Forum - [RP] L'oeuf et le rêveur...

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Naerdirn | 06/10/06 00:00


Le destin est parfois froid et amer pour celui qui fait front au mordant de l’hiver. Et la capitale du royaume n’était pas épargnée par cette règle…
Le tintement des carrosses papales et royales fuyant à toute vitesse les boulevards de la capitale contrastait étrangement avec les bouilles grelottantes des indigents pestant. Les banquets flamboyant en l’honneur de la bonne fortune entretenaient la graisse des hauts bourgeois tandis que le feu de la haine réchauffait les âmes des plus démunis, et des bas quartiers s’élevaient la mélopée des pleurs, la rage du lendemain, la révolte des défunts… La capitale brûlait mais le souverain, aveugle de naissance, ne ressentait que la chaleur des cendres et s’étonnait : « Pourquoi avez-vous froid ? ».
L’incompréhension de deux mondes séparés par la frontière monétaire ne laissa cependant pas indifférent l’oiseau du Destin qui survolait la ville endormie, grâce au souffle du Temps. Et dans un battement d’aile, il se posa sur le balcon d’un jeune rêveur.
Celui-ci, dans un fauteuil, rêvait à la clarté d’une chandelle. Il rêvait à l’espoir et c’était une femme. Et Espoir lui soufflait son destin. Espoir était très belle quand elle chantait pour lui. C’était des formes onctueuses dans une robe délicieuse, un visage délicat et la voix la plus pure qui faisait tourner la tête au jeune rêveur. Et la pièce se transformait sous son regard : la chandelle devint chandelier d’argent, le fauteuil miteux un trône royal, la peinture écaillée fut tapisserie éclatante, les vêtements de roturier des habits tressés en fil d’or. Il se voyait le sceptre à la main, la Justice à sa gauche, et le peuple devant lui qui le saluait, rendant hommage à leur bienfaiteur et égal. Et les visions d’espoir pour lui et son peuple s’enchainaient devant ses yeux ébahis.
Espoir s’arrêta de chanter et le rêveur revenu dans sa baraque rustique la contempla à nouveau. Elle était vraiment belle et il regrettait que celle-ci soit uniquement le fruit de la connexion de quelques neurones imaginatifs durant son sommeil, autrement dit, si il n’était pas en train de dormir, il se serait livré volontiers à une bonne partie de jambes en l’air… Elle ouvrit à nouveau sa bouche pour chanter et le rêveur s’agrippa au bras de son fauteuil, prêt à contempler à nouveau des images d’espoir dans sa chambre minable du premier étage.
Mais à son étonnement, ce ne fut pas le chant cristallin qu’il avait entendu précédemment qui raisonna mais celui, bien plus puissant, d’un oiseau. Espoir disparut.

Le jeune homme ouvrit les yeux.
C’était le petit matin et la chandelle, encore fumante s’était éteinte, entièrement consumée après une nuit de lumière. Le jeune homme, qui s’appelait Naërdirn, s’était assoupi sur le fauteuil, épuisé par les journées de travail, la faim qui le tenaillait et le froid hivernal. Il plissa plusieurs fois les yeux, éblouis par la lumière.
Il s’étira et remarqua alors pour la première fois que la porte-fenêtre était ouverte en grand, les rideaux battant au vent. Le plus étonnant était qu’il ne faisait pas froid, malgré la température extérieure située entre -10° et 0°C. Elle ne devait donc pas être ouverte depuis longtemps, sinon, il serait déjà mort gelé. Il en supposa qu’un quelconque voleur avait espéré trouver fortune et était encore ici quelques instants auparavant. Il avait espéré… Il pouffa. L’espoir. Il éprouva une étrange sensation en songeant à l’espoir, quelque chose de doux et d’agréable dissimulé à sa mémoire par la nuit qui venait de s’écouler, et il ressentit comme de la sympathie pour ce voleur qui n’avait découvert que des loques et un homme endormi dans un fauteuil miteux.
Il se leva pour aller observer depuis son balcon la ville qui s’éveillait. Il marcha pieds-nus dans la neige, grimaçant au contact de celle-ci et appuya ses coudes à la rambarde.
L’odeur de la chicorée mêlée à celle plus désagréable des égouts et du moisi, les dockers prenant la route des docks, la fraicheur matinale et la rambarde branlante.
Rien d’anormal donc… à part cette chaleur inhabituelle sur la droite.
Il tourna la tête. Un regard lui permit de comprendre, ou plutôt de ne plus rien comprendre : car il se trouvait sur son balcon, là où la neige avait vraisemblablement fondue un coffre… Et celui-ci n’avait rien d’ordinaire… Il faisait environ 20 cm de côté, le bois qui le constituait avait un reflet changeant, captivant et un seul regard suffisait pour savoir que rien ne pourrait jamais le fendre. Le fait que l’objet était surmonté de nombreuses pierres précieuses, émeraudes, lapis-lazuli, rubis, l’aurait d’ordinaire ravi. Mais il y avait bien plus ahurissant : outre l’oiseau-gravé dans le bois qui semblait bien vivant, car traversant à tire d’aile une forêt de diamant d’un coin à l’autre du couvercle, il y avait un espace de plus de dix centimètres entre le sol et le fond du coffre…
Naërdirn restait stupéfait, incapable de faire le moindre mouvement devant ce prodige de la beauté incarnée coffre. Certes, ce ne devait pas être un voleur qui avait pénétré dans sa demeure en omettant de refermer la fenêtre en partant. Ou alors, c’était le prince des voleurs et il avait égaré par mégarde son plus précieux bijoux sur le balcon de Naërdirn... Il jeta un regard à la serrure.
A la vérité, il n’y avait pas de serrure mais à la place un bouton-pressoir sur le devant du coffre. Il hésita un instant, puis, la curiosité aidant, tenta de l’ouvrir. Dès qu’il eut effleuré le bouton-pressoir, avec un léger grincement, le couvercle se souleva lentement de lui-même, comme entrainé par le vol majestueux de l’oiseau-gravé qui continuait son va-et-vient d’un bord à l’autre du coffre.
Il y avait dans ce coffre, un œuf protégé par une épaisse couche de coton. Naërdirn le considéra, le comparant au somptueux coffre et cherchant en quoi il était si spécial. Il était uniformément blanc et lisse, deux fois la taille d’un poing et sa fragilité paraissait évidente, ce qui expliquait la présence du coton. Il le saisit délicatement et, avec beaucoup de précaution le rapprocha de son visage.
En l’observant bien, il remarqua que la surface n’était pas réellement blanche. Elle était changeante et laiteuse, et ce phénomène s’accentuait. Plus il regardait l’œuf et plus il prit conscience qu’ondulaient sur celui-ci des formes et des couleurs qui avaient une vie propre. Des images se formaient à sa surface et il en comprenait le sens. Elles lui soufflaient ce qu’il devait faire…
L’œuf était désormais fantastiquement coloré et ses formes mouvantes captaient le regard qui ne pouvait s’en détacher. Naërdirn resta une journée entière sur son balcon, tenant d’une main l’œuf devant son visage ébloui. Quand enfin il sortit de sa torpeur, c’était la nuit. Il n’avait plus faim, il n’avait plus froid, il n’était plus épuisé. L’étincelle qui s’était allumé dans son regard suffisait pour satisfaire à tous ces besoins. Il marchait dans les bas-quartier, tenant sous un drap le coffre merveilleux, et sa démarche était celle d’un prince.
Il alla voir quatre de ses compagnons d’infortunes : un mineur, un petit voleur, un aubergiste et un journaliste. Ils restèrent tous incrédules quand Naërdirn leur expliqua son projet mais aucun d’eux ne refusa de le suivre quand il leur montra l’œuf…

Naerdirn | 06/10/06 00:00

[RP] L'oeuf et le rêveur... (partie 2)
Le lendemain matin, ils enfilèrent leurs plus beaux habits et se rendirent tels cinq chevaliers au palais royal. Ils demandèrent à voir le roi et les gardes les laissèrent entrer dans le vaste salon où confidents et concubines se battaient pour avoir le privilège de servir Sa Majesté. Avec une belle révérence, ils marchèrent d’un pas assuré sur le tapis rouge qui menait au trône royal. On s’écarta sur leur passage car Naërdirn avait dévoilé le coffre de sous son drap. Le roi, intrigué, s’était levé pour demander explication et Naërdirn énonça très clairement :
« Un présent pour Notre Majesté ».
Puis, après s’être agenouillé, il tendit le coffre au souverain. Celui-ci admira la beauté de l’objet, une main tendue dans sa direction. L’oiseau-gravé commença alors à battre des ailes et le coffre se souleva de lui-même dans les airs, voguant tranquillement vers le grand seigneur. Le prodige en fit murmurer plus d’un dans l’assemblée. Alors, le couvercle s’ouvrit, dévoilant le trésor.
Sans hésiter, le roi se saisit de l’œuf et l’examina à la lumière, comme hypnotisé. Et l’œuf passa en un instant d’un blanc ivoire à un noir d’ébène. Le roi eut un regard de terreur, effrayé par ce qu’il avait vu à la surface et dans un mouvement de recul, lâcha l’œuf.
Quand il percuta le sol, des flammes jaillirent, léchant les dalles, les murs, les riches objets et le visage de Naërdirn puis disparurent aussi vite qu’elles étaient apparus, laissant la salle à son état originel. Nobles et valets s’étonnaient, ne comprenant pas le phénomène. Naërdirn souriait. Et le roi tremblait de tous son corps, les yeux obscurcis par la peur. Il quitta la salle et alla s’enfermer dans ses appartements.
L’aubergiste tira Naërdirn par le bras et les cinq compagnons quittèrent la salle. A la sortie, Naërdirn fut surpris de voir les gardes qui les avaient laissés passer transpercés de part en part et Naërdirn voulut aider celui qui respirait encore mais l’aubergiste le tira à nouveau par le bras.
Ils quittèrent le palais royal.

Les rues de la capitale était en ébullition : on murmurait que le tyran n’était plus…
On avait fait venir des quatre coins du royaume les hommes les plus forts pour essayer d’ouvrir les appartements où s’était réfugié le roi mais malgré les coups de hache, de marteau, malgré l’expérience des plus brillants artificiers et des plus savants mages, rien n’y fit, la porte ne s’ouvrit pas et le roi, muet, resta enfermé à jamais.
L’Etat avait perdu son symbole et plus que jamais il était prêt à couler. Dans les bas-quartier, les pleurs cessèrent et l’on se rappela de l’espoir qui n’avait jamais cessé de souffler qu’un jour les choses changeraient… Alors le peuple fit route vers le palais pour prendre le pouvoir, conduit par cinq chevaliers.

Les membres de Naërdirn était endoloris. Car depuis qu’ils avaient pris le pouvoir, il n’avait plus un instant de libre, il y avait trop à faire et pas assez à dormir. Il ouvrit les yeux et contempla sa nouvelle chambre. Pour sûr, il n’y avait plus rien en commun avec sa chambre rustique du premier étage. Chandeliers, tapisseries luxueuses, lit à baldaquin. Il vivait dans l’ancienne demeure royale et n’en était pas mécontent… On vint le prévenir que le repas était servi. Il se leva donc et se dirigea vers la salle commune où des hommes de courages et de vertus, travaillant comme lui pour le nouveau régime, s’étaient rassemblés pour manger. Naërdirn aperçu l’ancien voleur et le salua. Etait-ce une impression ou celui-ci n’était pas de bonne humeur ? Pourtant il avait l’air en bonne santé. Il s’approcha. Naërdirn lui proposa de partager les mets raffinés étalés sur la table en sa compagnie. Le voleur le gifla.
« Tu es fou ? Qu’est-ce qui te prend ? s’exclama Naërdirn.
- Qu’est-ce qui me prend ? Il y a que nous sommes en prison ici et que le Régent nous exécutera demain. Et tous ça par ta faute !
- Qu’est-ce que tu racontes ? Nous sommes en parfaite sécurité et loin d’être en prison ici...»
L’incrédulité du voleur se lut sur son visage. Et Naërdirn aperçut en même temps qu’il avait la marque de coups et d’écorchures sur le contour des yeux, de la bouche et des joues. Le voleur le saisit par le col et le secoua.
« Mais bon sang, Naërdirn, réveille-toi ! Regarde-nous : nous sommes torturés chaque jour ! Regarde autour de toi : il n’y a que des prisonniers ici et aucune issue ! Tu rêves Naërdirn et je ne peux pas l’accepter ! Je veux que tu contemples la mort sans te dérober car tout est ta faute ! Rappelle-toi ! l’attentat, la fuite, la révolte avortée ! Rappelle-toi du Régent et de ses chiens !
- Mais de quoi parles-tu ? Demain, je déclare la République…
- Pauvre fou !»
Et il lui envoya son poing en pleine figure.
Naërdirn s’écrasa à terre, sur le sol dur et sentit ses membres souffrant à nouveau.
Il releva la tête et vit que quelqu’un s’était emparé du voleur et l’emmenait de force à l’écart. Et il criait :
« Le Régent nous tuera ! Le Régent nous tuera ! »
Le voleur était décidemment en piteux état et ce jour-là, Naërdirn trouva que les plats avaient un gout de tambouille.

C’était le matin et la foule était venu en nombre pour écouter le discours de Naërdirn. Il s’avança à travers celle-ci, suivit par ses quatre compagnons d’aventures et on les acclama. Une allée avait été aménagée jusqu’à l’estrade. En marchant jusqu’à celle-ci, Naërdirn se remémorait mentalement le discours qu’il allait faire. Il était question d’égalité, de justice, de paix sociale. Il était question de la première République du royaume. Il grimpa sur l’estrade et contempla la place bondée. Il se tourna vers ses quatre camarades et leur sourit. C’était le sourire de la victoire tant espérée. L’espoir… Il songea que sans celui-ci, jamais il n’aurait pu arriver jusque-là…
Une Dame leur mit autour du cou une médaille, à chacun des cinq compagnons, tour à tour: les médailles symbolisant la nouvelle République. La Dame avait les orbites vide, une robe noir et ses médailles étaient de corde tressé, très serré…
Il aperçut alors sur un balcon en face un vieil homme assit sur un trône et qui avait tout comme lui le sourire caractéristique de la victoire. Son visage lui disait quelque chose mais il n’arrivait pas à se rappeler qui il était. Peu importait.
Il ouvrit alors la bouche pour débuter son discours. Mais avant qu’il ait pu dire un mot, son souffle se coupa et il sembla que les cris de la foule redoublèrent d’intensité. Il tentait de respirer mais aucun air ne parvenait à atteindre ses poumons. Le sol n’était plus palpable sous ses pieds et ses jambes battaient dans le vide. Il tenta de tourner la tête mais n’y parvint pas. Ses yeux se révulsèrent. Sa vision se brouilla progressivement.
Le temps se ralentit. L’espace se figea.
L’oiseau du Destin, qui volait au-dessus de la scène se posa face à Naërdirn et le fixa droit dans les yeux. Le décor se changea alors et la réalité reprit ses droits sur les derniers instants du jeune homme: il vit l’affiche placardé au mur qui annonçait l’exécution de cinq révolutionnaires, il vit le Régent, ce vieil homme au sourire effrayant, il comprit qu’ils étaient sur la potence et aperçut le bourreau qui levait sa faux. Mais la réalité qui le frappa plus que tous dans ces derniers instants était qu’il revit Espoir. Espoir était devant lui et avait revêtue pour l’occasion ses plus beaux habits. C’était des formes onctueuse dans une robe délicieuse, c’était un visage délicat et la voix la plus pure, c’était surtout des milliers de paire d’yeux braqués dans sa direction, des milliers de bouche qui criaient leur indignation, c’était des milliers d’hommes et de femmes rassemblés pour pleurer l’espoir perdu sans savoir qu’Espoir, c’était eux…


Ce jour-là, on pendit cinq chevaliers : le premier était mineur, le deuxième était voleur, le troisième aubergiste, le quatrième journaliste et le dernier était rêveur…

Cactus Frost | 06/10/06 00:00

(dno) Excellent, bravo!

Doob | 07/10/06 00:00

(dno) Très belle histoire, bravo !

Viviane la fée | 07/10/06 00:00

(dno) J'aime beaucoup...

Marinarha | 11/10/06 00:00

[dno] Superbe récit !

Pépénarvalho | 11/10/06 00:00

(dno) Magnifique, tout simplement...

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