Forum - [Certadhil III] Assassinat sous les étoiles.

Index des forums > Rôle Play > [Certadhil III] Assassinat sous les étoiles.

Kärel | 01/11/10 23:40

La scène se passe peu avant le départ pour Certadhil, sur Ezaldhil.

Partie I : Réflexion sur la montagne.

IL faisait frais. Un vent d'une douceur apaisante caressait le visage du promeneur. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas pris le temps d'apprécier la nature telle qu'elle s'offre à qui veut en voir la beauté. Il avait rencontré, au détour d'un voyage, un homme défiguré prophétisant le retour du Mal, du moins la fin de l'époque où l'on pouvait s'asseoir tranquillement dans un champ sans craindre qu'une armée de démons calamiteux ne viennent vous étriper dans la plus grande euphorie collective. Le démuni parlait d'un continent maudit entre les maudits, Certadhil. La menace semblait sérieuse, ce qui poussa le jeune humain à envisager sa participation à l'éradication du fléau naissant. Il s'était donc rendu ici pour réfléchir au calme, et accessoirement profiter de ce moment qu'il n'aurait peut-être plus jamais l'occasion de vivre. Le Soleil se couchait un peu plus à chaque pas, ses chauds rayons colorant les nuages surplombant la vallée d'un rose orangé au teint féérique. C'était un spectacle rare, et il comptait bien ne pas en rater une miette.

Après quelques minutes, l'homme arriva au point culminant du col. De son promontoire, il pouvait aisément admirer toute la splendeur du tableau. Même les oiseaux s'étaient réunis pour chanter les éloges de Dame Nature. Une artiste comme nulle autre, quand on pense aux différentes merveilles géologiques éparpillées de par le vaste monde. Il s'allonga dans l'herbe comme il aimait tant le faire, et ferma les yeux. C'est tout naturellement que vint petit à petit le sommeil, malgré les faibles réticences que possédait son hôte à s'endormir pendant un tel moment de bonheur, de passion d'exister. Ainsi Kärel laissa-t-il son corps inerte pour aller voguer sur les terres inexplorées du rêve... et le jour succomba peu à peu, laissant progressivement place à l'éclat argentin de la Lune. Puis vint la nuit.

Partie II : Une rencontre peu agréable.

Le ciel était noir. Une brume légère planait tout autour du rêveur, comme une aura, une enveloppe floue, chaude et humide. Celui-ci ouvrit enfin les paupières et s'étira longuement. Il observa les environs, s'apercevant que le Soleil s'était désormais retiré. Quelle heure était-il ? Il n'en savait strictement rien. Il savait juste qu'il devait rentrer. Il prit appui sur ses mains et ses genoux, puis se releva progressivement, toujours à moitié endormi. La brise était douce, mais les herbes semblaient lacérées malgré la vitesse relativement faible du vent. Avec plus de recul, on s'apercevait que les arbres et rochers alentours semblaient eux aussi attaqués par son souffle. Cela n'intrigua que peu Kärel, dont les yeux sales brouillaient la vue. Il marchait lentement sur le sentier qu'il avait emprunté pour monter, buttant de temps à autre sur un caillou mal placé. Le bruit claquetant de l'eau sur la roche attira son attention. La présence d'un petit ruisseau allait lui être très utile dans l'accomplissement de la dure tâche qu'est le débarbouillage et le décrottage des organes occulaires. Le rêveur éveillé s'approcha d'une minuscule chute d'eau, remplit ses mains du liquide transparent et se l'étala sur le visage. Ses sens se réveillèrent temporairement : c'était froid. Après avoir recommencé plusieurs fois la manoeuvre, il entreprit de regagner sa cité. Il s'engagea donc dans l'épaisse forêt qui reliait les pics à la plaine en aval. Ici, la lune faisait office de touriste, et le lieu n'était visiblement pas ouvert au public. Bah, qu'importe, la vision nocturne de Kärel était excellente, il n'aurait qu'à s'en servir... mais la force mentale lui manquait. Il trainaît des pieds, sans savoir s'il marchait sur le bon chemin où s'il piquait droit vers un buisson d'orties. Doucement, le bretteur rejoignait sa ville en somnolant.

Brusquement, un éclair jaillit d'un fourré. L'objet se dirige rapidement vers la gorge du seigneur. Ni une, ni deux, il aggrippe le manche de sa lame avec sa main droite et frappe le plat du sabre adverse avec la gauche. Celui-ci dérive et manque de peu sa cible : un instant de plus, et la couleur du sol virait au pourpre. Quelque peu surpris par l'échec de sa tentative, l'assassin reprend rapidement le contrôle de ses pensées et recule d'un bond. Il se place en position de combat, son camouglage n'étant plus efficace. De son côté, Kärel a dégainé, tous les sens en alerte. Ses pupilles deviennent rouge et sa vision s'améliore nettement. Il y voit pour ainsi dire aussi bien, voire mieux qu'en plein jour. C'est un don qu'il possède depuis sa naissance, du moins s'il se fie à sa mémoire qu'il sait désormais peu fiable. Il n'a jamais su de qui il l'avait hérité, ni comment ni pourquoi, toujours est-il que cela représentait un atout indéniable dès qu'il s'agissait d'oeuvrer dans l'obscurité. Un rapide coup d'oeil lui permet d'estimer les capacités de l'ennemi :

Devant lui se trouve un Humain de taille moyenne, visiblement ninja de profession. Son sabre est de très bonne facture et orné de courbes harmonieuses, sûrement le travail d'un forgeron de qualité. Quand à ses habits, rien de plus que des tissus noirs enrobant son corps et son visage, et quelques plaques de cuivres pour protéger des coups maladroits, le tout cachant certainement bon nombre de couteaux et autres outils meurtriers. Son regard témoigne de sa grande expérience, il semble sûr de lui : un adversaire coriace à n'en pas douter. A sa droite, perché sur une branche solide à 7 ou 8 mètres du sol et à une quinzaine de pas de son accolyte, un Orc robuste armé d'un arc long, d'un large carquois accroché à sa ceinture et d'une imposante épée à double tranchant suspendue dans son dos. Il est torse nu et ne posséde aucune protection valable contre une arme correctement aiguisée, ce qui en fait à première vue une cible facile. La musculature de l'individu et la composition de son arc ne laissent par contre aucun doute quant à la vitesse et la précision de ses flèches : il va être difficile de les parer tout en gardant un oeil sur le premier adversaire. Il a l'air tout aussi confiant que son comparse. Enfin, à la gauche du mercenaire humain se tient, lévitant d'un bon mètre au milieu de runes arcaniques empreintes d'une lumière obscure, un Primotaure dont l'accoutrement laisse à deviner en plus de sa position peu anodine qu'il pratique une sorte de magie. Ses longs habits, semblables à des draps richement décorés, recouvrent presque entièrement son vieux corps velu, et les rares parties visibles sont incrustées de tatouages phosphorescents insolites. La créature récite une formule répétitive dans un dialecte inconnu, et paraît être à l'origine de la violente brise devenue tempête. Le guerrier solitaire a vraisemblablement affaire à des professionnels. La partie s'annonce rude, et la victoire, tout particulièrement incertaine.

Alors qu'il s'apprête à passer à l'action, un dernier détail le frappe : au plus profond des yeux de ses agresseurs défilent comme des signes, des mots d'une langue étrange, qu'il pense ne jamais avoir observé à ca jour. Et pourtant, miracle ou hallucination, il les comprend.

Partie III : Affrontement nocturne.

Conscient d'être profondément désavantagé, Kärel décide de frapper le premier. Subitement, il prend une impulsion en direction du ninja. Celui-ci adopte presque tout aussi rapidement une position défensive, tentant de deviner où va frapper son adversaire. L'Orc quant à lui calcule à une vitesse ahurissante la trajectoire de sa proie, et décoche une flèche dans la seconde, brisant ainsi tout préjugé quant à la lenteur intellectuelle de sa race. Un sourire malicieux se dessine sur le visage de l'homme visé : sa feinte est un succès. Brusquement, il plante Freyja, son katana, dans le sol terreux, et tourne autour de son arme, agrippé au manche de celle-ci. Il s'appuie sur un arbre qu'il a repéré précedemment, décoince sa lame d'entre les racines d'où elle était plantée, fléchit les genoux et bondit à une vitesse fulgurante en direction de l'archer, esquivant de peu une deuxième flèche tirée précipitemment. Ce dernier, manquant de sang-froid, balance son arc dans les fourrés, considérant le fait qu'il n'aura sûrement pas le temps de reprendre un projectile, et tente de dégainer le monstre d'acier qui lui sert d'arme de contact. Son compère humain sort 2 couteaux d'un repli de ses vêtements et les envoie en direction du bretteur, qui les dégage d'un coup précis de sa compagne nordique. Il saute alors vers lui dans le maigre espoir de l'intercepter dans sa course folle, mais c'est peine perdue. Le katana rouge sang s'approche dangereusement de la poitrine de l'individu verdâtre, et plus rien ne semble pouvoir empêcher sa mort imminente. Tout d'un coup, Kärel sent quelque chose s'enrouler autour de son ventre, qui immédiatement lui commpresse l'estomac : il crache et manque de vomir. Brisé dans son élan, il se retourne et tranche l'air d'un vif coup d'épée, espérant atteindre ce qui lui étreint le corps. C'est réussi, il coupe ainsi net une liane sortie du sol comme par magie... et le terme est bien choisi. Son regard se porte immédiatement sur le mage situé plus bas. Celui-ci grimace de douleur et se tient le bras droit avec la main gauche, comme si on venait de lui entailler le membre... il n'en faut pas plus à Kärel pour comprendre. Il n'a pas le temps de reprendre sa respiration que le sabre du premier assassin se dirige une fois de plus vers sa gorge. De justesse encore, le seigneur contre l'assaut : les lames s'entrechoquent. Profitant de la situation douloureuse du Primotaure et de l'absence d'archer dans le groupe ennemi, il tente le tout pour le tout en entraînant avec lui son opposant vers le sol grâce à un fort appui sur la garde de son sabre, que ce dernier refuse évidemment de lâcher. D'un habile mouvement de rotation, celui qui était initialement la victime fait passer ses jambes autour de la tête de son antagoniste. Cette fois-ci, rien ne pourra stopper son attaque. Il ne suffit que d'un geste brusque et la nuque du ninja se brise, sans qu'il ne puisse se rendre compte de ce qui lui arrive. Le bretteur atterrit silencieusement, la dépouille inerte de son agresseur entre les pieds. Et de un ! Désormais, non seulement il avait réduit le nombre de ses ennemis, mais il avait de plus instauré un sentiment bien utile dans le coeur des deux autres assassins : la peur.

Mais il ne peut se permettre de prendre le temps de souffler, malgré la victoire qui se veut bien plus accessible que prévue. Profitant de la surprise qu'est le décès prématuré de l'individu masqué, il ramasse d'un déplacement rapide des bras deux couteaux tombés des habits du cadavre et les lance en direction de l'arcaniste remis d'aplomb, dans le seul but de le distraire. Il prend ensuite dans sa main gauche le sabre du décédé et s'élance de nouveau vers l'Orc descendu de son arbre pour ramasser l'arc stupidement abandonné. Ce dernier, empli de haine envers le meurtrier de son compagnon, envoie valser son arme de bois vers le seigneur. C'est une action totalement irréfléchie et inatendue, en un mot : un succès. Kärel plante Freyja une nouvelle fois dans le sol et tente de changer de trajectoire, sachant que sa lame sera plus rapide que ses propres jambes, mais il a sous-estimé la puissance du lancer : la corde qu'il n'a pas le temps de couper lui heurte la main, lui entaille même, l'obligeant à lâcher prise. Il s'envole momentanément pour s'écraser sur le sol dur jonché de pierres et de racines. Il rouvre à peine ses yeux fermés par réflexe qu'il voit horrifié toute la masse de son nouvel adversaire s'écraser sur lui, abbaissant avec une force monstrueuse la gigantesque plaque de métal. N'hésitant pas un instant, il lance le sabre dérobé en direction du visage du colosse qui esquive l'attaque mais perd momentanément l'équilibre. C'est l'occasion rêvée : l'agressé tourne sur lui-même et tente un croche-patte opportuniste. La tentative est réussie. L'Orc s'écroule sur le sol, manquant de peu d'écrabouiller l'homme de sa lame barbare. Celui-ci se relève et assène un puissant coup de talon dans le plexus de son ennemi à terre, ce qui le paralyse un bref instant. Se rendant compte qu'il n'a plus d'arme sur lui et que l'outil de son adversaire est bien trop lourd pour ses maigres bras, il décide d'handicaper lourdement la peau verte en lui ôtant la vue : il plonge d'un geste vif son index et son majeur en direction de ses yeux. Malheureusement, une puissante bourrasque lui percute les côtes et le projette violemment contre un arbre au loin. En effet, le Primotaure a eu le temps de contrer les couteaux et a désormais tout le loisir de venger son collègue. L'Orc quant à lui se relève et repart en beuglant tête baissée sur sa proie, brandissant son arme destructrice. Il va falloir compter a peu près cinq secondes pour qu'il puisse toucher l'épéiste. Celui-ci en profite pour reprendre ses esprits et analyse rapidement la situation : il est blessé, n'a pas d'armes à sa disposition, ses épées se trouvent derrière la brute en furie dont la nuque est trop épaisse pour tenter une prise mortelle et il ne pourra de toutes manières pas agir librement tant que le mage l'aura dans son champ de vision... il lui faut donc disparaître. Il saute sur ses pieds et bondit dans un amas de buissons situé à sa gauche, puis... plus un bruit.

Partie IV : Assaut final.

L'homme tournait en rond dans les larges couloirs de l'immense donjon. Il faut croire que le client de l'architecte ayant conçu les plans du bâtiment n'aimait pas se sentir enfermé. L'imposant édifice, situé au centre de la cité fraîchement reconstruite, dominait la plaine où avait eu lieu jadis le combat qui s'avéra décisif quant aux noms des vainqueurs d'Ezaldhil. Cela faisait quelques heures maintenant que des cavaliers légèrement armés la parcouraient de long en large, dans le but de retrouver un seigneur qu'ils ne pensaient pas en si délicate situation. En haut des remparts, un elfe svelte à la chevelure d'argent scrutait les environs, inquiet, arc à la main et épée à la ceinture. "Je sais qu'il a tendance à dormir beaucoup, mais à ce point là..." il descendit les marches jusqu'à la porte principale, laissée ouverte depuis la signature du Traité de Paix, et attendit que les troupes de recherche aient fait leur rapport. Une forte pluie accompagnée de quelques éclairs s'abattait sur cette partie du continent, et il n'aimait pas ça. Il sentait dans cette légère tempête quelque chose d'anormal, quelque chose qui n'était pas... naturel. Un mauvais pressentiment rongeait son esprit. "Alors, toujours rien ?" La réponse se fit négative. "Ce n'est pas bon tout ça, ce n'est pas bon... tant pis, j'irai moi-même." L'elfe partit vers ce qui ressemblait au poste de garde de l'entrée de la cité. Il fit signe à plusieurs hommes cuirassés de le suivre, leur ordonnant de ne pas prendre leur monture, ne voulant pas prendre le risque de devoir rattraper un cheval effrayé par l'orage. Ceux-ci ne voulurent tout de même pas se séparer de leur armure, prétextant qu'elles étaient le "rempart contre les forces du Mal", et plein d'autres choses plus ou moins absurdes que l'on peut s'attendre à voir sortir de la bouche d'un paladin. "Il faudrait sérieusement qu'il songe à terminer d'entraîner ses fichus élèves, de rapides spadassins me seraient amplement plus utiles que ces satanés chevaliers !" maugréa l'archer. Il donna l'ordre de continuer de patrouiller et de partir à leur recherche dans deux heures, s'ils n'avaient pas montré signe de vie. S'il y avait au moins une chose que l'on pouvait attendre d'un paladin, c'est qu'il suive les consignes à la lettre. C'est donc sous la pluie battante que le petit groupe partit pour récupérer leur souverain, la crainte dans la poitrine.

Plus loin...

Ca y est, enfin, la lourde tête de la peau verte roule sur le sol, et le reste de son corps s'écroule lamentablement dans un geyser de sang. Profitant de l'atmosphère tendue, Kärel avait détourné l'attention du Primotaure grâce à une simple pierre. Ruse archaïque, certes, mais efficace. Il avait ensuite couru vers sa compagne rouge et décapité l'Orc avant que son acolyte ne puisse lui venir en aide. Au final, se dissimuler lui avait presque simplifié la tâche. Triste ironie pour le Primotaure que de savoir qu'il a aidé son adversaire à éliminer son coéquipier. L'homme en tunique en face de lui commence à prendre un sourire sadique, et le vieux mage sait qu'il en a largement les raisons. Une terrible angoisse se lit sur son visage. Extrêmement utile en soutien, il ne peut se débrouiller seul contre un adversaire aussi agile. L'utilisation d'un sortilège serait vaine, et celui-ci contré, il n'aurait plus aucune barrière contre le fer affuté de son ennemi. C'est dans ces moments-là qu'on regrette d'avoir choisi "Apprentissage et maîtrise des runes" à l'école de magie, au lieu de "Initiation aux duels". Mais qu'importe, il était là désormais, seul face à son destin, et il devait se débrouiller pour éviter une douloureuse perte d'entrailles.

La partie semblait jouée d'avance pour la cible devenue prédateur, lorsque le regard du mage devient brusquement vide. Sans aucune raison apparente, son corps s'assoupit, son visage stressé se décrispe, affichant une certaine sérénité. Son corps flottant se pose doucement sur le sol et, aussi étonnant que cela puisse paraître, les signes runiques à ses pieds disparaissent, tout comme ses tatouages perdent leur inquiétante luminosité, le temps d'un mouvement de paupière. Ainsi reste-t-il calme, assis sur le sol en tailleur, comme en transe. Est-ce un piège ? Le seigneur ne peut se permettre de prendre de risques. Prudemment, il avance, pas après pas, vers le corps que l'on pourait croire déserté. 8, 7, 6 mètres... toujours rien. Se serait-il donné la mort par une obscure incantation non perçue par les oreilles de l'Humain ? Peu probable. Alors qu'il commence à prendre confiance, la bouche du sorcier s'ouvre calmement, puis murmure des paroles imperceptibles. Jusqu'à ce qu'il prononce ce mot que le bretteur comprend sans pourtant en connaître l'origine. Son évocation brise l'atmosphère, semble figer le temps, fissurer l'espace :

"Réveil."

Partie V : Réveil.

"AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA AAAARGH !!!"

Le cri de souffrance poussé par Kärel pourfend le silence nocturne. Hurlant de douleur, il tombe à genoux, la tête serrée dans ses mains tel un étau. Le Primotaure se remet à flotter, plus haut cette fois. Son corps s'illumine, ses tatouages s'aggrandissent considérablement. Ses yeux sont empreints d'un blanc pâle des plus étincelants, des rayons de lumière sortent de ses orbites étirés à la limite du possible. Il se met à crier des paroles incompréhensibles, semblables à un déglutiement de syllabes désordonnées. En réponse à l'invocation, de nouvelles runes viennent orner le sol, plus lumineuses, plus complexes, et amplement plus grandes que les précédentes, formant un rayon de près de 20 mètres autour de l'arcaniste. Le pouvoir dégagé est si gigantesque qu'il provoque de brèves ondes de choc autour de la zone éclairée, allant jusqu'à déraciner des arbres même centenaires situés pourtant loin du théâtre de l'affrontement.

"RHAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA !!!"

La torture se fait plus ignoble encore au sein même du crâne de la victime. Il se roule par terre, hurlant, priant des dieux inconnus de faire passer la douleur toujours plus insupportable. Le corps du Primotaure possédé commence à s'égratiner, puis, progressivement, sa peau, puis des lambeaux de chairs partent en fumée, formant un nuage sombre à la noirceur malsaine autour du corps mutilé. Poussé par un vent inexistant, l'entité naissante se dirige vers le torturé gesticulant sur le sol, pour l'envelopper, toujours plus étouffante. Puis c'est au tour des marques maudites de se mouvoir pour venir s'enrouler autour du malheureux. Petit à petit, une épaisse prison, cage sphérique aux murs formés de lignes brillantes sans signification apparente et à l'intérieur plus sombre que la nuit, prend place autour du malmené, qui manque de s'évanouir tant son tourment est atroce.

Que... qu'est-ce que...

Soudain, une flèche d'argent transperce le coeur encore entier du sorcier dont la carcasse dévorée se brise en heurtant le plancher terreux. La puissante aura maléfique dont était prisonnier le bretteur s'efface sur le coup, le laissant inerte sur le sol, au bord de l'inconscience, le visage trempé. "Seigneur !" L'elfe se dirige affolé vers son maître, ne prêtant même plus attention à l'individu qu'il vient d'abattre. "Seigneur ! Vous allez bien ! Seign..." Il s'arrête net devant son supérieur, horrifié de le voir étallé par terre sans manifester aucun signe de vie. "Nom de... putain de... je rêve... c'est pas possible... c'est... un... un cauchemar... je rêve... c'est pas possible..." Heureusement, un bref mouvement de la main de l'ami qu'il croyait décédé lui fait ravaler ses larmes. "Kärel !" L'émotion lui fait vite oublier la hiérarchie, plus question de titre quand il s'agit de quelqu'un à qui l'on tient vraiment. "Oh la vache ! Kärel ! Kärel, tu m'entends ? Hey ! C'est moi ! Putain, qui a pu te mettre dans un état pareil ? Ca va, tu m'entends ? Hé, Kärel !
- Que... hein ?
- Béni soit le ciel, tu vas bien ! Tu m'as fouttu une de ces frousses !
Le bel individu à la chevelure au teint lunaire, d'ordinaire si poli, se surprend à s'exprimer de manière si... familière. Après mûre réflexion, il se dit qu'il vaudrait mieux éviter que son seigneur ne le prenne à dire pareilles vulgarités.
- Que... quoi ? C'est toi ?... ... ... Boucles d'Argent ? Comment... pourquoi m'as-tu trouvé ?
Un sourire rassuré apparaît sur la face de l'être sylvestre. Visiblement, même souffrant, son seigneur était doté d'un indéniable sens de l'humour, bien que plutôt douteux sur certains aspects.
- J'étais inquiet, il se faisait tard, l'orage grondait et vous n'étiez pas rentré. J'ai donc décidé d'aller vous chercher moi-même avec quelques hommes. Puis on a entendu vos cris et vu des arbres voler... vous vous en doutez, ça nous a suffit pour nous imaginer les pires horreurs.
Le seigneur plissa les yeux et vit effectivement des hommes en armure arriver, essouflés, trempés de sueur dans leur cuirasse d'acier. C'est l'un des inconvénients avec les paladins : sans montures, c'est lent.
- Comment quelqu'un a-t-il réussi à vous mettre aussi mal en point ?
- Je... ooooooooh, ma tête... j'ai l'impression que quelqu'un s'est amusé à balancer des enclumes sur mon crâne...
Le blessé prit appui sur l'épaule de son sauveur, et tenta tant bien que mal de se relever, mais ses membres peinaient à répondre. Après maints efforts, il réussit à se tenir debout, non sans une aide importante. Après avoir adopté une respiration plus ou moins correcte, il reprit :
- Ils étaient trois... un Homme et un Orc sans grands talents, ils ne posèrent pas spécialement problème... et puis il y en avait un troisième...
Une vague de douleur le submergea brusquement. Il faillit retomber, mais parvint à garder le peu d'équilibre qu'il lui restait.
- Monseigneur !
- Ne t'inquiète pas, ça passera... je disais donc, il y en avait un troisième... celui-là même que tu as abattu...
Leur regard se tournèrent vers le corps à moitié décomposé du Primotaure.
- Il était... pas normal. Il a prononcé des paroles bizarres, et puis, ce mot...
Il marqua une pause, son regard songeur s'abaissa.
- Ce mot... je ne l'avais jamais entendu, et j'en ai pourtant tout de suite compris la signification... sa simple énonciation a déclenché un mal de crâne démentiel, c'était comme si ma tête explosait littéralement de l'intérieur... comme si la place était devenue insuffisante...
Il pensa à ces symboles qu'il pouvait étonnament lire dans les yeux de ses adversaires. "Traque, offrande. traque, offrande. Traque...". Visiblement, quelqu'un ou quelque chose en avait après lui. Il savait pourtant pertinament qu'il ne possédait absolument rien ayant une valeur suffisament importante pour attirer des personnes assez compétentes pour envoûter des êtres vivants tout en leur laissant un maximum - enfin, une grande partie tout du moins - de leurs capacités, à moins que cela ne soit le résultat d'un défi stupide entre sorciers à moitié ivres, mais c'était peu envisageable. Encore que, simple envoûtement, il serait étonnant que le Primotaure ait choisi lui-même de se mutiler... et encore plus qu'il ait possédé un pouvoir aussi exceptionnel sans s'en être servi plus tôt. D'autant que les assassins avaient l'air parfaitement conscients de leur état. En y réfléchissant bien, il arriva à la conclusion que, ses agresseurs sachant même où il logeait, cela ne servirait à rien de rester ici en attendant les bras croisés. Et puis, pas question de passer son temps enfermé dans ses appartements ou avec 10 gardes du corps tous plus encombrants les uns que les autres. Enfin, une intime conviction lui soufflait de s'y rendre... Il prit le temps de respirer un grand coup, après quoi, d'un ton plus ferme, il reprit la parole :
- Bien, écoute attentivement ce que je vais te dire : tu vas rentrer au royaume et me laisser avec les autres tortues. Arrivé là-bas, tu vas immédiatement aller voir Canas et lui passer tous les ordres que je t'aurais donné, soit la préparation immédiate de nos troupes vers Certadhil...
L'elfe le coupa net à l'énonciation de la terre maudite.
- Vous êtes donc sûr ? Malgré les bruits, les rumeurs ? Malgré les atrocités ? Malgré...
- Ne discute pas ! Je te suis extrêmement reconnaissant de m'avoir sauvé la mise, mais cela ne te dispense pas du respect que tu me dois !
Il baissa la voix.
- Excuse-moi, j'ai quelque peu du mal à me contrôler. Je reprends : je veux que tout soit prêt le plus vite possible. Je ne te donne pas de limite de temps, la qualité des préparations doit primer. Prend toutes les dispositions nécessaires pour motiver les troupes, je veux qu'elles sachent qu'elles s'y rendent pour la bonne cause, je refuse de voir dans mes rangs des soldats apeurés prêts à déserter. Si nécessaire, fournis de l'argent à leur famille, proches... je veux que le peuple ait de quoi vivre aisément en notre absence. N'émets pas l'hypothèse d'un voyage sans retour, il ne faudrait pas saper d'avance le moral des hommes. Je veux que toutes les armes et armures soient polies, ré-affutées, changées s'il le faut. Que tous les grimoires et tomes de magie soient mis à jours, je veux une armée compétente et équipée. Ha, j'oubliais, dis à Canas de rassembler tous les experts en magie noire et nécromancie, il faut qu'ils trouvent un moyen de rendre inutilisables nos corps si la Mort venait à nous frapper. Me suis-je bien fait comprendre ?
- Très bien, monseigneur !
- Excellent. Va, tu as toute la confiance que peut t'accorder un homme boîteux pris d'une migraine."
Il offrit un clin d'oeil complice à son ami, qui, après avoir transmis son fardeau à l'un des hommes cuirassés, prit le chemin de la cité humaine avec toute la vitesse et l'élégance digne d'un être de la forêt. Dans la tête de celui-ci, les ordres se bousculaient, les évènements passés et à venir tentaient de trouver leur place. A travers ces pensées, le messager se rendit compte de l'absurdité de certains dires de son maître. Il était évident qu'il allait être impossible pour de simples érudits, même expérimentés, de trouver un remède de ce type contre la nécromancie, sachant qu'une telle découverte serait depuis longtemps connue si elle existait. Mais tous les moyens sont bons pour rassurer les troupes, se disait-il...

De son côté, Kärel essayait tant bien que mal d'avancer confortablement avec les plaques en métal du paladin qui lui rentraient dans les côtes. Il avait ordonné à quatre autres soldats de ramasser les armes, outils et vêtements des cadavres encore en bon état, ayant, il faut l'avouer, un certain faible pour la magnifique ornementation du sabre désormais sans propriétaire. Il avait pensé engager la conversation, mais le sens de la réalité l'avait heureusement rattrapé avant qu'il ne commette la fatale erreur d'essayer de dialoguer intelligemment avec des hommes pour qui la Vie s'arrêtait aux simples concepts de Bien et de Mal. Mais il faut croire que lesdits hommes, flattés d'être ainsi laissés seuls avec leur bon souverain, désiraient, en plus de cet honneur, échanger quelques paroles avec lui. Ou alors était-ce tout simplement pour briser le silence déjà peu respecté des claquements et frottementes de leurs protections corporelles. Celui qui supportait le bretteur ouvrit finalement la bouche pour poser une question des plus innatendues :
"Monseigneur, vous allez bien ?
Comment répondre à ça ? Il aurait pu être bref, poli, agréable, sympathique même, mais l'humeur n'y était pas.
- Oui, oui, bien sûr. J'ai un fourneau à la place du crâne, mes jambes ne me répondent presquent plus, ma belle tunique est maculée de sang, mes yeux me piquent, je viens de me faire aggresser par trois gus dont je n'ai aucune idée ni de la raison de l'attaque ni de leur origine, des plaques de métal me pénètrent les côtes, nous allons bientôt faire route vers la terre la plus maléfique et dangereuse que nous n'ayons jamais foulée, et c'est peu dire, et par-dessus tout il va bien falloir compter deux bonnes heures pour atteindre les portes de la ville à la vitesse où nous avançons. Mais à part ça, oui, oui je l'avoue, j'ai un moral d'acier.
Une mouche voltigea entre les hommes silencieux. Après un long instant, l'homme d'arme reprit la parole :
- Vous m'en voyez rassuré, monseigneur !
Le regard totalement blasé de celui-ci se posa sur le visage transpirant de son interlocuteur, occupé à le porter. Avait-il affaire à un homme sérieux ou avait-il réussi à faire naître l'ironie chez un paladin ? Hmmmmmm, tout bien réfléchi, il devait être sérieux. C'est tout de même naïf, un paladin.

---------------------------------------- ------------------

Kärel, Ombre égarée sur les rives de l'Existence.

Index des forums > Rôle Play