Forum - La mort de Casmir
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Hitomi | 20/01/07 03:15
« La voile royale ! La voile royale ! Le roi est de retour !! »
La nouvelle remonta vite jusque les hauteurs de Rhyn-la-bleue, partout dans les faubourgs où quand le soir pointait les hommes s'enivraient, on criait le retour du souverain. La clameur grossissait et bientôt des flux constants de foule se dirigeaient vers le port. Le flot grossit et se déversa désormais continuellement vers le port.
Mais au sein de ce flot un homme criait à tous de s'écarter, la cavalerie royale tranchait la masse et derrière lui suivait le carrosse royal. La reine elle aussi se rendait au port afin de guetter l'arrivée de son époux. Les mains serrées contre la poitrine, espérant qu'il revenait sain et sauf et victorieux, Dismei ne s'était pas montrée ces jours-ci, elle ne savait donc rien de ce qu'il en était.
La voiture s'arrêta, la porte s'ouvrit et le valet apparut, la tête inclinée, il tendit sa main gantée à la reine qui s'en saisit et mit pied à terre d'un bond leste quoique encombré par sa longue robe terre de sienne. Trop préoccupée qu'elle était durant le trajet elle ne l'avait pas remarqué mais alors qu'elle portait son regard vers le navire, le silence qui l'encadrait était saisissant. Elle tourna la tête vers les quais, des milliers de gens se tenaient alignés tout son long, allant parfois jusque prendre d'abordage certains navires amarrés afin de mieux voir, allant jusqu'à se percher au milieu des cordages. Toutes ces personnes, qui il y a quelques minutes, s'acclamaient et se félicitaient du retour de leur roi conquérant, tous désormais affichaient le silence d'un deuil, le visage tourné vers le sol.
Soudainement alarmée, Hitomi réorienta brusquement ses yeux vers le navire en approche, il arrivait dans le silence le plus complet sinon le bruit du sillage de sa coque dans les flots, il n'affichait aucun pavillon mais de longues banderoles de tissu noir couvraient en certains endroits la grand voile. Elle sentit les larmes monter. Que faire ? Les laisser couler sans retenue et montrer son allégeance à son époux quoique sans aucun doute mort désormais ? Les retenir et rappeler que le roi est certes mort mais qu'elle est désormais seule souveraine dans ce royaume. Les nobliaux ne manqueront pas de se soulever en invoquant une quelconque règle la désignant illégitime pour le trône... Voilà qu'elle se mettait à penser comme Casmir. Elle ne put les retenir, deux lentes coulées chaudes glissèrent sur ses joues, son maquillage ne manquerait pas de s'étaler, quelle mine allait-elle avoir quand elle devra s'adresser au peuple de Rhyn-la-bleue. Car il fallait qu'elle s'adresse au peuple de Rhyn-la-bleue ! Elle sera celle qui mènera le royaume dans la poursuite de nouv...
Ses pensées durent s'interrompre de manière soudaine, un lourd craquement vint briser le silence qui régnait depuis plusieurs minutes désormais, celui du bois qui s'écrase contre la pierre des quais, à celui-ci vinrent se joindre les ordres du capitaine, le bruit des sabots des marins courant sur le pont, et la clameur inquiète de la foule qui se pressait au plus près possible du navire. La passerelle émergea du pont et vint s'abattre avec fracas sur les pierres de taille, la cavalerie royale fit s'écarter la foule. Hitomi se contint pour ne pas courir vers le pont et elle s'efforça de conserver une démarche digne en s'approchant. Le premier homme à poser le pied sur la passerelle fut un brancardier, Hitomi à la vue du drap blanc qui le suivait ne put plus se contenir et elle courut pour soulever à demi le drap.
Casmir reposait, il aurait pu sembler dormir si ce n'était sa lividité, le roi était mort...
La tristesse l'envahit de son toucher froid, elle ne put contenir le sanglot qui montait, et elle se laissa aller à pleurer sans honte.
La tristesse fit place au vide, les larmes coulaient sans fin, presque mécaniquement mais désormais, Hitomi savait ce qu'elle devait faire. Elle se redressa et monta dans le navire, prit appui au bastingage et se laissa aller dans un premier temps à la contemplation de son peuple. Celui-ci avait les yeux rivés sur elle, elle poussa un long soupir, sécha maladroitement ses larmes, ce qui n'eut pour effet que d'étaler encore plus son maquillage sur ses joues rosies par les larmes.
« Peuple de Rhyn-la-bleue, réjouissez-vous ! Réjouissez-vous en cet instant car s'il est celui de la mort de celui qui fut le roi, si l'homme est mort, la couronne, elle, subsiste !
Peuple de Rhyn-la-bleue, je vous annonce, que je suis désormais seule souveraine de ce royaume et qu'il ne sera pas dit que notre royaume faillira à la mort de son représentant. Je représente désormais la Déesse, je vous représente désormais ! »
A la clameur qui s'ensuivit, Hitomi porta la main à son ventre, en lui repose ton héritier, Casmir se dit-elle en souriant amèrement...
Edité par Hitomi le 20/01/07 à 17:00
Hitomi | 22/01/07 20:10
Les volets en tuile, seul un mince filet de lumière perçait la pénombre dans la grande chambre. Casmir ressemblait à une statue ainsi disposé dans son lit, à ses cotés, assise sur une chaise au bord du lit de son défunt époux, Hitomi avait enfin réussit à calmer ses sanglots. Cela faisait des heures qu'elle restait ainsi assise, immobile, les yeux gonflés et rougis soulignés par des coulées noirâtres sur ses joues.
- « C'est vous n'est-ce pas ? Il ne lui a été porté aucune blessure sinon ce trou à la nuque, tout juste de la taille d'une bille... Ce ne peut être que vous.
- En effet... »
La petite volute de fumée verte était apparue il y a peu autour du pied du lit, semblant danser autour de celui-ci puis relâchant sa prise pour s'en aller flotter au gré de ses envies ici et là dans la pièce.
- « Pourquoi avez-vous fait cela ? Pourquoi avoir repris ce que vous aviez donné ? »
Hitomi conservait l'apathie que seul l'épuisement pouvait occasionner, son regard rivé sur le visage figé de Casmir.
- « Casmir m'a simplement fait défaut deux fois »
Le laconisme de Dismei était éloquent quant à l'indolence avec laquelle elle opérait. Elle avait créé Casmir, il avait été une part d'elle-même par le biais de la bille de fumée verte qu'elle avait insérée en lui avant qu'elle ne lui offre une vie autonome, avant qu'elle ne l'envoie la servir sur Daifen. Et pourtant, comme l'enfant gâté néglige son jouet abîmé, elle s'en séparait comme par caprice, Hitomi devenait de ce fait son nouveau jouet. Celle-ci savait avec combien de prudence elle devrait avancer dans les pas de son époux.
La fumée vint s'emmêler un instant autour des boucles sombres d'Hitomi, la voix de Dismei avait le ton du secret, le souffle qui ne porte exclusivement qu'à l'oreille de son destinataire :
- « Je vais emporter le corps, il lui reste une dernière mission à accomplir... »
Cette fois, Hitomi ne put se contenir, elle se releva brusquement, s'écartant de la fine brume verte dans le fracas de la chaise qui dans l'élan vint heurter le sol. Pourtant, malgré l'emportement apparent d'Hitomi, elle ne hurla pas mais siffla doucement sa phrase entre ses dents:
- « Soyez maudite ! »
Cette fois la fumée s'élargit, inspirant par sa forme le buste nu du fantôme vert d'une femme, riant à gorge déployée.
- « Hitomi, ne sais-tu donc pas que je suis dors et déjà maudite ? Ne comprends-tu donc pas que ta présence ici ainsi que celle de ton prédécesseur ne se justifie que par la malédiction qui m'a frappée et enfermée il y a si longtemps dans la dimension opaque ? Vous ne me servez que pour me délivrer entièrement. Ce vieux fou de Wormius n'a malheureusement pas ouvert suffisamment les portes pour nous permettre de nous arracher entièrement de notre prison. »
La forme éthérée tourna le dos à la jeune femme pour s'approcher de la couche de Casmir, elle se pencha sur lui et vint caresser du revers de ses doigts la joue du défunt, son sourire ne s'était pas effacé et il reflétait toute l'insouciance qu'éprouvait l'entité à l'égard de ses créations.
- « N'oubliez pas vos places mes mignons, vous n'êtes que glaise et vous ne devez votre vie qu'à moi seule »
Prononçant ces mots, son visage s'était tourné vers Hitomi bouillonnant de rage, ne sachant que dire mais sa moue en racontait suffisamment. Elle était écartelée par ce sentiment d'impuissance que lui rappelaient ces deux orbites creuses tournées vers elle.
Les doigts de Dismei coulèrent le long de la joue de Casmir pour atteindre sa nuque où ils vinrent se placer avec plus de fermeté, son bras gauche se plaça sous ses genoux et elle entreprit de le soulever.
Hitomi leva un bras, elle était désormais désespérée mais également pétrifiée et le « non » qu'elle voulut prononcer ne fut qu'un simple souffle.
Tenant Casmir dans ses bras, Dismei se tourna vers elle et élargit encore son sourire, celui-ci semblait presque laisser transparaître de l'affection :
- « Ma chère Hitomi, Casmir n'était qu'un bras à mon service, alors que toi, tu es mon meilleur laboratoire sur les émotions humaines, prends soin de l'héritier, je vais faire en sorte que sa croissance soit accélérée. »
Tandis qu'elle disparaissait silencieusement, Hitomi s'effondra sur les genoux, les mollets en équerre, les larmes surgirent à nouveau. Le corps de son mari avait été emporté, qu'allait-elle faire pour les funérailles officielles ? Il lui faudrait un autre corps, ressemblant à Casmir, qu'elle pourrait maquiller, il lui faudrait... Ses yeux s'écarquillèrent d'horreur, elle saisit la chaise et l'envoya s'écraser contre le mur et cette fois, elle cria :
- « Maudits raisonnements! »