Forum - [La quête des légendes, Special Reissue Edition 7/21] La mer 2/4 : Battons rompus.

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Celimbrimbor | 29/08/19 13:04

La nuit filtrait par les lattes des volets, diluait les contours de la pièce. André inspira et compta jusqu'à cinq. Il relâcha son souffle et se leva pour aller faire ses ablutions. Dans la demeure il n'y avait aucun bruit. Elles étaient trop bas pour qu'il pût entendre l'agitation des cuisines. Il plongea les mains dans l'eau du bassin et le froid mordit sa chair. Il s'essuya le visage dans la serviette rêche et alluma une bougie. Aussitôt la mansarde devint mesurable et l'obscurité s'enfuit se tapir dans les ombres. André examina son visage dans le miroir, le rectifiant à coups de rasoir. Satisfait, il revêtit son costume, brossa ses faux plis, veilla à ce qu'il tombât correctement. Il se regarda une dernière fois puis éteignit la bougie entre ses doigts et ferma la porte derrière lui. Les ténèbres avalèrent les meubles. La chambre redevint infinie. André descendait l'escalier de service ; la journée commençait.
Les protestations de la poêle sous les œufs brouillés lui apprirent qu'Ernestine s'affairait, l'odeur de café qui passé confirma cette idée. Il passa la porte des cuisines et s'installa devant son bol. Le liquide brûlant meurtrit sa bouche et son estomac. Ernestine quitta le plateau des yeux pour l'interroger.
« Non. Réserve, j'appellerai tout à l'heure.
─ Très bien. Je laisse Franck dormir encore un peu.
─ Non. Réveille-le, qu'il apporte de l'eau et du pain dans la chambre bleue.
─ Ah ! C'est lui que tu as ramené cette nuit alors. Un sourire. Elle déposa des tranches de brioche grillées devant André. Mange, je m'occupe du reste. »
Elles sentaient le beurre et goûtaient les œufs et leurs croûtes craquantes raclèrent sa gorge. Il appréciait ses fins de nuit, dans la chaleur de la cuisine qui le rendait étranger à lui-même, à son service. Elle appartenait à Ernestine, elle seule ici jugeait et tranchait. Tout majordome qu'il fût, il n'était toléré là qu'en ambassadeur lointain. Il savourait de tels répits.
Avec un mouchoir, il s'essuya la bouche. La cuisinière revint et coupa le feu sous ses œufs sans un regard pour André. Il se leva, rangea la chaise sous la table et retourna à ses responsabilités. Bientôt toute la demeure vibrerait. Par une des rares fenêtres de la coursive du premier, André aperçut les forêts de l'intérieur des terres ; le jour se levait.
La porte coulissa, André entra dans le couloir principal et la repoussa doucement. Le tapis étouffait ses pas. Aucun son ne provenait du bureau malgré la lumière qui fuyait sous le chambranle. André frappa et attendit une minute puis frappa de nouveau et finalement ouvrit en silence. Les rideaux étaient tirés, trois bougies agonisaient sur les candélabres. Il y avait des papiers partout, tirés à la va-vite de cartons d'archives qui gisaient autour du bureau et jusqu'à la table basse, recouverte de dossiers éparpillés. André nota tout du regard. Il sortit un plaid d'un des placards et l'étendit sur son maître, évitant de faire craquer les pages répandues sur le sol. Il moucha les bougies et les posa sur une console. Cela fait, il sonna la cuisine et, à la chiche lueur qui passait les grands voiles, entreprit de trier et ranger les archives.
Une tête trop chevelue apparut dans l'entrebâillement de l'entrée alors que la trable basse retrouvait un semblant de ses fonctions premières.
« Silence. Un hochement de tête. Prends les bougies, descends-les aux cuisines pour le fondeur. Nouveau hochement. Tu demanderas à Ernestine d'ajouter un jus de fruits au plateau. Un temps. Inutile qu'il soit copieux, quelques fruits suffiront. Un dernier hochement. File. »
Pierre s'agita dans son sommeil. André se tourna dans sa direction puis délaissa une dernière boîte à ranger pour aller ouvrir les rideaux et la grande fenêtre. Le vent soufflait depuis l'océan, passait sur la ville. L'air marin brûla les narines du majordome alors qu'il inspira à plein poumons. Le matin sentait le sel et le pain chaud. Les odeurs de calfat et de poissons, autrefois si rudes, perdaient en force faute de vraie pêche. Il compta jusqu'à cinq, puis encore une fois et quitta le balcon. C'était Jeanson qui montait. André reconnut le rythme trop rapide de sa respiration. Un doigt sur les lèvres, il le salua puis lui fit signe de laisser la desserte sur le pas. Le vieux serviteur s'exécuta puis repartit sans un mot. Le majordome la fit glisser dans la pièce, se posta à son côté et, imperceptiblement, se détendit. Là, il glissait dans le décor, se fondait dans son espace à la façon d'un prédateur. Il attendait ; l'aurore s'étirait.
Pierre ouvrit les yeux et s'assit.
« André ?
─ Monsieur.
─ Quelle heure est-il ?
─ Un peu plus de sept heures, Monsieur. »
Pierre but d'un trait la tasse de café tendue par son majordome, puis une seconde. Ses yeux balayaient la salle. Il se leva, marcha un peu vers le balcon, explora l'horizon. « Toujours aucun retour. » Il se détourna de la fenêtre, secoua la tête quand André souleva le couvercle du plat d'œufs brouillés. Il désigna des cartons d'un geste de la tasse, presque vide.
« Tu pourras ranger ceux-ci à leur place dans les archives. Une dernière gorgée amère et chaude, un peu de sens pour chasser le brouillard. As-tu ce que je t'ai demandé ?
─ Non, monsieur, il n'était pas lié aux caravaniers. Un hochement de tête. J'ai cependant surpris une conversation qui m'a fait bouleverser mes plans : je l'ai ramené ainsi que deux lettres qui traînaient sur son secrétaire. »
Pierre posa sa tasse sur le bureau, déplia la première missive puis la seconde et les lut à nouveau en faisant le tour du bureau. D'une main, il ouvrit sans le voir un des panneaux en treillis de sa bibliothèque et en sortit un lourd registre. Il le plaça sur le meuble, l'ouvrit à l'index puis à la page voulue et compara les écritures dans le silence. Il referma l'ouvrage, le rangea à sa place et se retourna.
« Improbable et stupide. Totalement stupide. Un temps. Tu l'as mis dans la chambre bleue je suppose ? Un hochement de tête. Descendons. »
Il déposa les lettres sur la table basse, dépassa André et préleva une nectarine sur la desserte avant d'ouvrir la marche. Le majordome le vit la glisser dans une poche de sa veste et vérifier rapidement dans un miroir du palier que sa mise n'était pas trop froissée de la nuit. La balustrade de l'escalier de maître brillait doucement ; l'aube s'achevait.
Ils s'arrêtèrent devant la porte et ce fut Pierre qui l'ouvrit. L'applique éclairait la petite pièce aveugle et sourde et dévoilait un lit, une table, un broc d'eau et une miche de pain, une chaise et un homme assis. Le majordome entra le premier et fit quelques pas dans la poussière du sol avant de s'immobiliser. Le prisonnier leva les yeux, marmonna quelque chose. André remua le pied comme pour effacer quelque chose. L'homme gémit.
« C'était une bonne idée. Un temps, puis à Pierre. Il avait mesuré sa portée efficace.
─ Oh. Le maître s'arrêta un demi-pas en arrière à côté d'André. Bien. Nous avons donc un terrain d'entente : nous vous voulons tous les deux libre et hors d'ici.
─ Ben tiens, elle est bonne celle-là.
─ N'est-ce pas ? Pierre essuya sa nectarine sur un pan de sa veste. Les termes de la discussion sont les suivants : vous répondez à mes questions et nous vous relâchons. Sinon, je vous fais abattre. »
Il y eut un silence tremblant dans la lumière, que Pierre mit à profit pour entamer son fruit. Le prisonnier chercha à river ses yeux dans ceux de son interlocuteur et il n'y trouva qu'une résolution fatiguée. Il se racla la gorge.
« Vous me relâcherez vraiment ?
─ Oui. Pierre enroula le noyau dans un mouchoir qu'il glissa dans une poche. Quel était l'objectif de votre parti de brigands ?
─ Un convoi marchand, votr' seigneurie. Entre Iv' et Fère Vive. On nous a donné son itinéraire.
─ Qui, « on » ?
─ Il a pas dit son nom, seigneur. Une pause, paniqué, André se penchait juste assez. Un grand échalas, blondinet, un peu efféminé !
─ C'est tout ?
─ Non ! Non, attendez ! Il portait un anneau à la main droite ! Oui ! Une triple pierre : rubis, émeraude et topaze. Une pause dubitative. J'en suis sûr ! Juré ! C'est pas commun un caillou pareil ! Ça passe pas inaperçu ! Juré !
─ Que vous a-t-il dit ?
─ L'itinéraire du convoi, des endroits où s'embusquer, qu'il prendrait un quart du butin total et ce qu'on arriverait pas à emporter nous-mêmes et Le prisonnier sursauta quand Pierre lui tourna le dos et sortit de la salle. Eh ! Vous aviez dit que vous me ─ »
André ferma la porte et se rapprocha de son maître qui retournait vers le grand hall. Il s'arrêta au pied de l'escalier, la respiration sereine.
« Prépare de nouvelles routes pour les caravaniers, va prévenir le conseil que je le souhaiterais ici à deux heures cette après-midi et indique à l'ambassadeur d'Iv' que je l'attendrai pour cinq heures. Un temps. Et si Étienne Carsis est en ville, convie-le à dîner avec moi ce soir, veux-tu ? Pierre regarda l'horloge taper la seconde. Tu diras également à Franck de sceller Anatole, de galoper jusqu'à Lubey et de revenir aussi vite que possible pour me dire ce qu'il y aura vu. Une pause. Avant la nuit ce serait bien, avant dîner ce serait mieux. Pierre se pressa les yeux. Tu me réveilleras à dix heures et demi pour me présenter les itinéraires alternatifs avant l'arrivée des caravaniers. J'ai besoin de repos. »
Le maître de Fère Vive eut un sourire las en tendant à André son mouchoir rendu humide par le noyau de la nectarine. Avec un dernier regard sur l'horloge et la grande porte, comme s'il espérait quelqu'un, il se mit à grimper l'escalier à pas lourds. À mi-palier, il se retournait.
« Oh, Anastasia me le rappelle à l'instant : n'oublie pas de libérer ce pauvre hère, d'accord ? Tu lui fourniras des vivres et un peu d'argent. »
Et sans attendre de réponse, Pierre continua de monter vers sa chambre, dialoguant avec sa mémoire. André le regarda disparaître de sa vue. Le déchet du fruit poissait sa main malgré le mouchoir. Ses muscles lui faisaient mal de la nuit. Il inspira. Ce n'était plus tout à fait le matin : la journée continuait.

Celimbrimbor | 29/08/19 13:05

Et comme toujours, l'originul : [Lien HTTP]

Ps : Merci, Jarx, c'est sympa de se savoir lu.

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