Forum - W et funeste anniversaire

Sanaga | 20/11/09 03:00

[...]

Sous la fine couche de poussière qui envahissait le bureau toujours intact, la trace d'un verre de W subsistait sur le bois, vestige caustique de son défunt propriétaire. Il ne s'agissait pas d'un de ces larges verres, ouverts à fond épais, qui consistaient à verser le liquide sur fond de glaçons. Non, il ne s'agissait pas de ce lèse-W, tout juste bon à tuer les arômes qui constituaient l'essence même du malt. En connaisseur plus ou moins invétéré, Cerbère se les versait dans des verres à cognac. Point.

Si la garde se fichait pas mal de ce genre de détail, elle s'était toutefois dirigée vers l'armoire vitrée où étaient exposés quelques bouteilles de W, rares, paraît-il, avant de revenir s'asseoir face au bureau, verre en main. Aujourd'hui était l'anniversaire de la mort de l'assassin. Un tel événement était-il jour de fête ? Il semblait en tout cas servir de prétexte à la garde qui s'appliqua, la soirée durant, à vider une de ces précieuses bouteilles.

Tel un pantin de chiffon, la garde patientait devant le bureau inoccupé, semblant encore attendre des ordres qui plus jamais ne venaient. Il manquait d'agitation ; le silence se faisait son propre écho. Il manquait une ombre clopinante derrière laquelle s'effacer avec plaisir. Il manquait des heures de palabres, autour d'une table ovale, au sujet d'un quelconque contrat. Où était passé le goût du travail bien fait ? La garde patientait, mais son inflexible neutralité s'érodait au fil des lunes, toujours plus dangereusement.

Cependant, comme un fantôme, elle attendait, toujours, à la même heure précise, l'arrivée d'un Cerbère qui l'écouterait faire le rapport d'une journée, passant au crible le moindre détail. De quelle façon un inconnu avait-il été abordé, et comment avait-on obtenu des informations ; à quel degré de précision une artère avait-elle été sectionnée ; à quelle intensité sonore le Contrat avait-il émis son dernier râle... Et ce chien l'aurait écoutée, avec un air d'ennui distrait, pour finalement hocher sobrement la tête, avant de prendre congé.

La garde se souvenait de la verve leste de l'assassin, et de ses discours, brefs et précis, lorsqu'il s'agissait de faire les choses bien. Quant aux traits du visage de Cerbère, lorsqu'elle tentait de se les remémorer, la garde, bien que physionomiste, notait qu'ils lui échappaient un peu plus chaque lune.

Un frôlement glissa contre la porte. Un Oubli devait déjà rôder dans le couloir. Sanaga redressa mollement la tête. Inutile, rouillée, il lui semblait devenir peu à peu Oubli elle-même. Les reflets cuivrés lui renvoyaient l'image d'un visage dont les traits s'effaçaient peu à peu, ne modelant qu'un faciès fuyant. Son véritable nom et son identité, la garde les avaient déjà oubliés il y a longtemps.

-Qu'ai-je bien pu en faire? Il me semblait vous les avoir donnés, dit-elle en s'adressant au vide.

Sanaga sourcilla devant l'incongruité de la situation, s'arrachant un faible rire, silencieux, ivre.

Las, et puis amère, finalement, elle reposa le verre, encore à demi plein, s'enfonçant dans le fauteuil usé. Elle avait le W en horreur. Un goût avenant aux premiers abords, et puis, une ivresse qui vous prend par surprise. Une boisson qui correspondait bien à l'assassin. Peu à peu, les épaules carréfiées s'affaissèrent, le port de tête chuta, catogan défait, pour sombrer dans un de ces sommeils, lourds et éthyliques, desquels on ne se réveille pas indemne.

[...]
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De Legier Vovlloir Longve Repentance.

Celimbrimbor | 20/11/09 12:01

Je détruirais ce manoir et vous forcerais à créer d'autres souvenirs. Vivre dans ce passé... Vous voir ainsi m'est intolérable.

Eigoel Nahb | 20/11/09 18:19

[HRP : Ton niveau d'écriture me surprendra toujours. Très réussi ! ]

~Eigoel Nahb~

Edité par Eigoel Nahb le 20/11/09 à 18:20

Lancwen de Sigil | 22/11/09 21:38

poignant hommage a un seigneur que j'appréciais.