Forum - [Récits d'une dimension oubliée] - 4 -
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Zoltahn Kodaly | 16/08/07 13:37
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Adam Reith - Journal de Liou Vhân - 1
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Note du compilateur : nous découvrons ici le chroniqueur d'Adam Reith, qui nous a laissé une abondante documentation sur les pérégrinations du loup-garou.
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Je m'appelle Liou Vhân. Autrefois Frère Liou. J'étais moine.
Depuis une dizaine d'années, je suis pilleur. Pilleur de tombes, d'églises, de ruines antiques... De tout ce qui peut renfermer quelque relique plus ou moins précieuse, sans toutefois présenter trop de danger. Je ne suis pas un guerrier !
Si j'entame la rédaction de ce journal, ce n'est pas par narcissisme, encore moins parce que j'aurais eu une quelconque révélation mystique m'incitant à prendre la plume pour répandre ma foi. Je n'ai plus la foi. Ou, devrais-je dire, plus en mon dieu.
Non, si je rédige ces chroniques, c'est simplement pour garder une trace de ce qui est en train de se passer. Pas pour la postérité. Pour moi. Pour m'assurer que je ne deviens pas fou. Comme une corde attachée à un arbre solide au bord d'un abîme, nouée autour de ma taille avant d'entreprendre la grande descente.
Commençons.
Tout est arrivé à cause d'une fumée aperçue il y a deux jours. Je revenais par la Route du Nord après avoir vendu à un prix plus qu'acceptable un Anneau de Séduction Irrésistible à un jeune nobliau de Tyrkhanda. Cet imbécile prenait l'objet pour l'Anneau Majeur d'Ybriscius Broméh. Il crut évidemment conclure l'affaire du siècle. Le temps qu'il réalise son erreur, je serais loin. A moins qu'il n'ait eu raison. Avec le recul je ne suis plus si sûr de moi. Mais tel n'est pas mon propos.
J'avais acheté avec mes gains un jeune mulet de qualité supérieure afin de me servir d'animal de bât - Las, je suis piètre cavalier et préfère m'en remettre à mes pieds pour mes déplacements. Entretenant des relations cordiales avec les brigands des Sombrebois, j'allais mon chemin paisiblement. Je sifflotais un vieux cantique, lorsque, franchissant la crête d'une colline, j'aperçus une fumée rien moins que naturelle s'élever à cinq lieues en direction de l'est. Je l'aurais probablement ignorée, occupé que j'étais à faire des projets concernant l'utilisation de mon petit pécule, si elle n'avait eu cette couleur anormale, mélange de brun et de violet, avec quelques volutes de vert.
J'arrêtai la brave bête que j'avais baptisée Carotte.
Presque immédiatement, une hypothèse s'imposa à mon esprit, que je vérifiai sans attendre en sortant une ancienne carte de la région du fond d'une de mes nombreuses sacoches. Je situai rapidement ma position et constatai avec un étonnement mêlé de curiosité qu'il ne pouvait s'agir que de l'emplacement de la tour d'Olaus Wormius.
Une attaque ? Il faudrait être fou ou très bien équipé pour vouloir s'en prendre au vieux mage.
Une expérience ayant mal tourné ? Peut-être.
Dans tous les cas, si Wormius était passé de l'autre côté, il y aurait de véritables merveilles magiques à récupérer. Et s'il était toujours de ce monde, il suffirait de se faire passer pour un modeste pèlerin venant s'enquérir de sa santé !
Je n'hésitai donc pas longtemps avant de quitter la route pour me diriger vers la source de cette étrange fumée.
L'épaisseur de la forêt me fit perdre suffisamment de temps pour que le jour commençât à décliner avant que la tour ne fût en vue. Je décidai de forcer le pas. Il valait encore mieux arriver au crépuscule que de dormir au milieu de cette étendue sauvage. Je n'ai que peu d'affinité avec la nature.
Celle-ci, justement, se fit de plus en plus silencieuse à mesure que j'approchais. Lorsque je débouchai enfin dans la petite clairière au centre de laquelle la tour du mage avait été construite, trônant sur un modeste amas de rochers, plus un seul bruit ne venait troubler le silence. Ce qui avait du être une tour n'était plus qu'un tas de pierres et de poutres d'où s'échappaient toujours des volutes bigarrées et vaguement nauséabondes.
N'appréciant guère la lourdeur de ce silence, je me remis à chantonner en m'avançant vers les ruines. Un mouvement furtif à l'extrême limite de mon champ de vision attira mon attention vers la lisière de la clairière. Il m'avait semblé apercevoir la silhouette d'un gros animal m'observant depuis le couvert des arbres. Mais les ombres peuvent parfois vous jouer de drôles de tours lorsque le soleil se couche.
Je décidai néanmoins de charger un trait sur mon arbalète et de modérer le volume de ma chanson. Sentant que ma mule partageait mon inquiétude, je l'attachai à une souche afin d'être certain de la retrouver à l'issue de mon exploration. Par acquis de conscience, je lançai deux ou trois timides « Maître Wormius ! », bien qu'il paraissait peu probable qu'il ait pu survivre à un tel carnage.
J'avançai péniblement, enjambant les décombres, prenant garde de ne pas marcher sur du verre brisé ou tout autre élément qui aurait pu révéler ma présence ! Mille flacons avaient répandus leur contenu au moment de la destruction de la tour. Des livres et des parchemins jonchaient tout ce chaos. Totalement décontenancé, Je ne savais où commencer mes recherches.
« Maître Wormius », lançai-je à nouveau d'une voix presque éteinte.
Une porte gisait au milieu de tout ce fatras. Celle de la tour elle-même, semblait-il. La taille des traces de griffes qui y étaient inscrites me fît frissonner. La chose qui avait attaqué le mage et, apparemment, avait dû en venir à bout, devait être d'une taille imposante. Et toujours pas l'ombre d'un cadavre en vue.
Le craquement que j'entendis dans mon dos résonna dans ce silence de plomb comme un coup de tonnerre.
Je restai figé. Les battements de mon coeur me semblaient faire un vacarme tel que mon angoisse s'en trouva encore amplifiée.
C'était désormais clairement des pas que j'entendais se rapprocher subrepticement derrière moi. Dans un ultime effort de volonté, je décidai d'attendre que la chose qui se glissait ainsi dans le crépuscule ne soit plus qu'à quelques pas pour me retourner brusquement et utiliser en désespoir de cause l'arbalète que je serrais dans mes mains tremblantes.
Je pouvais entendre sa respiration saccadée. Je pouvais presque sentir sa...
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Adam Reith - Journal de Liou Vhân - 2
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... sa peur !
Je me retournai dans un mouvement me semblant d'une lenteur infinie et appuyai sur la détente de mon arbalète sans même essayer de viser, persuadé que j'étais qu'à cette distance, je ne pouvais manquer ma cible.
Le jeune homme, qui brandissait une dague avec la ferme intention de me la planter entre les omoplates, portait une longue robe mordorée aux reflets changeants ainsi qu'un chapeau hémisphérique brun surmonté d'une digitale pourpre qui pendait au bout de sa longue tige devant son oreille gauche. Deux attributs faisant de lui sans aucun doute possible un mage en première année d'herboristerie. Il suait à grosses gouttes et fut aussi surpris que moi lorsque mon carreau passa à quelques centimètres de sa tête, tranchant dans un petit bruit sec la fleur qui ornait auparavant son couvre-chef.
Que ce soit à cause de l'outrage infligé au symbole de son statut ou simplement de la surprise d'être encore en vie, l'instant d'hésitation qui le paralysa me permit de lâcher mon arme déchargée pour dégainer moi aussi une dague, nous plaçant ainsi dans une situation de statu quo presque parfait. Tous deux présents pour la même raison, l'un et l'autre tétanisés à l'idée de devoir faire usage de leur lame pour défendre leur vie.
Le jeune apprenti redressa ses épaules tremblantes, releva légèrement le menton et rompit le silence le premier, donnant à sa voix le ton impérial et sûr de lui caractéristique des mages de la région.
- Je suis Prudmiël Minimus le Pertinent ! Comme vous l'aurez reconnu, je suis Mage de l'Académie de Tyrkhanda. Je vous somme de me révéler sans attendre votre identité ainsi que vos intentions. Dans le cas contraire, je me verrais dans l'obligation de faire usage d'un sortilège afin de vous mettre hors d'état de nuire. »
Je restai un moment stupéfait devant l'arrogance du jeune homme. Son visage aux traits fins et bien dessinés était gâté par une fine barbe à l'implantation improbable et un petit tatouage prétentieux au milieu du front.
Il accompagna ses menaces d'un geste cabalistique de sa main désarmée à mon endroit.
- Du calme mon garçon ! Il y en aura pour tout le monde ! Je n'ai qu'une mule et je suis partageur...
- Insinuez-vous que je sois ici afin de piller la tour d'Olaus Wormius ?
- Je n'insinue rien du tout... Mais puisque vous en parlez...
- Silence, impudent ! Je ne vous permets pas ! Et présentez-vous pour commencer !
- Eh bien, je suis Liou Vhân, frère de l'Ordre de la Sainte Pénitence. Et je venais m'enquérir de la santé de Maître Wormius après avoir aperçu de la fumée s'élever de son domaine. Mais dans l'état actuel des choses, je crains fort qu'il n'ait plus guère l'usage de ses anciennes possessions... Qu'en pensez-vous ?
Il sembla hésiter quelques secondes avant de me répondre.
- J'en pense que vous êtes un voleur et que vous allez déguerpir avant que je ne perde patience ! Reprenez votre mule et du balai !
- Si vous le prenez comme cela, il va falloir me faire démonstration de l'étendue de vos compétences magiques ! Qu'allez-vous faire ? Me jeter des herbes médicinales à la figure ? Ou bien me clouer sur place de stupéfaction grâce à un sort d'Infinie Présomption ?
Il fulminait, tremblant maintenant d'une rage difficile à dissimuler.
- Je... je... je peux... puisque vous ne me croyez pas ! Vous allez voir...
- Je regarde.
Il prit un air concentré, ferma les yeux et tendit vers moi la paume de sa main gauche dans un geste théâtral.
- Je vous laisse une dernière chance de fuir, frère Liou. Ensuite, je vous inflige une Insoutenable Démangeaison de Baal Thor Ghâ. Vous en mourrez dans d'atroces souffrances.
- Vous me prenez vraiment pour...
Je n'eus pas le temps de terminer ma phrase. Une ombre semblait s'être glissée derrière Prudmiël Minimus.
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Adam Reith - Journal de Liou Vhân - 3
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Je ne compris d'abord pas pourquoi le jeune apprenti herboriste devint si blême. Il suait à grosses gouttes. Je crus d'abord à un malaise. Je rangeai ma dague afin de pouvoir lui venir en aide. J'ai en effet conservé de vieilles habitudes de compassion et de charité. On ne devient pas pilleur sans foi ni loi en un jour...
Je n'eus pas tôt fait un pas vers lui que ses tremblements devinrent des soubresauts, puis des convulsions. Un filet de sang s'écoula par son nez, sa bouche, ses oreilles. Puis ce fut chaque pore de sa peau qui commença à saigner, tandis que le malheureux tentait d'appeler à l'aide. Le liquide s'échappant de sa gorge associé aux secousses frénétiques qui l'agitaient transformait ses mots en épouvantables gargouillis.
Quelque chose semblait s'agiter derrière son dos. Une ombre.
Le liquide qui quittait son corps à grands flots commença à se teinter de brun, puis de noir, pour finalement n'être plus que ténèbres l'enveloppant d'une gangue opaque, alors que le pauvre être se tordait toujours pour essayer de s'en extraire.
En quelques secondes, la chose qui s'était faufilée derrière Prudmiël l'avait dévoré, ou bien assimilé, je ne sais trop !
Je n'avais pas eu le temps d'esquisser un seul geste.
Je serais bien incapable de mettre des mots sur ce que je ressenti à ce moment, mais cela fut bref.
Un énorme loup vint percuter la chose noire et l'emporta avec elle rouler dans les décombres.
L'horreur qui venait d'absorber le jeune mage prit la forme vague d'un chat sans queue et poussa ce qui ressemblait à un miaulement suraigu, me vrillant les tympans et m'obligeant à me protéger les oreilles, plié par la douleur.
Le cri cessa. Je me relevai. Je vis le loup être projeté violemment contre un bloc de pierre saillant des restes de la tour.
L'animal se redressa. Il se mit debout sur ses pattes antérieures, grandit, grossit, changea. Jusqu'à être devenu un ours d'au moins trois mètres de haut. Il se précipita dans un rugissement formidable sur la créature ténébreuse. Celle-ci se dressait de toute sa taille, levant ses pattes vers le ciel, s'étendant, s'étirant dans un concert de gémissements alors que d'innombrables protubérances pointaient de tous les côtés de sa masse informe. Ici un visage torturé par une souffrance sans nom, là un membre griffu tentant d'agripper le vide autour de lui.
Le choc fut brutal et accompagné d'un son mat, à peine couvert par la cacophonie des hurlements de damnés qui s'échappait du corps noir immonde. Celui-ci s'éleva comme une vague déferlante au-dessus de la masse imposante de l'ours et s'abattit sur elle dans un cri de victoire impie. Alors que le sombre voile mouvant tentait d'absorber le changeforme comme il l'avait fait de l'apprenti, sa nouvelle proie se débattait avec vigueur donnant des coups dans la matière opaque et changeante, tentant de la renverser de tout son poids. Une patte énorme finit par émerger, griffes tendues vers le ciel. Elle se changea aussitôt en un serpent qui se glissa rapidement hors du piège qui s'était refermé sur lui. Le monstre se ramassa pour se jeter sur le reptile qui commençait à s'éloigner, mais ce dernier se transforma à nouveau, toujours aussi vite, mais cette fois en un écureuil qui partit bondir dans les pierres éparses avec une agilité et une rapidité trop grandes pour son poursuivant.
Mais pas de beaucoup.
Alors l'écureuil fit un ultime bond, se transformant en plein vol en un faucon qui s'éleva de quelques coups d'ailes au-dessus des ruines. Je me ressaisis et commençai à penser à fuir lorsque, confirmant mes craintes, la créature cauchemardesque sembla se tourner vers moi.
Alors que quelques pas seulement la séparaient de moi, le faucon piqua pour s'interposer, se changeant en une petite créature étrange, à peine plus grande que mon doigt, sorte d'oiseau pourvu d'une trompe et se déplaçant aussi vite qu'un insecte.
Le temps sembla se figer alors que ces deux êtres surnaturels s'observaient, dans une immobilité presque parfaite, si ce n'était les minuscules ailes de l'oiseau, battant si vite qu'on ne pouvait les voir.
Commença alors un ballet formidable entre les deux opposés, duel entre la force et la rapidité, entre la violence et la grâce. L'oiseau tourbillonnait à la limite de la perceptibilité. Le monstre ténébreux ravageait ce qui restait de la tour pour essayer de le saisir. Le premier paraissait chercher quelque chose. Quelque chose se trouvant sur son ennemi. Une faille. Un angle d'attaque.
Lorsqu'il le trouva enfin, ce fut fulgurant. Le changeforme fondit si vite sur le monstre qu'il sembla disparaître.
Et il disparut.
Dans la créature.
Ne laissant que quelques rides à sa surface, comme une pierre lancée dans une mare.
La créature immonde fut prise de convulsions.
Les formes cauchemardesques qui s'agitaient sous sa gangue noire semblaient prises de panique, voulant déchirer leur carcan opaque dans une frénésie de gestes désespérés. Finalement, la chose explosa dans un horrible bruit flasque, répandant la matière étrange et huileuse qui la composait dans toutes les ruines, m'en couvrant par la même occasion de la tête aux pieds.
La nausée me gagnant, je m'essuyai les yeux et la bouche aussitôt, découvrant avec stupeur qu'à la place où la créature se tenait un instant plus tôt... une autre quasi-identique, se dressait ! A ceci près qu'elle paraissait me fixer tranquillement, sans bouger.
Je l'imitai.
Elle s'avança vers moi, glissant sur les débris de la tour dans un écoeurant bruit de sucions.
Puis elle commença à rétrécir, à prendre la taille et la forme d'une silhouette humaine. Celle-ci s'approchait toujours de moi, les bras tendus, tandis que je restai figé sans pouvoir esquisser le moindre mouvement. Alors que quelques enjambées seulement nous séparaient encore, la gangue noire commença à laisser la place à une peau livide et humide, ce qui m'apparaissait désormais comme un homme entièrement nu et titubant leva vers moi un regard vide et eu le temps d'articuler en s'écroulant dans mes bras : « ... j'ai... j'ai réussi... je peux les imiter... aller où ils vont... ».
Il perdit connaissance.
Celimbrimbor | 16/08/07 16:55
Toujours aussi intriguant et plaisant à lire.
Kez Maefele | 16/08/07 18:14
Palpitant, comme un elfe tartare 
