Forum - [RP - Lihdhil] Où l'on se dit qu'il aurait finalement mieux valu ne jamais inventer la boussole.
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Falxo Feronas | 05/12/06 22:13
Sur la plage de Lihdhil, c'était un jour comme un autre. Les galets rutilaient au soleil, les poissons s'ébattaient dans l'eau miroitante, et deux vieillards pêchaient.
Assis sur un promontoire étroit, les jambes pendant au-dessus des vaguelettes qui venaient se fendre sur la roche, la ligne trempant dans l'eau, tout proches l'un de l'autre, tout dans ce tableau laissait supposer qu'ils étaient les meilleurs amis du monde. Tout, sauf, en fait, un détail d'importance : la Séparation. En effet, à y regarder de plus près, entre eux deux était dressé une espèce de paravent d'algues et de bois flotté qui les coupait de leurs regards mutuels. Ils pouvaient ainsi passer toute une journée à pêcher sans se voir ni se parler.
Pour ce qui était de leurs noms, ils avaient été oubliés de tous depuis longtemps, y compris par eux-même. Lorsqu'on voulait les appeler, on utilisait les surnoms qui leur avaient été attribués depuis. L'un d'entre eux était ainsi désigné comme le « Vieux du Nord », tandis que l'autre avait reçu l'appellation de « Vieux du Sud ».
Ces surnoms avaient en fait la même origine que l'étrange paravent, assez justement nommée la Séparation, placé entre eux. Il se trouvait en effet que le Vieux du Sud et le Vieux du Nord passaient leur temps à se détester cordialement.
Voilà déjà plusieurs dizaines d'années qu'ils avaient cessé de se parler. Ceci pour une affaire d'honneur dans laquelle aucun des deux, même pour tout l'or du monde, n'aurait accepté d'admettre son tort, et dont voici les termes : les deux Vieux habitaient au Village, la seule parcelle de civilisation connue sur les terres de Lihdhil. Tous deux étaient passionnés de pêche, et tous deux se rendaient chaque jour à la plage pour pêcher.
Or, pour ce faire, chaque matin, le Vieux du Sud se dirigeait tout droit vers le sud ; de son côté, le Vieux du Nord empruntait la route du nord. Le fait était qu'aucun ne déviait un seul instant de son chemin, lequel se dirigeait tout droit dans la direction choisie. Et pourtant, tous deux arrivaient toujours en même temps à la plage, par l'action sournoise d'une particularité géographique du continent de Lihdhil, qui faisait que d'où qu'on parte, on revenait systématiquement à son point de départ, à moins d'avoir une destination précise, auquel cas on y arrivait à tous les coups.
Et leur dispute concernait cette divergence de routes. Chacun soutenait que la plage se trouvait, l'un au nord, l'autre au sud du Village. Et chaque soir, au moment de rentrer chez eux, le Vieux du Nord repartait vers le sud et le Vieux du Sud vers le nord. Et ils arrivaient en même temps au Village. Pire que ça, en fait : chacun d'entre eux, faisant preuve de l'entêtement le plus admirable, prenait tout son temps sur la route du retour, flânant, ralentissant à loisir, et, une fois arrivé, voyait tout de même l'autre arriver en même temps que lui ; ce qui ne faisait que les conforter dans leurs croyances respectives, car si l'autre Vieux arrivait au même moment et non pas avant malgré le retard volontaire, cela prouvait forcément que, pour donner du crédit à son mensonge éhonté, il avait dû contourner le Village au pas de course et y entrer pernicieusement du mauvais côté.
Voilà donc des années que durait la querelle. Pour y mettre un terme, ils avaient bien cherché, chacun de leur côté, à trouver une plage où pêcher tranquillement, loin de son rival. Mais voilà, cette même géographie trompeuse qui était à l'origine de tous leurs ennuis les empêchait également de recourir à cette solution, car il était tout à fait impossible d'arriver où que ce soit sans savoir à l'avance que c'était là. Au final, ils débouchaient toujours sur la plage qu'ils connaissaient déjà, et qui, à leur grand dam, ne pouvait offrir aux pêcheurs qu'un étroit promontoire pour jeter leur ligne.
Puisqu'ils étaient donc obligés, malgré leurs divergences d'opinion, de se serrer sur ce promontoire s'ils voulaient pêcher tous les deux, ils avaient fini par confectionner la Séparation, le paravent marin dressé entre eux, à partir d'éléments ramassés sur leur plage. Ce n'était qu'un petit mur, mais grâce à elle, leur cohabitation forcée était autrement plus supportable. Ils parvenaient ainsi à s'ignorer de longues heures durant, ne sortant de leur mutisme têtu que lorsqu'un sujet de discussion inhabituel et extérieur à leurs personnes les forçait à parler, la plupart du temps en termes peu amicaux, d'ailleurs.
Et il se trouvait que, ce jour-là, un sujet de discussion inhabituel et extérieur à leurs personnes allait les forcer à parler.* Cet élément perturbateur se matérialisait sous la forme d'un point noir à l'horizon, planté sur la mer. Un gros point noir, en fait. Assez gros pour être certain qu'on n'avait pas été trompé par un jeu de lumière sur la surface de l'eau, ou pour décider de jeter ces herbes inconnues ramassées la veille sans fumer ce qu'il en restait, et d'aller se coucher.
Les Vieux l'avaient tous deux aperçu, bien sûr, et eux n'avaient rien fumé depuis bien longtemps, préférant vanter les bienfaits de l'air marin ; de toute façon, ils avaient, au cours d'une de leurs disputes qui s'était terminée un peu plus violemment que les autres, cassé leurs pipes.** Ils l'avaient donc bel et bien vu, ce point noir sur la mer, mais ils gardaient le regard résolument fixé sur leurs lignes, comme si tout était parfaitement normal et que rien ne pouvait les détourner de leur quotidien.
Ce fut le Vieux du Nord qui craqua en premier.
« Hé. DuSud, tenta-t-il en tapotant contre la Séparation.
- Hmm.
- J'crois qu'il y a un bateau, là-bas, nan ?
- Ouaip, j'l'avais vu, s'empressa de grommeler DuSud, qui refusait d'être en reste.
- Peuh, ça m'étonne de tes yeux de vieille chouette rabougrie.***
- Pauvre déchet rampant.***
- Vieux varech desséché.***
- Il approche.****
- Hein ?*
- L'bateau, là. Il approche, il vient par ici, quoi.
- Bah, ma foi, t'as raison, DuSud.
- Comme toujours.
- Ta gueule. J'crois qu'on devrait rentrer au Village pour les prévenir.
- Ouaip, DuNord, ouaip. Ca s'rait mieux. »
Ils se levèrent du même mouvement, évitant soigneusement de se regarder par-dessus la Séparation, et entreprirent de remballer leur matériel de pêche. Après quoi, DuSud repartit vers le nord et DuNord vers le sud.
Ce soir-là, ils arrivèrent en même temps au Village, après force ralentissements, et racontèrent, sans cesser de se rectifier mutuellement quand l'autre oubliait un détail même insignifiant, ce qu'ils avaient vu sur leur plage. Au final, tout le monde alla se coucher. Mais s'il y avait une chose dont les Vieux étaient absolument sûrs, c'était la suivante : il se préparait quelque chose sur Lihdhil. Et de quoi qu'il s'agît, ç'allait probablement être un sacré bordel.
* : En termes peu amicaux, d'ailleurs.
** : Signalons ici l'importance de bien saisir l'expression dans son contexte et non pas individuellement. Sinon, cette histoire n'aurait plus guère de sens.
*** : Notons les termes peu amicaux. Vous voyez bien qu'il y a une cohérence dans cette histoire : tout concorde, finalement.
**** : Ca, par contre, ce n'est qu'un terme tout à fait normal et pas le moins du monde peu amical, mais ce n'est pas grave, tout le monde a fait la confusion.
* : Oui, même lui. (Promis, je m'arrête, de toute façon je vais bientôt tomber à court d'étoiles, ça nous apprendra à les distribuer à n'importe qui, aussi...)
Margor | 06/12/06 00:06
Tres bonne introduction ! Ce conti promet, on va s'amuser 
Noir-feu | 06/12/06 00:49
Superbe! 
Jemal | 06/12/06 05:10
Vi ! J'aime bien aussi !!!
Snake Plissken | 06/12/06 05:29
Je craque pour la 5e étoiles.
