Forum - [RP Mytholodhil] Histoire de fondements
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Vitas Brevis | 16/10/07 01:43
L'auberge fleurait bon la graisse de porc et la friture. Au niveau du plafond flottait comme un tapis de fumée grasse et ondulante alimentée par les pipes et les braseros qui piquetaient l'espace d'ombres et de scintillements rougeoyants.
Le vieux Maglor, pipe en os au bec, menton en galoche, poils blancs épars et regard vitreux, observait d'un oeil torve les allées et venues des différents clients et serveuses. Un éternel sourire en coin, il caressait d'une main distraite le petit rouquin rabougri et famélique qui lui servait de compagnon depuis près de quatorze années.
Une ombre avança dans son champ de vision. Malgré son strabisme, jamais Maglor ne s'était fait surprendre par un convive, et celui-là était apparu dans un angle mort sans coup férir. Même le rouquin n'avait pas dressé le museau à son approche. D'un pas mal assuré il avait tiré un tabouret et il avait modestement posé ses fesses à côté du vieux Maglor, le dos à la cheminée, une place que personne ne lui avait jamais disputée jusqu'ici.
Maglor émit un petit rire de gorge, plus par habitude que par amusement. Il se tourna vers le nouvel arrivant et, à son grand étonnement, l'étranger l'observait attentivement avec un air naïf. Tout dans cet homme paraissait banal : chapeau à larges bords élimé, cape de voyage terne légèrement délavée, bottes d'une coupe classique et sans fioritures, légèrement usées mais visiblement entretenues, pourpoint sombre, également sobre... enfin, son visage mangé par une barbe naissante semblait placide, sans arrêtes, sans creux, sans ombres sournoises. Même les quelques rides qui lui barraient le front et lui plissaient le coin des yeux ne permettaient pas de lui donner un âge avec précision. Pourtant, même si Maglor ne l'avait pas remarqué dans le tohu-bohu de l'auberge, il y avait chez cet inconnu comme une odeur d'intrigante étrangeté. Sa façon d'observer d'abord à la dérobée, puis avec insistance. Son air de renifler les gens qui passaient près de lui, comme un chien qui flaire un trou du cul... Comme s'il avait lu dans ses pensées, l'étranger se pencha vers le vieux et, avec un air mi-amusé, mi-conspirateur, demanda d'une voix rieuse :
-Eh l'ancien, tu sais pourquoi la première chose que fait un chien quand il croise un congénère c'est lui flairer le fondement ?
Maglor, surpris, laissa échapper un borborygme nasillard avant de retirer sa pipe de sa bouche pour en pointer le bec vers l'inconnu.
-Nan, mais j'aime bin les gars bizarres dans ton genre qui savent encore parler des choses importantes de l'existence ! Alors dis-moi : pourquoi les clébards y s'reniflent l'trou d'balle avant même de se serrer la patte ?
L'étranger sortit sa blague à tabac et piocha une pincée d'herbe brune parfumée. Il en bourra un petit calumet qu'il alluma avec un sourire malicieux.
« Au début des temps, quand le monde était encore jeune et innocent, il n'y avait rien d'autre dans ce monde qu'une petite taverne étriquée qui s'appelait « au retour de la pêche ».
Les chiens et les autres espèces y vivaient en parfaite harmonie. Chacun vivait sa vie, buvait ses bières, racontait ses histoires, fumait, bavassait, rigolait... jusqu'au jour où, passablement éméché, un homme hurla qu'un chien lui avait pissé sur le bas de chausse ! »
-Et c'tait vrai ? Un chien avait vraiment pissé sur les pieds d'un type ?
L'inconnu balaya la question d'un air indulgent.
-J'en sais rien, je n'étais pas là pour le voir... c'est ce que raconte l'histoire en tout cas !
Il reprit :
« Un scandale d'une ampleur inédite éclata dans la taverne et les hommes se mirent à crier que c'était inimaginable qu'un chien vienne leur pisser sur les pieds, comme ça, sous prétexte qu'il a bu une bière de trop ! C'était une époque où les chiens et les hommes étaient très proches...
-Tu fais bien de préciser.
-Oui, car ça a mal tourné après.
Le vieux eut l'air attristé mais il enjoignit son interlocuteur de poursuivre.
« Après une brève échauffourée, des mots plus hauts que les autres, les hommes prirent les chiens par la peau du cou et les jetèrent dehors »
-Noooon ! Ils ont fait ça ?
-Attendez l'ancien, au départ c'était juste une petite altercation d'alcooliques ! Et les hommes et les chiens c'étaient vraiment des inséparables en ce temps là, et quand les chiens se sont retrouvés d'un seul coup tous seuls sur la grève, face à la mer, sous les étoiles, dans la nuit, bah ils se sont vraiment sentis très seuls !
-Ah bah oui !
Maglor accompagna son élan d'empathie par une tape amicale sur la tête du rouquin qui se contenta d'ouvrir un oeil pour vérifier qu'il n'allait pas se faire jeter loin de l'âtre.
-Et ensuite ?
-Ensuite ? Que croyez-vous que les chiens ont fait ?
-Chai pas, ils ont pleuré ?
-Non, ils se sont réunis en cercle et ils ont fait une assemblée pour décider de la meilleure démarche à suivre pour pouvoir retrouver leur place dans la taverne du « retour de la pêche » !
-Pardi ! C'est une idée pleine de bon sens !
-Et quand ils ont eu débattu de la question pendant des jours et des nuits, ils ont fini par aboutir à une décision judicieuse : puisque les hommes les avaient injustement mis à la porte, ils dépêcheraient un délégué auprès du Créateur Tout Puissant pour lui enjoindre de sermonner les hommes et tout rentrerait dans l'ordre.
-Ah oui, ça c'est futé ! Et il a dit quoi l'bon Dieu ?
-Attendez. D'abord les chiens ont réfléchi et ils se sont dit qu'ils ne pouvaient pas y aller tous ensemble, ça aurait pu faire désordre. En personnes responsables et intelligentes, ils ont élu un... délégué. Attention, ils n'ont pas pris n'importe lequel ! Ils ont choisi le plus beau et le plus astucieux d'entre-eux. Ils lui ont filé une carte du monde et ils l'ont expédié vers la plus haute montagne (parce que le Tout Puissant avait, à cette époque, des problèmes d'asthme et l'air frais, l'altitude, ça lui faisait du bien). Le chien arrive devant la porte du domaine des Dieux, il frappe, un barbu lui ouvre, l'inspecte et lui demande « c'est pour quoi ? ». Le chien répond : « c'est pour voir le Tout Puissant », « un instant je vous prie ». Le chien attend quelques mois, la porte s'ouvre à nouveau, le barbu lui fait signe d'entrer et lui indique le chemin pour trouver le Tout Puissant. Le délégué suit le chemin et il arrive dans une salle immense, titanesque, remplie de cascades cristallines, illuminée de rayons de soleil chatoyants. Il y a des colonnes de marbre, des parterres de fleurs colorées et parfumées, des jeunes dryades qui batifolent en riant et, au bout d'une allée de marbre blanc encadrée de statues majestueuses, assis sur un trône d'albâtre, le Tout Puissant qui rit aux éclats d'une bonne blague qu'une déesse vient de lui raconter.
-Non !
-Si...
-Et le délégué, il fait quoi ?
-Le délégué ? Bin, c'est là le problème... quand il voit tout ça, c'est tellement beau, tellement extraordinaire, qu'il ne peut pas se retenir...
-Comment ?
-Oh il fait pas grand-chose : juste trois petites gouttes contre la première colonne, ni vu ni connu, hop, il marque sa place.
-Chez l'bon Dieu ? Il pisse contre une colonne ??
-Les habitudes ont la vie dure...
-Tudieu ! Quel couillon ! Et c'était lui le plus malin ?
-Bah c'est ce que l'assemblée des chiens s'est demandée quand il est revenu la queue entre les jambes... du coup ils ont débattu pendant des mois et des mois pour finalement élire un nouveau délégué. Celui-là c'était vraiment le plus malin, le plus beau et le plus intelligent. Ils le renvoient chez le Tout Puissant, mais cette fois, pas bête, ils lui entourent le sexe d'une capote en peau de saucisson de mer, complètement étanche, pour être sûr qu'il ne s'oubliera pas.
-Et alors ?
-Quand il est arrivé, il y avait une sorte de sonnette à la porte (ils avaient fait des travaux). Le vieux barbu lui ouvre et lui a indique le chemin. Le délégué va jusqu'à la salle et là, quand il voit les myriades de chérubins qui aspergent de paillettes d'or le firmament azur, avec tous les dieux et toutes les déesses qui déjeunent autour d'une longue table couverte de soieries précieuses... C'est encore plus beau que ce que l'autre lui a raconté... il peut pas tenir...
-Il a pas pissé à travers la capote quand-même ?
-Oh non ! Il a juste déposé trois petits colombins fumants contre une colonne.
-Mon dieu ! Chez le Tout Puissant ? Chier contre une colonne ? Mais il est encore plus fou que l'autre !
-Ah oui, du coup les Dieux l'ont chopé par la peau du cou et l'ont botté dehors.
-Et ils ont dit quoi quand il est revenu, les autres ?
-Ils ont dit quoi ? Ils lui ont tourné le dos et ils ont relancé des élections...
-Encore ? Mais ça n'a pas de fin ?
-Tu m'écoutes ou tu ne veux pas savoir la fin ?
-Si si vas-y.
-Bon. Alors ils en élisent un autre. Celui-là c'est vraiment le plus brillant de tous. La crème de la crème, une espèce de mâtin au museau racé, le poil luisant, l'oeil vif, la queue altière, le port fier. Bref, le prince des princes. Mais ils ne veulent pas faire la même ânerie qu'avec les deux autres : ils veulent un chien impeccable ! Alors ils prennent un sac de patates qui traîne sur le bord de la grève et ils percent trois trous dedans : deux pour les pattes arrières et un pour la queue. Comme ça impossible qu'il fasse quoi que ce soit. Et ils l'envoient.
A ce moment de sa narration, l'inconnu se permit un petit sourire en coin. Il se recula et ralluma son calumet qui s'était éteint. Le vieux Maglor claqua des mâchoires comme un animal affamé.
-Alors ? Il y est allé chez l'Bon Dieu çui-ci ?
-Ah ça... on ne sait pas. Il n'est jamais revenu. Et au bout d'un certain temps, la plupart des chiens se sont lassés d'attendre sur le bord de la grève. Alors un jour, y'en a un qui a pris son baluchon et qui est parti. Et puis voyant son copain partir, y'en a un second qui s'est taillé, puis un troisième, et enfin tous les chiens qui attendaient devant la taverne du « retour de la pêche » se sont fait la belle. Mais les hommes eux, ils regardaient un peu par la fenêtre de temps en temps pour voir ce qui se passait. Et quand ils ont vu leurs vieux copains les chiens qui s'en allaient, bah y'en a un qui a poussé la porte et qui est sorti pour les rattraper. Et puis y'a le pote de celui qui est sorti qui est parti aussi. A la fin ce sont tous les hommes qui étaient en train de boire des godets dans la taverne qui se sont taillés ! Et ils ont essaimé de par le monde. Du coup, quand on dit qu'untel il est de Tataouine ou de Port Machin, bah c'est faux : tous les hommes sont du même coin. Ils viennent tous de la taverne « au retour de la pêche ». Y'a pas plus de nations que d'empires là-dedans, ça ce sont des inventions de malades imbus d'eux-mêmes. Au départ, tous les hommes et tous les chiens parlaient la même langue.
-Ah tiens donc... mais et le coup des chiens qui se flairent le trou du cul dans c't'histoire ?
-Oui ! C'est là que je voulais en venir... si les chiens se reniflent l'arrière train quand ils se croisent, c'est tout simplement pour voir si c'est pas le délégué qui revient...
Il y eut un long silence. Maglor bourra sa pipe et toisa l'inconnu qui se rinçait la gorge d'une lampée de bière brune.
-Toi t'es un sacré loustic... tu m'as flairé, mais je suis pas celui que tu cherches.
Le vieux Maglor fit une pause et se pencha en avant avec un air complice.
-Tu vas continuer à chercher, hein, pas vrai ? En tout cas tu racontes bien les histoires...
-Ars longa...
-... Vitas Brevis. Méfie-toi si tu cherches ton « délégué » dans le Labyrinthe : personne n'en est jamais revenu pour dire ce qu'il y avait trouvé.
-Qui t'a dit que je voulais entrer dans le Labyrinthe ?
-Ici les fous se flairent le fion avant de boire une bière... c'est simplement pour voir s'ils retrouvent pas un de ceux qui sont entrés dans le Labyrinthe...
L'inconnu éclata de rire et posa sa chope sur la table. Il lâcha une pièce usée et se leva.
-J'imagine que je ne suis pas le premier que tu flaires... alors au prochain qui passera, dis-lui que Vitas Brevis l'a précédé.
-J'y manquerai pas fiston. Adieu.
Edité par Vitas Brevis le 16/10/07 à 11:26
Pépé Le Pew | 16/10/07 09:29
Tres belle histoire !
Falxo Feronas | 17/10/07 21:29
Excellente ambiance, c'est vraiment bien rendu !
Par contre, euh... Je vais souvent regarder derrière moi dans le Labyrinthe, du coup 
