Forum - La quête des Légendes : Le vent : Réveil
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Celimbrimbor | 27/09/09 11:28
La nuit pesait sans lourdeur sur la demeure sylvestre où se calfeutraient les deux amants qui ne pensaient plus aux alentours ni aux agitations qui les parcouraient. La forêt protectrice ne laissait rien passer des rumeurs du monde et détournait tout ce qui ressemblait de près ou de loin à un messager vers des endroits plus propices. La tranquillité était la maîtresse seconde de la petite clairière où la rivière formait un bassin agréable et étrange. Rien ne pouvait troubler le calme du lieu, ni personne sans l'autorisation de la dame des bois. Pourtant, allonger sur le dos, le regard perdu dans le vide au-dessus de lui, Edward Kinsley ne dormait pas.
Le vent n'était plus là. Le murmure agréable du vent qui ne le quittait plus depuis qu'il avait été maudit n'était plus là. Les paroles violentes du vent qui venaient parfois le tourmenter n'étaient plus là. Le vent n'était plus là.
A côté de lui Elenna respirait profondément, sa poitrine soulevant régulièrement le drap de soie. Son visage parfait n'était en rien troublé par l'absence de ce qu'elle ne sentait pas. Un sourire serein reposait sur ses lèvres et, un instant, Edward eut envie de motiver ce sourire d'un tendre baiser et de noyer son désarroi dans des ébats sans fin, mais sa pensée ne dépassa jamais le stade du possible.
Le vent n'était plus là. Les crachats innommables qu'il expirait dans la pluie n'étaient plus là. Les caresses fugaces et les saluts qui laissait filer dans l'air délicat du soir n'étaient plus là. Le vent n'était plus là.
Kinsley se retrouvait coupé du monde pour la première fois depuis sa rencontre avec le sorcier sur ces terres désertes où le sang n'avait que trop coulé. Il réprima un frisson et secoua la tête pour empêcher les souvenirs de sa première mort de lui revenir en mémoire trop brusquement. La folie ne le saisissait plus mais il doutait toujours qu'un jour elle ne revienne, plus forte que lui.
Le vent n'était plus là. Les racontars qu'il lui rapportait chaque seconde que le temps égrenait dans sa course sans but n'étaient plus là. Les nouvelles qui naissaient aux quatre coins des cieux n'étaient plus poussées jusqu'à lui. Le vent n'était plus là.
Il cligna lentement des yeux pour chasser la poussière qui s'était déposé dessus depuis qu'il les avait ouverts, quelques heures auparavant, quand tout avait cessé. Sa vision n'en devint pas plus nette pour autant et toujours le plafond restait vide et vain comme le monde autour de lui. Ses pensées s'agitaient en tout sens pour chercher une raison à cette aphonie soudaine et n'en trouvaient point.
Le vent n'était plus là. La voix qui hantait ses jours et ses nuits s'était soudainement tue. La trame qui tissait son passé et contait son futur s'était éteinte. Le vent n'était plus là.
Et puis il pensa à lui . Seul lui en était capable. Eteindre un élément ne lui faisait pas peur. Après tout, rien ne lui faisait peur et il détruisait comme il créait, sans faire attention. Son esprit se fit un froid couteau. Il l'avait vu commettre trop d'atrocité chaque fois qu'il lui demandait de l'accompagner pour une besogne ou d'une autre, mais jamais il n'aurait cru qu'il s'attaquerait à lui, même indirectement. Il avait beau être son employeur, plus que cela, son protecteur, il n'avait pas ce droit. Edward gardait cependant son calme. Des années à le côtoyer lui avait appris à lire au-delà des lignes. Une action était toujours un prétexte à une autre ou la conséquence d'une précédente. Sa logique était impitoyable même si faillible puisque, plus que tout, il avançait sans se retourner et réalisait ses plans quoiqu'il en coûte. Il lui fallait rester calme. D'autre part...
Son regard se posa de nouveau sur sa compagne et la colère qui menaçait d'exploser à tout instant se dissipa quelque peu. Il ne pouvait se lancer dans un combat qu'il perdrait fatalement. Après tout, tel était leur marché. Edward servait sans mot dire en échange d'une seule chose : quand la fatigue de la vie le prendrait, que l'autre le tue d'une vraie mort. Pas de celle qui le faisait revenir à la vie encore et encore. Edward ne voulait plus cette fin. Maintenant qu'il ne vivait plus uniquement pour lui, il ne désirait plus mettre un terme à son histoire de cette façon. Il ramena le drap sur un sein découvert puis recouvrit finalement toute la gorge pour qu'elle n'attrape pas froid. L'homme plongea ses yeux dans ceux fermés de sa dame avant de s'extraire du lit sans un bruit. Elle ne devait pas le voir ainsi. Il passa la fenêtre de la chambre et se retrouva sur une des branches de l'arbre qui servait de support à la maison. Avec soin il referma l'ouverture puis se laissa prestement tomber jusqu'au sol.
Le vent n'était plus là. L'allié de toujours qui lui servit de bouclier dans les batailles les plus rudes ne tournoyait plus autour de lui. L'ami serviable qui amortissait ses chocs par une bourrasque discrète ne se trouvait plus à ses côtés. Le vent n'était plus là.
Edward retint un grognement de douleur quand ses genoux grognèrent contre lui. Il se redressa et pesta intérieurement contre sa presse. Il aurait dû prévoir que la chute serait rude. Mais il en avait vu d'autre et son corps était habitué à ce genre de traitement. De toute manière, il devait faire autre chose. Autant se présenter devant son maître sans armes pour éviter tout risque de conflit. En quelques mouvements rapides, Edward se retrouva nu dans la clairière. Il leva les yeux un instant et inspira à fond. Il pressa son index gauche contre son pouce et la petite lame, plus tranchante qu'un rasoir effilé, sortit en saillie sur un demi-centimètre. Il devait se défaire de son arsenal complet.
Avec des gestes rapides et précis, Edward découpait des ouvertures un peu partout dans son corps. A chaque fois, il en extrayait une lame, une dague, un poinçon, une plaque de métal, un clou. Il mordit dans un morceau de bois quand il dû arracher de ses cuisses la garde et le tranchant d'une petite épée. Plusieurs fois il s'interrompit, en sueur, le regard fou, pensant qu'il allait devoir, plus tard, tout remettre à sa place. Finalement il fit une dernière incision avant de jeter la lame de pouce dans l'herbe grasse où le sang avait remplacé la rosée de la nuit. Il inspira et expira à plusieurs reprises et saisit entre son pouce et son index gauche l'extrémité d'un petit fil de métal dans son cou. Il tira lentement, longuement, arrachant avec une lenteur démesurée les trois mètres de longueur qui trainait dans son corps depuis des années. A la fin, il tomba à genoux au milieu de son arsenal dégoulinant d'ichor, respirant bruyamment, épuisé. La nuit était toujours présente. La lune brillait d'un éclat rouge dans les reflets dans l'herbe.
Il resta ainsi pendant de longues minutes, se calmant, apaisant le rythme de son coeur grâce à la litanie de ses pensées. Ses plaies se refermaient lentement. Il garderait des cicatrices pendant quelques temps. Une ou deux semaines, au moins. C'était toujours le cas quand il pressait sa régénération. Edward jura entre ses dents mais il n'avait pas de temps un perdre. Quand il fut à peu près présentable, il fit appel à un des lutins de la maison, lui demandant de nettoyer et ranger les armes quelque part où Elenna ne les trouverait pas. De même qu'il lui demanda de l'excuser auprès d'elle. Après cela, il leva les yeux au ciel.
Le vent n'était plus là. Le souffle chaud qui égayait l'hiver autour de lui n'était plus là. Le tourbillon surprenant qui le montait jusqu'aux nuages n'était plus là. Le vent n'était plus là.
Kinsley pesta de nouveau. Les nuages. Les nuages étaient immobiles. Plus de vent et voilà que ces navires célestes ne se mouvaient plus. Et puis il réalisa que de toute façon il n'aurait pu les atteindre. Une grande lassitude s'abattit sur ses épaules. Pourtant, il ne se laissa pas vaincre et se mit en marche d'un pas rapide vers l'écurie. Il y choisit un alezan puissant et rapide. Ses réflexes agirent pour lui et il le prépara pour la course en un tournemain. Après avoir vérifié les attaches, Edward se permit un petit sourire satisfait et l'enfourcha. D'un galop rapide, le cheval disparu dans la forêt.
Kinsley ne fit pas attention au temps qui passa tandis qu'il chevauchait à bride abattue vers les terres de son maître. Des jours s'écoulèrent, il en avait cruellement conscience à chaque fois que la pierre qu'il portait dans le dos voulait le ramener auprès d'Elenna. Et puis les demandes cessèrent et il se prit à espérer que sa compagne avait compris et qu'elle l'attendait encore. Il s'arrêta de temps à autres pour permettre à sa monture fourbue de se reposer un peu. Lui ignorait la fatigue. Seule sa presse comptait. A tel point qu'il ne faisait pas attention aux quelques détrousseurs qui voulurent s'attaquer à lui, s'en débarrassant comme de rien.
Les paysages défilèrent autour de lui sans qu'il y prenne garde, dépassant les vallées comme il dépassait les plaines. Tout se changeait, dans son esprit, en une mélodie de couleurs joie, un amalgame désordonné où le ciel semblait parfois vert, parfois jaune ou encore noir, où même l'herbe grasse n'était plus verte mais marron ou orange. Sa lassitude s'était changée en un épuisement avec lequel il avait de plus en plus de mal à composer. Son voyage, néanmoins, touchait à sa fin. Aussi s'accorda-t-il un jour entier pour récupérer avant de repartir, laissant son cheval aller à l'allure qui lui plaisait.
Et puis, une fin d'après midi, fatalement, il passa les portes du domaine de Celimbrimbor et arriva jusqu'au manoir qui reposait au sein de terres qui semblaient avoir souffert mais qui ne souffraient plus, croissant de nouveau désormais. Il constata d'un regard las l'absence du maître des lieux. Plus que tout, il constata l'absence de ce qu'il était venu chercher.
Le vent n'était pas là. Et le vent lui manquait.
