Forum - La quête des légendes : La Mort, troisième partie, Rencontre avec Joe Black.

Index des forums > Rôle Play > La quête des légendes : La Mort, troisième partie, Rencontre avec Joe Black.

Celimbrimbor | 19/02/10 02:36

La porte s'effaça de même que les murs alors que Celimbrimbor en passait le pas. Il n'y prit pas vraiment garde, son regard attiré par le spectacle qui s'offrait à lui, à l'instant. Le mage pensait posséder les mots, peu importe la langue, pour conceptualiser l'infini sans trop de souci, sans se prendre les pieds dans un tapis quelconque. Force lui était de reconnaître qu'il s'était trompé. Étrangement, cette découverte ne le gênait pas. D'une certaine façon, même, il en était plutôt content. Toujours heureux d'apprendre de nouvelles choses. Surtout après ce genre d'épreuve. L'elfe resta cependant immobile. Il ne voulait, ne pouvait pas avancer plus loin. Une répugnance étrange le saisissait à l'idée de poser le pied sur cette surface miroitante, solide, ou du moins qui le semblait, et sous laquelle se reflétaient des myriades de visions différentes, changeantes, mouvantes. Pour la première fois depuis des éons éteints dans la mémoire des hommes, Celimbrimbor se sentit pris par une terreur muette, pleine de respect. Il ne comprenait pas ce qu'il avait sous les yeux. Il n'arrivait pas à le saisir. Sa couleur, sa forme, son odeur, tout lui échappait. Sans parler de sa consistance ou de son goût. Le mage s'aperçu qu'il tremblait de tous ses membres. Un sourire malade apparu sur les lèvres de Celimbrimbor. Il contemplait l'infini. Il contemplait l'infini et tout son être se révoltait à la vue de cette chose qui semblait pourtant si simple, plus tôt, dans les bibliothèques. Toutes les cellules de son corps criaient grâce en une cacophonie discordante, hurlant, se déchirant même les unes les autres dans une tentative de fuite improbable et lui devait se vaincre à chaque instant pour ne serait-ce que rester debout. Même fermer les yeux ne suffisait pas. Cette chose, cette étendue avait une présence suprême qu'aucun mur ne pouvait arrêter. Comme la mer en furie, elle allait avec le ressac, venant frapper les falaises impitoyablement pour les faire s'effondrer. Pourtant, quand la mer montrait parfois des moments de résilience, quand elle se changeait soudain en une protection sereine, comme une mère amoureuse, celle-ci se contentait d'accumuler assaut furieux sur assaut furieux de façon insensée, assurée que rien ne lui résisterait jamais. Et pire encore, l'elfe ne tarda pas à s'en rendre également compte, si les attaques insanes n'étaient pas suffisantes, elle réussissait à s'infiltrer dans les moindres minuscules craquelures, les petites fissures, les ridicules défauts de cuirasse, pour tout détruire depuis l'intérieur comme une furie idiote qui ne s'intéresserait pas des merveilleux ouvrages que l'homme avait dressé au cours des générations et enverrait tout bouler d'un somptueux coup, faisant voler comme châteaux de cartes pris dans le vent les lourdes pierres vivantes et mortes qui sont la mémoire et la demeure des êtres. Aveugle et sourde, force incroyable ignorant la grandeur comme la petitesse, prenant tout et ruinant tout sur son passage, ne reconnaissant aucune autre autorité que la sienne, cette force assiégeait le mage sans hésitation, faisant petit à petit se rompre les remparts de son esprit. Cela ne faisait qu'une seconde, peut-être deux, que Celimbrimbor se trouvait là et il vacillait douloureusement, sa psyché submergée par les pleurs et les grincements de dents qui montaient de la chose menaçant de céder. Et au-delà de ce concert d'horreur s'élevait des cris, des gémissements de terreur ou d'angoisse, il ne saurait trancher, venant de mille et mille voix qui s'exclamaient en un ensemble fabuleux qu'aucun son n'imiterait jamais. Abdiquant sa fierté, l'elfe se couvrit enfin les oreilles pour ne plus entendre les vagissements baroques et se consacrer à recouvrer un semblant de paix intérieure. Forçant tous ses sens à revenir à lui, à cesser d'explorer ce qui ne devait pas être découvert, il mit tout son pouvoir à tenter de se forger une forteresse de dernier recours, en-deçà des ultimes défenses dont il disait fièrement que le Tout lui-même aurait dû mal à les franchir. Une picoseconde, moins peut-être, alors qu'il se fondait aussi profondément en lui-même pour ne pas devenir fou, sauvant ce qui pouvait être sauvé, alors qu'il se calfeutrait dans une citadelle dernière qu'il parachevait dans l'urgence, il cru que ses fortifications pourraient tenir. Il cru qu'il pourrait se sauver. Et puis l'infini frappa un nouveau coup et tout fut réduit en cendre.

Le fier Celimbrimbor, le tout puissant mage, l'elfe qui s'était hissé lui-même jusqu'au sommet de la puissance, l'être qui s'était proclamé dieu esquissa un pas en arrière. Lui qui n'avait jamais fait qu'avancer toujours plus loin, sans jamais ne serait-ce que penser à la fuite, lui qui s'enorgueillissait d'avoir arpenter tous les chemins jusqu'au bout et de n'avoir rien trouvé à leur fin, recula. Sa conscience vacilla, laissant enfin libre cours aux instincts les plus primaires, ancrés profondément dans les molécules de la réalité, fuyant l'entropie, la mort et la douleur comme l'huile fuit l'eau. Ils s'emparèrent immédiatement du contrôle du corps que tout sens avait abandonné et tentèrent de fuir aussi vite et aussi loin que possible. Tel un colosse sans assise, Celimbrimbor s'effondra lentement en arrière, défiant toutes les lois physiques du multivers. Son séant, d'abord, heurta le sol dans un grognement de mauvais augure, son pelvis grimaçant sous la douleur subite qui lui fit oublier l'infini qui donnait l'hallali. Puis se fut au tour de son dos de rencontrer son destin et chacune des vertèbres plia et pleura dans un ensemble dissonant. Enfin, avec la force de l'extrémité d'un fouet habilement manié, la tête de Celimbrimbor se fracassa contre le plancher, creusant un cratère autour d'elle comme si elle était tombée depuis des hauteurs aux mortels interdites. Du sang, rouge, commença à s'écouler lentement de son bassin et de l'arrière de son crâne, tandis qu'une mousse blanchâtre bouillonnait sans relâche aux commissures de ses lèvres, venant recouvrir peu après sa face altière. Un tremblement spasmodique agitait tout son corps et une tache sombre, comme un liquide se répandant, vint fleurir sur son pantalon, en même temps qu'une odeur nauséabonde s'élevait autour de lui.

Étendu là, sur un sol anonyme, Celimbrimbor gisait vaincu.

QUOD ERAT DEMONSTRANDUM.

La porte claque doucement sur son chambranle après que alors que Celimbrimbor en eut passé le pas. Il n'y prit pas vraiment garde, son regard voilé par le spectacle qui s'offrait à lui, en sa mémoire immédiate, à l'instant. Sans même jeter un oeil à ce qui l'attendait dans la pièce, il tenta de réprimer un haut le coeur, échoue et vomit tout ce que son corps pouvait contenir sur le mur le plus proche. Il continua de se vider pendant une longue minute, une sueur froide glissant le long de sa colonne vertébrale, vibrant au rythme des tressautements de terreur pure que son corps n'arrivait pas à réprimer tandis que son esprit cherchait vainement à comprendre ce qui lui semblait impossible.
Il s'essuya la bouche du revers de la manche et s'assura d'être présentable par un sort discret avant de se retourner. La salle était petite. Minuscule. Rassurante. Il laissa filtrer un petit soupire de soulagement alors que son regard prenait les mesures des distances entre les murs. Quatre pas de long, six de large, quelque chose dans ce genre. Il soupira encore. Tout semblait tangible. Agréablement présent. Agréablement calme. Agréablement compréhensible. Il prit quelques minutes encore pour retrouver une composition acceptable et seulement alors posa ses sens sur l'entité qui l'attendait discrètement au milieu de la pièce, debout, encapuchonnée de noir.

« Salutations. Dit-il péniblement après avoir déglutit.
SALUTATIONS.

Un silence gêné s'installa, Celimbrimbor cherchant ses mots. Jamais il n'avait pensé que la rencontre se passerait ainsi. Il ne savait pas comment réagir et l'agression ne lui semblait pas une ligne de conduite très appréciable en ces circonstances. En outre, il ne comprenait toujours pas. Que s'était-il passé ?

C'ÉTAIT LE TEMPS, CELIMBRIMBOR. VOILÀ CE QUE TU AS CONTEMPLÉ.

Le souvenir, mordant, vint heurter de plein fouet les défenses de l'elfe. Fort heureusement, ce n'était en rien comparable à ce qu'il venait de vivre -ou venait-il de mourir ?- et il supporta le coup sans pâlir.

DRÔLE D'EFFET, N'EST-CE PAS ?

L'elfe hocha la tête en silence. L'infini. Le temps. Il n'avait jamais songé à se représenter le temps comme une surface. Cela pouvait expliquer plusieurs choses.

TU Y ES, N'EST-CE PAS ? IL M'A DIT QUE TU COMPRENAIS VITE. ALORS, DIS-MOI.
-Ce n'est pas l'infini, n'est-ce pas ? Demanda Celimbrimbor, presque de façon rhétorique. Le temps, seulement. Sous sa véritable forme. Ou plutôt...
OUI ?
-La façon donc vous le percevez.
BINGO !
-Pardon ?
HUM. AUTRE ÉPOQUE, AUTRES MOTS, PARDON. BRAVO, SI TU PRÉFÈRES.
-Et après ? L'elfe tremblait encore, même s'il ne s'en apercevait pas. Pouvait-il lutter contre cette entité ? Prévaudrait-il comme il avait prévalu contre les quatre éléments ?
TU AS CONTEMPLÉ LE TEMPS SOUS SA VÉRITABLE FORME. MÊME LES DIEUX NE L'ONT PAS FAIT. SEULES DEUX ENTITÉS EN PLUS DE MOI L'ONT PU. COMMENT OSES-TU ENCORE PARLER D'APRÈS ?
-Et alors plutôt ? Il frissonna. Il avait contemplé, mais avait-il vaincu ? Et maintenant ?
C'EST MIEUX.

Le silence s'installa de nouveau, l'être attendant paisiblement que l'elfe digérât toutes les informations qu'il venait de recevoir, qu'il comprît leurs implications. Celimbrimbor s'assit même par terre, laissant les éternités s'écouler les unes après les autres. Ils étaient hors du temps. Il comprenait, lentement, mais il comprenait. Des rouages nouveaux se mirent à tourner. D'autres, obsolètes, s'immobilisèrent et disparurent. Celimbrimbor changeait de point de vue en contemplant, en mémoire, l'étendu infinie du temps. Son esprit se révoltait déjà moins à l'idée d'évoquer cette horreur, puis finit par l'accepter totalement. Son corps aussi, par force.

MAINTENANT...

La Mort reprenait enfin la parole, interrompant les pensées du mage.

MAINTENANT, AVANT QUE TU N'AILLES PLUS LOIN, IL TE FAUT DÉCIDER.

Celimbrimbor resta silencieux, contemplant des lumières s'allumer un peu partout sur les murs, porteuses d'images, de portraits mouvants de lui-même, des dizaines, des centaines même, tous parlant, gesticulant, mourant parfois, gémissant. Il ne comprenait pas.

JE SUIS L'ARCHITECTE.

Celimbrimbor ouvrit des yeux ronds comme des soucoupes.

HUM. C'EST VRAI. CELLE-CI NON PLUS TU NE PEUX PAS LA COMPRENDRE. BREF. REGARDE. CECI SONT LES POSSIBILITÉS DE L'ÉTENDU DU TEMPS. CECI SONT TOUTES LES RÉACTIONS QUE TU AS EU, QUE TU AS OU QUE TU AURAS DANS CETTE SITUATION PRÉCISE. COMPRENDS-TU CELA ?

L'elfe hocha silencieusement la tête, observant les tableaux vivants, curieux, prenant les informations une par une.

BIEN. ALORS MAINTENANT IL TE FAUT DÉCIDER. LE TOUT VEUT QUE JE TE DONNE CE POUVOIR COMME IL ME L'A DONNÉ, COMME IL M'A CRÉÉ POUR L'AVOIR. JE PEUX ALLER SUR LE TEMPS A MON AISE. ÊTRE HIER ET MAINTENANT ET DEMAIN EN MÊME TEMPS, PUISQUE RIEN DE CELA N'EXISTE. COMPRENDS-TU CELA ?
-Oui.
ALORS CONTINUE D'ÉCOUTER. CELA SIGNIFIE QUE L'ÉTENDU QUE TU AS CONTEMPLÉ TOUT À L'HEURE M'EST EN PERMANENCE VISIBLE. À UN AUTRE NIVEAU DE CONSCIENCE, POUR REPRENDRE UNE DE TES EXPRESSIONS FAVORITES, CELIMBRIMBOR.
-Oui... Le mage voyait où il voulait en venir, malgré le bourdonnement incessant des tableaux.
JE NE PEUX FUIR NULLE PART CETTE IMMENSITÉ AGRESSIVE. CES IMAGES AUTOUR DE TOI M'ENTOURENT EN PERMANENCE. JE NE PEUX PAS LES FUIR. JE SUIS DANS LE MÊME TEMPS AU COMMENCEMENT DU TEMPS ET À SA FIN. JE N'AI NUL REFUGE. ET LE REPOS M'EST INTERDIT. COMPRENDS-TU CELA, CELIMBRIMBOR ?
-Je comprends. Il avait cessé de trembler.
DÉCIDE-TOI À PRÉSENT, ALORS. VEUX-TU CE POUVOIR ? CROIS-TU QUE TU SURVIVRAS À CE QUI NE DÉSIRE QU'UNE CHOSE, TE TUER, QUI, EN FAIT, T'A DÉJÀ TUÉ ?

Le mage resta silencieux, plongé dans ses pensées, plongées dans l'abyme. Il en était là. Il était finalement arrivé où il avait voulu se rendre. Il n'y aurait plus rien à conquérir après cela. Plus rien après quoi courir. Plus de chimère, plus de quête, plus de surprise. Il pourrait créer. Il pourrait faire vivre. Il saurait. Tout cela s'il arrivait à vivre avec ce pouvoir. Il en était là et voici qu'il hésitait. Ridicule. Il secoua la tête avec décision.

« Je prends le risque. Plutôt mourir en essayant que vivre en le regrettant. »

L'espace d'un instant, il cru voir le sourire de la Mort se faire encore plus grand si cela était possible.

JE CONNAISSAIS DÉJÀ TA RÉPONSE, ELFE. CE POUVOIR TE SERA DONNÉ. MAINTENANT, VA.
-Me sera ? Mais ?
VA.

La Mort esquissa un vague mouvement de son bras squelettique et Celimbrimbor eut l'impression de rencontrer une montagne lancé à une vitesse inimaginable contre lui. Il plongea dans l'inconscience sans même s'en rendre compte, entendant à peine un rieur et léger « Toujours aller de l'avant, hein, Celim ? »

« Ce pouvoir lui sera donné, hum ? Tu ne pouvais pas t'empêcher de le frustrer un peu, n'est-ce pas ?
IL EST VENU DANS MON ROYAUME. IL M'A DÉFIÉ. IL A OBTENU CE QU'IL VOULAIT. QUE SOUHAITAIS-TU DE PLUS ? QUE JE LE RACCOMPAGNE AVEC FLEURS ET TROMPETTES ?
-Non, non, rien de tout cela. Le Tout rit doucement, un large sourire aux lèvres. Non, tu as été parfait, mon vieil ami. En tous points parfait.
ET POURTANT TU T'EN MÊLES.
-Oui. J'ai beaucoup d'affection pour mon disciple. Et je ne voudrais pas qu'il meurt bêtement en essayant son nouveau jouet.
CE N'EST PAS UN JOUET.
-Précisément.
C'EST POUR CA ?
-Oui. Hors de question qu'il puisse faire ce que toi tu fais. Il n'a pas été créé pour cela, non. Il rit encore.
IL VA ÊTRE DÉÇU, NON ?
-Hum... Il prit son temps pour répondre. Non, je ne pense pas. Je crois même qu'il appréciera le clin d'oeil. D'une façon ou d'une autre.
HUM.
-Non, décidément, il ne sera pas déçu. »

Dans un autre endroit, une petite trouée de verdure au milieu d'une forêt, Celimbrimbor se réveilla doucement comme après un long et paisible rêve. Reprenant sans y prendre une garde une habitude qu'il avait perdu des siècles de cela, il se frotta les yeux et, même, bailla en s'étirant. Il se réveillait d'un sommeil serein comme il n'en connaissait plus.
Il sourit benoîtement, sans y penser, et se leva, s'étirant encore un peu. Un rayon de soleil vint jouer sur quelque chose de brillant à ses pieds et Celimbrimbor dirigea ses yeux dans cette direction.
Il posa son regard sur une sphère parfaite, au sein de laquelle tourbillonnait quelque chose d'infini et pourtant fini. Quelque chose de violent et de merveilleux. Sans couleur.
Celimbrimbor ramassa la sphère.
Tout ses souvenirs lui revinrent en mémoire d'un seul coup, au point de l'étourdir un instant.
Avec mille précaution, il enveloppa la sphère dans un sort incroyable et s'assura qu'elle demeure en sécurité, décidant d'attendre un peu plutôt que de l'intégrer à son être comme il l'avait fait pour les quatre autres éléments.

Alors, et alors seulement, Celimbrimbor leva les yeux vers les cieux et laissa éclater sa joie en un long cri magnifique qui résonna et fit résonner le multivers en entier.

The deed is done.

Edité par Celimbrimbor le 19/02/10 à 02:42

Sombrebarbe | 23/02/10 21:25

Il y a quelque chose de Lovecraftien dans le début du récit...
Fantastique !
-------------
Très loin de là...Sombrebarbe se réveilla en gémissant au sortir d'un cauchemar torturé...Le surcot ensanglanté, il se demandait, hébété, qui pouvait avoir poussé ce cri...

--------------------
En mon âme troublée, raisonne un appel...

Index des forums > Rôle Play