Forum - [DOTA43]Partie I.1 Ces Légendes qui n'en sont pas.

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Sanaga | 06/02/10 21:27

Les yeux rivés sur les sommets d'Hetrandhil, le berger demeurait assis sur le rocher. Les pics se tendaient vers le ciel, déchiquetés par la ruée incessante des nuages. Et soulignant les hauteurs étouffées de neige, la comète étalait sa queue, telle une balafre ténébreuse en travers de l'aube écarlate. Elle perfora les nimbus grisâtres, ne laissant sur son passage que de vagues cirrus déboussolés, s'approchant toujours plus de la terre ferme. Et le pâtre d'en rester seul spectateur, au milieu de nulle part, loin de son troupeau déserteur. En un instant, il la sentit heurter le sol. Cinglé par les vents saumâtres de la rude saison, l'homme restait noué, figé sur son assise comme on contemple une apparition. Ce n'était pourtant pas la froidure qui le tétanisait là, lui qu'avaient ballotté les vents de trentaines d'automnes.

Sur le cul le berger avait chu, sur le cul, il était resté. Et son troupeau éparpillé, bêlant, ruant, galopant à qui mieux mieux. Il en avait vu des choses louches, au cours de sa besogneuse vie ; des vertes, des pas mûres, des pourries. Mais cette fois, il en avait ravalé sa surelle tout net. Une lichette de pampre fermenté, par ci par là, pour la vigueur, le berger y était habitué, ainsi ravigoté depuis ses quatorze ans. Mais il n'était pas sujet à la déraison ; pas plus souvent qu'à son tour. Ses doigts charnus crispés autour de son bâton de marche comme si son âme en dépendait, le front offert aux embruns, il ne remarqua pas de suite la silhouette se détachant du chemin de ronde de la colline, qui avançait lentement vers lui. Rivé, toujours, au sommet duquel il s'apprêtait à revoir surgir la comète noire, il perçut du coin de l'oeil le voyageur s'arrêtant sur le chemin escarpé. « 'jour. » À peine s'il lui répondit, encore en proie à sa vision.

Enfant, alors qu'il avait failli mourir de fièvres hétranes, sa vieille nourrice lui contait au chevet quelques folklores légendaires prestes à l'endormir dans des sommeils expéditifs. Et dès lors qu'il sombrait, que les mots mourraient à son oreille, son esprit sécrétait les vieilles légendes prêtes à renaître. Il voyait, au coeur de borgnon, des aurochs surgir des ténèbres, brandissant dans leur course leurs cornes effilées comme des lames. Surgissant de terre, de gigantesques vouivres s'emmêlaient à ses pieds pour l'attirer vers les profondeurs infernales. Et plus haut, plus noires que les ténèbres qu'elles survolaient, des bêtes ailées déversaient le feu sur terre, consumant jusqu'à la moindre parcelle d'âme vivante. Et, au pied de la montagne constellée de poudrins, l'enfant, à présent homme, croyait revivre ses rêves d'antan.

Perclus dans sa toile de mufle léonin, le berger pénétré de part en part par l'apparition du Bahamut, trop palpable pour qu'il la récuse, se demandait s'il n'assistait pas là à la fin des temps. Près de lui, la voix de l'inconnu, légère et tranquille, voguait sur un flot de paroles qu'il ne captait pas, mais qui le ramenèrent indubitablement à sa condition d'humain. Et cette subite réalité le fit étrangement frémir, victime de terreur à retardement. Il leva alors le doigt vers les pics où s'était échouée la comète, une heure plus tôt. « Là-haut...dit-il, se raidissant comme un simulacre d'idole. Là-haut, je l'ai vu ! Un grand...Grand...Ailé...Et Noir ! Noir comme...comme... » Mais sa voix s'étranglait, et le voyageur poursuivait son récit. Il avait une voix grave, une voix de bronze, à la fois profonde et allègre, légèrement rauque, à peine plus forte que la brise. Une voix de femme.

Mais il ne pouvait seulement s'arracher à la scrutation de l'horizon. « C'était comme un dragon ! S'étouffa-t-il. » Incrédule, la voyageuse lui fit dos pour scruter à son tour le sommet contourné plus tôt. Hélas, son observation ne se concrétisa que par un haussement d'épaules. « J'ai rien vu de tel, finit-elle par lâcher, revenant à son berger.
-L'ai vu, pareil comm' j'vous y vois. »
Ignorant ses allégations, elle continua à parler, mais il ne l'entendait pas. Pas tout à fait. Elle lui posait des questions. Des questions tordues, des questions auxquelles il n'avait pas de réponse. Il était question de direction, il était question d'un scribe, il était question de choses si lointaines et étrangères au fléau récent que le berger s'insurgea, in petto, qu'on eut pu être si borné, si aveugle. « Ça y était comm' un dragon ! Ça y était noir, ça v'nait d'là-haut ! J'pas fou. J'pas fou. J'y ai vu. J'pas fou. »

Et sans même qu'il ne s'en aperçoive, l'inconnue lui tapota l'épaule, lui murmurant quelque conseils avant de poursuivre sa route, ne laissant derrière elle qu'une vague vapeur de fumée âcre. Le berger demeurait éperdu sur son rocher, le doigt pointé vers les cieux. Persuadé de l'avoir vue, la bête. Il en aurait mis sa laine à filer.

Très loin de là, une ombre ciconiiforme observait la scène, nantie d'une redoutable patience. Par delà les lieux, par delà les temps, oeil omnipotent. Et du plus profond de son bec persiflait comme un long et lent boléro, infini et doux, presque imperceptible. La mélodie se répétait, bourdonnait dans le vide, inlassablement, infiniment, tandis que l'oiseau tournait, tournait, tournait...

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De Legier Vovlloir Longve Repentance.

Celimbrimbor | 06/02/10 22:06

Inquiétant.

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