Forum - [Rp] Lui - 2
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Elenna Celebrindal | 25/10/07 20:15
Tout m'a sauté aux yeux un soir. Toute personne fait un jour face à un obstacle plus grand qu'elle. Moi le permier d'une longue série m'a frappé peu de temps après ma quatorzième année. Cela faisait trois années, peut-être un peu plus que j'avais fini mon apprentissage sur les bancs de la jeune école. Et les discours des prêtres et mages de la haute école ne m'interessaient pas. La culture de la jeune école m'a toujours suffi. Je ne suis pas un homme de lettre, ni un homme de science, je suis un homme, et la seule histoire que je sache raconter est la mienne.
Une fin d'après-midi où les nuages m'offraient un moment à eux, ma mère vint me rejoindre derrière la taverne. Restant derrière moi, au niveau du cadre, elle garda longtemps le silence, les yeux sur mon dos nu où les gouttes froides de l'hiver coulaient en silence. Les pieds nus dans la boue, je la sentais derrière moi. J'aimais la sentir là, à nous regarder, la pluie et moi.
"Tu vas encore être malade, me lançait-elle toujours"
Et je ne répondais jamais. Je souriais simplement.
Ce jour là, elle l'a dit d'une voix tremblante. Le lendemain je rentrais dans la caserne de la ville. Elle, n'était pas dupe, et voyait tous les regards criant mon défaut, car pour eux ma peau en était un. Elle avait peur, peur pour moi.
Elle est repartie un peu après et moi j'ai passé la moitié de la soirée dehors, presque nu, sous la pluie. Sa voix avait détruit la barrière que j'avais créée entre ma liberté et ces regards pesants, ces attitudes dégouttées, ces remarques vulgaires. Ses mots tremblants venaient de détruire le peu de confiance que j'avais en moi à cette époque. Je n'ai pas dormi de la nuit, la voix de ma mère raisonnant entre mes tempes, et à chaque écho détruisant un peu plus mon semblant de confiance.
C'est donc les yeux rouges, les mains tremblantes que j'arrivais à la caserne le premier matin. On fut examinés par des mèdecins, questionnés par des guerriers et conduits à nos dortoirs. Avant même de croiser la moindre personne, je sentais déjà les pierres des murs de la caserne vomir leur dégout contre la noirceur de ma peau. Et les regards et commentaires des soldats, mèdecins et recrues firent le reste.
Midi arriva.
Je crois que cette heure avait été gravée sur les papiers de ma naissance comme les premières concéquences de ma principale erreur : être né.
C'est cette heure que la haine a choisie afin de me prouver que je n'existerais plus jamais sans elle. Elle m'indiqua à ce moment précis quel choix je devais faire.
Nous étions en rang, droits, des statues de plâtre, entâchées d'une en ébène. Et cette tâche, ce fut la seule chose que l'homme qui allait nous entrainer remarqua ce jour là, comme tous les autres jours que j'allais passer dans cette caserne.
Il nous salua, mais avant même de nous dire bonjour, s'avança vers moi. Il s'arrêta presque contre moi, me sentit, et une douleur violente me traversa le ventre avant que je ne m'écroule au sol.
" Alors le charbon veut devenir soldat, cria-t-il alors que j'étais encore au sol. Tu crois que tu sais te battre ? Regardes, ta peau noire se plie sous mon poing. Qu'est-ce que tu fais ici, tu veux ridiculiser notre armée avant même qu'elle parte au combat ? Tu veux empoisonner mes soldats de ta peau de chien brulé, de charbon puant, de feu mort ? Tu as la couleur d'un mort, l'odeur d'un mort, la force d'un mort. Relèves toi ! Ta peau transpire la maladie, déjà noire à la naissance. Tu vas dégoutter mes soldats. Tu me donnes déjà envie de vomir.
Trop faible pour se battre. Trop puant pour soutenir mes hommes. Trop malade pour être en cuisine. Trop sombre pour faire une bonne cible à l'ennemi. Tu dégoutteras même notre ennemi s'il te voyait. Il croirait que notre armée est contaminée par la mort elle même tellement tu es horrible à voir, à sentir, à toucher. J'ai presque vomi en te frappant.
Alors écoutes bien, je suis le Chef ici. Je te garde parce que ta mère nous paye bien et qu'elle sait y mettre la forme la garce. Baisses les yeux ! Mais pour moi tu ne seras jamais qu'un dégout vivant. Jamais tu ne seras soldat dans notre armée. Tant que tu seras ici, le chien gardera toujours un grade au dessus de toi. Tu n'es rien. Et sois content que je ne te fasse pas jeter en pature pour les chiens, non pour toi mais pour eux, je ne veux pas qu'ils soient malades. Tu n'es rien, ne l'oublies pas."
Il tourna les talons et disparut de la cour. Aucune recrue n'avait bougé. Ils avaient tous cette expression sur le visage. Ils me regardaient semblant remercier le Chef du discours qu'eux n'avaient pas osé prononcer. Ils représentaient la cité et la cité me vomissait. Le ventre me faisait mal, mais c'était plus mon âme que mes cotes qui souffrait.
Je suis resté quatre années dans cette caserne. Quatre années à devoir saluer le chien comme un gradé, à dormir sur le sol, me laver sous la pluie, manger les restes. Ils avaient décider de me détruire par le moral mais aussi par l'épuisement physique. Ils me réveillaient à coup de pieds, se défoulaient sur moi. J'ai appris à prendre les coups, comme une femme violée. J'ai appris à vivre ainsi, l'âme détachée du corps.
Puis, le jour de ma dix-huitième année, mon âme s'est rattachée à mon corps. Le dégout vivant est revenu à lui.
...Mais permettez moi de boire quelque chose avant que je continue mon récit.
Behaine | 25/10/07 20:41
Envoutant !
Pépé Narvalho | 26/10/07 07:36
Aussi bien que le premier.
Et au passage merci pour ce format court, qui permet de lire plus facilement.
