Forum - Le miroir aux Fées

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Jaelle N'har Allora | 26/08/07 12:06

Les évènements qui m'ont conduite à prendre la plume se sont produits il y a maintenant cent vingt lunes. Avant, j'étais une femme mariée, rangée et certaine d'avoir trouvé sa voie. Avant... Tout ça n'était qu'une illusion. Tout a changé depuis.
Je ne sais pas si confier mes pensées à ces feuilles de papier va me guérir, mais c'est mon dernier espoir avant de sombrer dans la folie. Relire ces quelques phrases me fera peut-être du bien, je l'espère. Sinon je n'aurai plus qu'une seule solution pour sortir de cet enfer.

J'ai repris mon nom, Jaelle N'Har Allora, et je suis partie droit devant moi, sans chercher à savoir où j'allais. La vie est étrange, le plus souvent cruelle. J'ai cru que j'en avais fait le tour et qu'il ne me restait plus qu'à me fondre dans la masse, mais je me trompais.
Il a suffi que je croise ton chemin pour que mon univers quotidien bascule dans le chaos. J'ai accroché ton regard, j'ai frôlé ton âme, je t'ai donné mon sang, un peu du tien coule maintenant dans mes veines et depuis, plus rien n'est comme avant.
Lorsque je me suis réveillée, ils m'ont pourtant certifié que tu étais morte. Ton corps a été enseveli sur un tertre tout près de l'endroit où je me trouve, dans un lieu à la beauté singulière, au calme étrange et oppressant. Je m'y suis rendue ce matin, et j'ai pleuré. Oui, je dois le reconnaître, moi, Jaelle N'Har Allora, j'ai pleuré toutes les larmes de mon corps devant cette tombe entourée de pierres dressées en cercle vers le ciel de la Petite Bretagne.
Lorsque la source s'est tarie, je me suis mise debout et j'ai suivi mes pas. Un épervier m'a guidée, son cri solitaire m'accompagnant dans les fourrés épais de cette gorge sauvage. J'ai marché un bon moment, attentive au seul murmure du ruisseau et à la caresse de l'air sur ma peau. Mes cheveux se sont détachés, j'ai délacé mon corsage et remonté mes manches. J'ai eu l'impression bizarre d'être de retour chez moi, de retrouver des endroits familiers, pourtant je ne suis jamais venue ici, j'en suis certaine, moi la citadine invétérée.
Au fur et à mesure de ma progression dans cette cathédrale végétale, mon chagrin s'est peu à peu dissipé et j'ai eu l'impression que tu étais de nouveau à mes côtés, attentive à m'expliquer la nature qui m'entourait et les beautés qu'elle recelait. J'ai perdu la notion du temps, je me suis laissée entraîner sans opposer la moindre résistance.
L'étang est petit, encaissé entre deux parois verticales, abrité des regards par une végétation luxuriante. J'ai escaladé la pente abrupte avant de trouver un bout de rocher relativement plat pour m'y asseoir. Depuis, j'attends. Les nuages roulent dans le ciel qui s'est peu à peu obscurci, mais peu m'importe, je sais que je ne risque rien, des forces surnaturelles me protègent de la nature hostile. Soudain la pluie se met à tomber, rideau opaque qui noie le paysage dans un déluge humide. Insensible aux gouttes, je reste immobile, pétrifiée, en regardant des langues de brume se former à la surface de l'étang et monter lentement vers moi. Je sais qu'elles vont bientôt m'envelopper et j'ai peur d'y disparaître à jamais, mais ma raison me souffle que cela ne ferait qu'anticiper un évènement auquel j'aspire depuis que tu n'es plus là. Ma peur se dilue dans les gouttes d'eau qui coulent sur ma peau, un désir diffus la remplace. Curieuse, je me laisse caresser par ces doigts humides venus de la forêt elle-même. Mon corps réagit, mes hanches vont au-devant de ce contact langoureux.
Je ferme les yeux et c'est alors que j'entends ta voix résonner dans mon esprit, tes pensées s'entremêler intimement aux miennes. Je m'abandonne, tu es moi, je suis toi...
- Jaelle, ma soeur, mon amie...
- Mais, mais... je croyais...ils m'ont dit que tu étais morte ?
- La mort n'est qu'illusion, je suis responsable de toi, nos sangs se sont mêlés, je suis ta marraine de serment.
- Vas-tu revenir ?
- Non, je ne peux pas... Nous nous retrouverons dans une autre vie si ce n'est pas celle-là.
- Que dois-je faire ?
- Laisse-toi guider, fie-toi à ton instinct, tu trouveras ta voie.
- Te reverrai-je ?
- Un jour peut-être... D'ici là, sois fière d'être une Amazone et... ne m'oublie pas.
- Mais j'ai besoin de toi...
- Tu m'as déjà, Jaelle.
- Attends, ne pars pas, je... je.....je crois que...je t'aime...
Seul le silence me répond. J'ai du mal à admettre ce que je viens de penser si fort. Je suis morte de honte, je voudrais disparaître sur le champ, je souhaite de toutes mes forces qu'un éclair ne vienne me pulvériser, mais au contraire, je reprends pied dans la réalité, je me retrouve assise sur ce rocher, au-dessus de cet étang magnifique dont les eaux brillent maintenant sous l'éclat du soleil couchant. Le temps s'est écoulé sans que je ne m'en aperçoive. Je suis sèche, l'averse de tout à l'heure n'a laissé aucune trace, comme si je l'avais rêvée. Ma tristesse semble s'être diluée dans les larmes de la brume, elle a fait place à un vague ressentiment que je ne peux pas définir pour le moment.
Il est temps pour moi de partir, il faut que je me trace ma route, on m'appelle quelque part. Je laisse cet endroit avec regret, mais je devine que je saurai le retrouver quoi qu'il arrive. L'épervier jette son cri du haut du ciel, je lève les yeux vers lui et je souris.

Le sentier s'élargit puis se transforme en chemin. Je m'arrête et me retourne vers les arbres moutonnants qui sont devenus noirs dans la nuit qui commence. La nature se repose, seuls les rapaces nocturnes sillonnent les cieux à la recherche de proies imprudentes. Je ne pense plus à rien. Ma colère me guide. Elle a grossi au fur et à mesure que je m'éloignais de la forêt, se transformant en un bloc de haine aux cristaux purs et plus solides que l'acier. Je reste immobile un instant puis je me remets en marche, emplie d'une étrange certitude : l'heure de la vengeance a sonné, le moment est venu de régler mes comptes.

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