'à aimer l'obséquieux et l'égoïstement coquet et onéreux. Témoins, les tissus d'excellente facture dont il était vêtu, sans compter la canne au pommeau d'argent savamment sculpté, sur laquelle il s'appuyait, parfois, bien que ne subissant aucun handicap. Comme il aimait à le dire, il valait mieux prévenir que guérir; aussi la chose lui servait-elle à apostropher, ou à rosser, au besoin.

Car après tout, De Navar n'aimait pas tant l'argent que ce qui en résultait, et il n'était pas homme à pester sur le peu de luxure qu'il pouvait encore accorder à ses fantaisies -qui ne lui était plus donné de posséder, mais qu'il s'offrait à reconquérir-. En tant qu'exclu du cercle héraldique, De Navar avait eu son temps de gloire. Ainsi, venait-il d'être déchu qu'il haranguait déjà les places de La Salle, prenant à parti les passants qui buvaient, la gueule grande ouverte, les tissus de démagogies qu'il tissait en bavant de toute sa rancoeur et de son jeune dynamisme. Aussi, les relations ne manquaient pas, à la Salle, pour un jeune Baron désireux de refaire le monde, bien que dans les hautes sphères, dans le castel de La Salle, il n'eut pas été le bienvenu.

Morne voyage pour le bel arrogant? Lui même se réjouissait de l'anarchie sans limite que cela allait être pour le Conseil d'éon, déjà méprisé par ses soins. C'était bien le petit homme qui était là, venu manger dans l'auge de son ancienne phratrie. Non pas que son petit fief ne lui plaisait pas, mais soumettre toute une province à son bon vouloir avait quelque chose d'irrésistiblement attrayant.

Encore quelques pas dans la cité, et il retrouva sans mal l'Auberge du Lion d'Or. Beau nom, mais abscon, qui ne voulait rien dire en soi, si ce n'est que seule une clientèle de notables y séjournaient, ou y cuvaient à loisir en faisant affaires. De Navar poussa la porte du bout de sa canne, jetant à peine un coup d'oeil à l'intérieur avant de plaquer contre le carreau d'entrée un parchemin écrit par ses soins, afin que chaque passant puisse en apprécier le fin tracé.

**A tous ceux qui ouïront, liront ou se feront lire,

Qu'il soit dit que le Baron de Navar, en cette période de conseil, est de retour en la cité de La Salle.

Que sa présence ne doit en aucun cas nourrir de mauvaises rumeurs le concernant.

Que sa visite n'est en rien protocolaire, qu'il n'est nulle intention de faire propagande envers le régime conservateur installé.

Que le Baron souhaite poursuivre son pèlerinage, dans toute la discrétion qui lui est due.

Que cela soit dict et su.**

Ainsi donc le Navar marquait-il à nouveau son territoire, comme on aime à essuyer ses bottes crottées sur le seuil du voisin. Il aimait à faire parler de lui. Les chevaliers ne tarderaient pas à avoir vent de sa présence, et cela les contrarierait terriblement. De Navar sourit pour lui-même; il ne lui en fallait pas plus; pour l'instant.

-Aymeric? Aymeric De Navar?

Pivotant sur lui-même, le sourcil tendu comme un arc bandé, le Baron observa son premier interlocuteur. Une poignée de secondes lui suffirent pour reconnaître le notable rondelet, vêtu d'un pourpoint sombre tiré par quatre épingles, et dont la tête reposait sur une collerette. Guillem, qui par le passé avait souvent manigancé avec lui, non pas par conviction, mais pour passer le temps. Guillem était un crétin. Pas un crétin ignorant, non, mais influent. De Navar se trouvait presque heureux de le voir là. Aussi eut-il l'obligeance de lui retourner un sourire névrosé.

Le notable se disait médecin, apothicaire. Il faisait parti de ces explorateurs chevronnés en médecine, se réunissant en assemblée fermées afin de délibérer des meilleurs pratiques chirurgicales et avancements en médecine, autour de bourbons dont ils se grisaient la panse et le porte-Po. Outre le fait que Guillem ait un nom à coucher dehors, il était de ces praticiens par excellence qui vous coupaient un coin de gorge afin d'évider le Mal. La saignée, appelait-il ça. Mode très tendance en ces périodes de pandémies cholériques; plus fashion, tu crèves. De Navar lui serra précieusement la main, avant de poser sur la table ses gants de cuir matelassés, à côté desquels un garçon de service vint lui poser un fond de cognac:

-Bienvenue, Baron.
-Merci mon brave, vous estes bien urbain.
-Allons bon, insista Guillem en posant son considérable séant, que la chaise d'osier cueillit avec un grincement plaintif. Je te connais assez pour savoir que tu as de mauvaises idées en teste.
-Tu me connais sans doute trop, pour m'aboyer des tutoiements chaque fois que je m'en reviens à La Salle.
Guillem gloussa dans sa collerette. De Navar prit place, blasé, comme s'il ne s'était absenté que deux jours, depuis la fois dernière.
-Cette fois encore, les chevaliers vont se réunir pour tenter de retrouver les manuscrits.
-Oho. Toujours à vouloir reconquérir ce qui déjà est conquis?
-Erreur. Je récupère ce que l'on m'a laschement volé, et qui me revient, à qui de droit. J'ai une longueur d'avance sur eux, et j'ai un plan.
-Hmm. Amalric?
-Lui mesme. Et son fils. Et le fils de son fils.

De Navar but une gorgée d'eau-de-vie, un auriculaire revanchard et maniéré brandi vers les cieux. Guillem se frotta la barbe, sceptique. Mais comme toujours, le baron avait l'air sûr de lui. Durant la demi heure suivante, il écouta le baron lui exposer grosso modo ses idées. Puis Guillem dut s'excuser pour aller faire un peu d'air dans sa vessie. Quand il revint, ils discutèrent pendant près de trois heures.

Edité par Sanaga le 10/08/09 à 23:47

Fanfan | 11/08/09 00:30

Chouettos tout ça !

(Et bonne idée d'envoyer la bande sonore avec ;))

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