Forum - La Lune éclaire une Autre Rive
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Noir-feu | 14/09/08 17:58
Ces fétus de paille s'embrasent et finalement les créatures ne deviennent que poussière à son contact. Il n'a fallu que quelques minutes pour que l'armée improvisée ne se transforme en spectre hantant seulement les souvenirs d'Auklèce. Accroupie dans une cavité, son souffle est coupé, ce n'est plus l'effet de la strangulation mais celui d'une peur sourde. Elle sert la dague du maître du cercle dans ses mains sans vraiment en avoir conscience tant le spectacle de cette magie déployée fut terrifiante. Avec une légère surprise, elle regarde cette arme dérobée au drow qui la détaille maintenant avec un sourire narquois. Ses yeux se plissent légèrement quand elle croit reconnaitre les mêmes signes qui couvrent le Livre des Destinées que lui a offert l'Ancêtre des dragons.
-C'est bien l'écriture dragonique qui couvre la lame de ma dague...Vous connaissez les dragons, il me semble, et ce de façon même très intime.
Sa voix est calme, ses tonalités sont sensuelles, son rire enchanteur. On pourrait presque oublier quel genre de monstre sommeille dans cet être. Auklèce se relève et s'avance vers lui, en le dénigrant avec mépris, elle étouffe ce que son instinct lui hurle : la fuite.
-Vous ne voyez pas d'inconvénient que cette arme honore la mémoire du peuple auquel elle appartient.
-Auklèce...Dame Auklèce...C'est bien cela ? Immortelle paraît-il ?
Le Maître du cercle s'avance vers elle, lentement, ses prunelles mauves l'absorbent avec convoitise. Auklèce raccourcit la distance en l'imitant, tout en serrant plus que jamais la Dague des Dragons.
-Ne faites point de zèle en dévoilant mon nom. Il n'est point étonnant qu'un homme aussi avide de pouvoir connaisse maintes choses.
-Hmmm...Judicieux. Je connais ma mort. Rendez-moi ma dague.
-Vous dites quelque chose de censé, mais vous êtes un doux rêveur.
Auklèce esquisse un sourire glacé sans y mettre vraiment de coeur, mais plutôt une vengeance implacable. Elle reprend en laissant échapper un filet de voix doux :
-Je garde cette arme, peut-être ne savez vous pas, que le Livre des Destinées m'appartient. Il me fut offert par l'Ancêtre des dragons.
-Il suffit !
-Il est écrit qu'un homme honoré par des augures prometteurs devait régner sur le monde et y apporter l'harmonie et la Paix. Cet homme deviendrait le maître du Cercle pour nourrir l'histoire dans une éternelle prospérité.
-Assez !
-Je n'ai pas fini...Seulement, sa santé fut précaire. Pour donner la vitalité nécessaire à ce haut elfe, un dragon devait se lier et partager son coeur au moyen de cette dague sacrée. Mais...ce que les étoiles n'avaient pas révélé, fut ses travers.
Le visage paisible au Maître du Cercle se crispe de façon hideuse, sa véritable nature se révéle, Auklèce croit voir sa propre mort dans l'éclat du regard foudroyant qu'il lui jette. Elle reprend en puisant dans son courage et sa provocation naturelle, elle n'a plus rien à perdre, si ce n'est sa vie de veuve.
-Le seigneur tant attendu devint un assassin. Par cette dague que vous affectionnez tant, vous avez volé le coeur entier et occis votre premier dragon. Vous avez retrouvé votre force et même plus, vous êtes devenu un puissant mage. Nul ne peut vous tuer...sauf le témoin de votre propre faiblesse. Cette dague est la seule chose qui peut reprendre la vie que vous avez volé !
Une tornade l'emporte dans sa colère, Auklèce y fait face tant qu'elle peut, surprise par l'assaut inattendu de son adversaire. Elle esquive les attaques du Maître. Il ne faut point qu'il la touche ! C'est un étrange combat qui se déroule dans les entrailles de la terre, nul choc d'armes, nul bruit, seulement le déplacement de l'air et ce silence qui laisse planer dans son atmosphère la Mort. Auklèce esquive les approches et contre-attaque avec une rapidité rageuse. Elle prend conscience de son pouvoir, ce n'est pas elle qui doit reculer, elle possède l'arme qui apporte la crainte au Maître. Il doit la craindre ! Elle redouble d'intensité et sabre l'air qui siffle dangereusement sous la lame affutée. La maître recule et s'accule contre une paroi qui le met face à la fin de son règne. Il voit le sourire radieux d'Auklèce qui ne réchauffe pas la glace de son regard bleu quand la lame transperce le coeur de celui qui a tué son compagnon. Le rire rauque du maître du cercle s'élève entre ses râles. La Reine d'Astria regarde avec horreur le drow qui se décompose au lieu de mourir comme tout ceux qu'elle a tué en guerre:
-Malheureuse, tu ne verras jamais ton fils grandir ! Tu portes l'essence d'un dragon en toi, de Noir feu. Tu ne le savais pas ? Ha ha ha Voilà pourquoi tu pouvais me tuer et venger le peuple des dragons ! Je savais que tu signerais ma fin, c'était écrit ! Mais savais-tu que je signerais la tienne ? Ha ha ha...inconsciente !
Auklèce reste sous le choc de la révélation : « La Vie aura raison de la Mort, l' Immortelle apportera la justice, son âme est une épée qui tranchera les liens de la trahison ayant souillé le peuple des Dragons, son jugement aura tout son pouvoir du fond de ses entrailles ». Elle avait lu ces lignes s'en en comprendre le sens, la fatalité la fait chuter d'une hauteur vertigineuse. Elle est cette femme. Mais surtout, elle va être mère, elle porte le fils de celui qu'elle a aimé. Mais son moment d'absence est fatal. La main desséchée du drow agonisant la propulse contre la paroi rocheuse avec une violence extrême et surnaturelle. Un craquement sec et la vive douleur sur le côté droit lui arrache un cri tout en lui apprenant que ses cotes ont cédé sous l'impact.
Le rire infernal du Maître parti en poussière résonne encore quelques secondes à travers l'écho de façon sinistre alors que sa présence n'est plus que poussière. Mais, Auklèce voit son souvenir à la naissance de son cou, cela pourrait ressembler au baiser d'un amant jaloux si le sang n'en sortait pas. Elle déchire un bout de sa tunique avec horreur et pose le bout de tissu sur la petite plaie qui parait pourtant bénigne.
Tout se déroule si vite entre sa douleur physique et sa volonté de vivre pour voir naitre son fils. Elle ne mourra pas, ce n'était que des paroles mauvaises d'un agonisant. Elle reprend la dague au sol et la glisse dans sa ceinture en se mordant les lèvres sous la douleur qui aimerait la plier un peu plus alors qu'elle se redresse. Son amulette d'orientation oeuvre une nouvelle fois et ouvre ce chemin invisible pour la ramener chez elle...
Elle ne sait plus si les minutes sont des heures, ou si les heures ressemblent à des secondes pour la rapprocher de son dernier souffle.
Les choses paraissent si belle, ses sens sont décuplés, l'air de ses montagnes lui apportent les parfums subtiles des grandes hauteurs. Sa marche devient pénible, et la douleur la ronge, mais l'espoir est là, le Lac d'El frissonne sous la petite brise qui caresse ses eaux limpides. Astria se déploie dans la vallée, l'océan qui la borde ressemble à un écrin scintillant brillant sous les feux de l'astre diurne qui réchauffe cette journée sans avarice.
-Juste quelques minutes...
Auklèce laisse échapper la requête qu'elle se fait à elle-même dans un souffle d'épuisement. Sa main glacée se pose contre le rocher bordant le dernier lac avant d'arriver à Astria. Si un gémissement douloureux sort de ses lèvres crispées, La Reine savoure cependant ce contact rocheux. Sa tête se pose doucement contre le roc, ses paupières se ferment sans résistance. Elle prend des profondes inspirations afin de calmer ses nerfs et sa chair qui protestent devant son sang qui s'échappe inexorablement de ses veines. La main qui s'évertuait à maintenir une pression pour bloquer le flux vital retombe sans force sur sa cuisse.
Le cri d'un épervier résonne dans les hauteurs et tire Auklèce de sa somnolence. Eblouie par les rayons du soleil, elle perçoit la forme sombre de Xitù qui tourne au-dessus d'elle. La fée ne doit pas être loin. Se doute-elle qu'elle sera Marraine ? L'espoir pointe de nouveau en elle, en embaumant la douleur de la mort de Noir feu par une essence de vie. La Dame réunit avec amour ses deux mains sur son ventre comme pour protéger le fruit qui murit doucement dans ses entrailles. Un léger sourire apaise son visage quand elle observe Astria qui accueillera ce que le Dragon et la Dame ont fait de plus beau. Leur fils.
Mais pour cela, elle doit reprendre sa marche, prise d'une volonté farouche, elle se redresse en ahanant, et tente de chasser le pernicieux rappel de ses côtes brisées. Mais ses jambes refusent de la soutenir de nouveau, le sol se dérobe, et les montagnes tangue sur l'immense navire qui la conduit sur l'Autre Rive. Les eaux du Lac d'El inondent son visage en noyant ses larmes de désespoir dans ses ondes cristallines, Auklèce espère y puiser sa force pour clarifier son esprit, en vain...
Xitù lui lance un nouvel appel strident, mais ses paupières sont trop lourdes. Et la Lune conviée discrètement à régner en compagnie du soleil, devine combien le corps d'Auklèce est froid. Son compagnon de feu ne peut rien faire pour apaiser la glace qui a tant symbolisée la Dame et qui maintenant l'emprisonne. Les brindilles lui caressent les tempes, le clapotis du lac contre la berge lui susurre une douce mélodie, une brise chaude sèche les larmes qui se faufilent entre ses cils clos. Dame Nature semble oeuvrer pour apaiser une Reine.
Une pluie d'étoiles danse devant elle, en virevoltant étrangement, peu à peu, elle s'éparpille pour que la Dame puisse entrevoir une dernière fois son monde. Dans les cieux, le vol majestueux d'un Dragon Noir lui offre l'ultime spectacle digne des plus grandes légendes. Auklèce le regarde avec un amour pur, pour ce voyage, la joie devient sa dame de compagnie -il est en vie-. Avant de se rendre sur cette autre rive, elle laisse au vent un message qu'il cueille sur ses lèvres d'un baiser aérien :
-Pardonne-moi...Je t'aime...
Déjà les étoiles reviennent pour l'emporter dans leurs tourbillons lumineux. Doucement, le voile de la mort la recouvre lentement et subtilement sous le regard aiguisé d'un rapace qui s'est posé à ses côtés.
Que la lune éclaire son souvenir à chaque règne.
Noir-feu | 14/09/08 17:59
Trop tard. Il arrive trop tard. La demeure du maître n'est plus qu'un champ de ruines, ses sbires anéantis par celui-là même qu'ils avaient servi bien contre leur gré. Le Dragon d'obsidienne devrait être heureux de voir son ennemi enfin anéanti, mais il sent aussi que quelque chose qui lui plaira beaucoup moins s'est passé en ce lieu.
Réprimant son inquiétude, il reprend avec vivacité le chemin d'Astria, qu'il ne tarde pas à survoler, cherchant ce qui cloche. Quelques minutes passent, puis il la voit. Un éclair glacé transperce son coeur quand il comprend la nature de son pressentiment, la tristesse afflue comme une marée d'équinoxe tandis qu'il plonge pour se poser près de sa Reine, qui déjà a franchi le sombre fleuve de l'au-delà. Reprenant forme humanoïde, il s'approche d'elle, s'agenouille à ses côtés lourdement, ne pouvant croire que tout se termine ainsi.
Dans un état second, il lui ferme les yeux, voilant à jamais ce regard si bleu, si pur, puis la soulève avec lenteur, anéanti par ce nouveau coup du destin. Il se dirige vers la cité, quelques larmes de jais éclatant sur le sol au rythme de sa marche funèbre. Les Astrians qui le voient passer s'arrêtent net, incrédules, n'osant croire que leur Reine n'est plus, puis se mettent en marche derrière le Dragon, sans un bruit, sans un mot. Un silence absolu se répand, linceul glacé qui recouvre la cité et les terres comme le gel par une froide journée d'hiver, de plus en plus nombreux les Astrians rejoignent le cortège, qui entre dans une ville qui pourrait sembler morte.
Les conseillers ont été avertis, ils se tiennent sur la grande place, fixant ce corps et son porteur d'un regard amer. Le plus jeune s'apprête à invectiver Noir-Feu, mais le plus ancien lui saisit le bras avec force, murmurant de manière presque inaudible :
-Un mot, un seul, et nous sommes morts.
Le jeune Neckiël jette un regard au Seigneur de Num, ce qu'il lit dans ses yeux le glace de la tête aux pieds, il baisse le regard. Les trois sages s'inclinent sans un mot devant celle qui fut leur souveraine, lui rendant un dernier hommage allant bien au-delà du simple respect dû à un de leurs dirigeants, ils pleurent en silence, comme tous.
Noir-Feu dépose le corps de son aimée au centre de la place, l'embrasse une dernière fois en prononçant quelques paroles que nul ne perçoit, puis se tourne vers le peuple, soutenant leurs regards accusateurs sans même frémir. Avec une lenteur irréelle, il sort sa puissante épée runique, la plante dans le sol avec une force qui fait trembler la cité sur ses bases, à quelques millimètres de la tête de Dame Auklèce. Quelques runes crépitent en s'illuminant d'une lueur insoutenable, tous détournent le regard une seconde, pour découvrir qu'un sarcophage de diamant est apparu autour de la Dame, préservant à jamais son souvenir et son corps des outrages du temps.
Reprenant sa forme dragonnique, Noir-Feu s'adresse aux trois conseillers, d'une voix dans laquelle transparaît une insondable tristesse.
-Vous aviez raison. Vous dire que je suis désolé ne servira à rien, mais je le suis tout de même. Adieu.
Le Gardien de Num prend son envol, créant une bourrasque qui met tous les êtres à genoux devant la dernière demeure d'Auklèce. Il tourne une ultime fois autour de la cité, puis disparaît dans les nuages, quittant cette terre pour rejoindre sa place à tout jamais : Num.
FIN
Edité par Noir-feu le 14/09/08 à 18:01
Vadim | 18/09/08 03:04
Après avoir lu les trois rp, je n'ai qu'un mot: Impressionant...
Edité par Vadim le 18/09/08 à 03:05
Viviane la fée | 20/09/08 20:00
Elle court de toutes ses forces dans les couloirs de la citadelle d'Astria car il ne lui reste que très peu de temps pour mener à bien la mission qu'elle s'est fixée : transmettre un message à sa fille. Ça peut paraître simple, il suffirait de prendre une feuille de papier, une plume, de rédiger le message et de l'envoyer à l'aide d'un pigeon. Oui, mais voilà : elle est persuadée que sa fille n'est plus de ce monde. Alors elle va tenter quelque chose qu'elle n'a encore jamais osé faire et, si elle réussit, elle aura aussi l'occasion de revoir une dernière fois une amie très chère...
A bout de souffle, elle pénètre enfin dans la salle mortuaire où repose le corps de Dame Auklèce, reine d'Astria, dans son Crystal magique. Quatre soldats montent la garde devant la dépouille de la défunte, l'air sauvage, la main sur le pommeau de leur épée. Sans hésiter, elle s'avance vers eux et dit d'une voix haletante en désignant la porte d'un geste autoritaire :
- Sortez d'ici, je dois rester seule...
Le soldat le plus près hésite puis reconnaît Viviane dans sa longue robe blanche :
- A vos ordres, madame....
Elle ajoute :
- Personne ne doit entrer dans cette pièce tant que je n'en suis pas sortie !
L'homme claque des talons et dit :
- Vous pouvez compter sur nous...
Il sort de la pièce, suivi par ses trois acolytes. La porte se referme derrière eux et Viviane s'empresse d'aller tirer le verrou, puis elle revient et se fige devant la dépouille de Dame Auklèce.
Son amie n'a pas changé, ses traits sont même devenus plus sereins, un léger sourire ironique flotte sur son visage d'une pâleur de cire. Ses beaux cheveux sont tirés en arrière, les embaumeurs ont fait du bon boulot, la jeune Reine semble se reposer comme si de rien était. Le Crystal qui l'enrobe scintille sous la lumière des chandeliers : de légers reflets bleus rappellent qu'il s'agit d'une matière indestructible conçue par la magie des runes elfiques...
Des bâtonnets d'encens distillent leur parfum entêtant, mais cela ne gêne pas Viviane : d'un geste fluide, elle laisse tomber sa robe blanche à ses pieds et s'allonge aux côtés de dame Auklèce. Le contact du marbre sur sa peau nue la fait frissonner ; sa main gauche traverse le Crystal et saisit la main droite de la morte. Les dés sont jetés, elle ferme les yeux, bien décidée à ne plus reculer. Des bribes de souvenirs s'affichent sur l'écran noir de ses paupières baissées, mais elle s'efforce de les chasser le plus vite possible : il lui faut faire le vide complet si elle veut passer la Porte et pénétrer dans ce que les Anciens appelle le Non-Temps, passage obligatoire de toutes les âmes en partance pour l'au-delà.
Le temps suspend son vol, intrigué... Mais Viviane n'est déjà plus là : sous l'effet du philtre qu'elle a ingurgité deux sabliers auparavant, sa respiration ralentit puis s'arrête, son corps se détend complètement, ses doigts se desserrent et laissent retomber la main de son amie de toujours, figée dans le froid de la mort.
Chute sans fin dans l'obscurité. Tourbillons de vapeurs puis un choc violent qui l'ébranle jusqu'aux tréfonds de ses os. Elle a l'impression de reprendre conscience avec une gueule de bois phénoménale, comme si elle avait passé trois jours et trois nuits à faire la fête...Sans se poser plus de questions, elle rassemble autour d'elle les particules qui forment son essence vitale et s'élance vers l'immense arche qui s'élève devant elle. La lumière s'estompe et lorsqu'elle franchit l'étrange Porte, elle se retrouve dans un monde gris sans aucune consistance....
- Le Non-Temps, je suis dans le Non-Temps, se dit-elle !
Elle s'arrête et regarde autour d'elle, intriguée et un peu effrayée : ses sensations ne sont plus les mêmes et le terme "regarder" est inexact. En fait, elle sonde les ténèbres qui l'entourent avec toute la force de son esprit condensé dans ces particules minuscules qui représentent son entité physique et morale...Et soudain l'espace autour d'elle s'anime : elle réalise qu'elle se trouve devant un flot continu de silhouettes grises qui s'acheminent toutes dans la même direction sans remarquer sa présence. Elle fait un bond en arrière pour se dégager de cette masse en mouvement... Elles sont des milliers à avancer, uniformément réunies dans un maelström glauque, pressées et courbées comme si elles portaient toute la misère du monde sur leurs épaules...
Viviane sent le désespoir l'envahir : comment faire pour retrouver la reine d'Astria là-dedans ? Elle fait quelques pas dans le sens de la foule, puis s'arrête de nouveau. Elle ne va pas y arriver comme ça, et il faut qu'elle se dépêche... Alors elle crie de toutes ses forces, même si aucun son ne peut se propager dans ce monde étrange :
- DamOOOOOOO ! DamOOOOOOOOOO !
Rien ne se passe... Les silhouettes sombres continuent d'avancer; mais soudain Viviane croit voir un reflet blanc un peu plus loin sur sa droite. Folle d'espoir, elle se jette en avant en continuant de crier dans sa tête :
- DamOOOOOOO !
Là ! Elle en est sûre, la Reine d'Astria est là, c'est elle, à une vingtaine de pas... La Fée se précipite vers la silhouette qui lui semble brutalement familière : il s'agit bien de Dame Auklèce, mais une Dame Auklèce aux traits effacés, comme si elle était devenue presque transparente...
- DamO, c'est moi, ton amie, Viviane....
Le spectre hésite puis s'arrête sans se soucier des autres qui continuent à avancer comme si de rien était...
- C'est toi ?
Viviane voit les paroles de son amie s'écrire devant elle dans l'atmosphère étrange du Non-Temps...
- Oui, je suis venue pour....
- Oh Viviane, si tu savais comme je suis heureuse que tu sois là... Tiens, prends-le, ne dis rien, promets moi juste de t'en occuper comme si c'était le tien, sauve-le, dépêche-toi, les Gardiens ne vont pas tarder à revenir....
La silhouette grise lui tend une espèce de paquet. Viviane le récupère et le serre contre elle. Elle a juste le temps de rajouter :
- Je te promets mais....
Elle voudrait lui dire tout ce à quoi elle a réfléchi avant de venir ici mais les mots se noient, une immense détresse la submerge et seule sa peine émerge :
- ...tu me manques déjà tellement...
Elle croit voir un sourire flotter sur le visage du spectre, mais déjà Dame Auklèce a repris sa place dans la multitude et s'éloigne en murmurant :
- Merci mon Amie, merci, je ne t'oublierai jamais......
Un bruit sourd ébranle l'atmosphère du Non-Temps. Une masse noire jaillit de l'horizon et se met à enfler, approchant inexorablement de l'endroit où se tient Viviane. Inconsciemment elle devine que ce sont les Gardiens dont lui a parlé DamO. Elle doit s'enfuir et vite !
Serrant le petit paquet dans ses bras, elle fait demi-tour et se met à courir comme une folle vers la Porte qui lui semble brusquement très loin... Le bruit s'intensifie dans son dos, elle ne se retourne pas, il ne faut surtout pas car sinon elle sait qu'elle ne pourra pas continuer. Un pas, encore un autre, l'ombre du passage grandit mais une chaleur malsaine tombe sur elle et l'empêche d'avancer : l'atmosphère s'épaissit, elle a l'impression de s'engluer dans une mare de poix, elle va abandonner tout près du but... Soudain un éclair jaillit du petit paquet qu'elle tient contre elle, elle sent une présence légère, tenue, qui mêle son esprit au sien... En un éclair de seconde Viviane se rend compte qu'elle tient un enfant, qu'elle tient dans ses bras l'enfant de DamO et de Noir Feu... Alors la rage éclate dans sa tête, une rage froide et réconfortante qui la propulse en avant... Elle a le temps de penser que cette saloperie de créature ne l'aura pas, ni elle, ni l'enfant de son amie, que le monde a déjà été aveugle et intolérant, que ça suffit... Dans un dernier élan, elle franchit la porte, repassant dans le monde réel...
Puits sans fond... Se laisser emporter par le néant, ne plus bouger, ne plus penser... Pourtant on la tire de là, on la remue, on crie après elle et elle est obligée de remonter la pente, d'escalader ces parois obscures pour se retrouver dans la lumière...
Le bébé braille à tue-tête et gesticule de toutes ses forces, toujours blotti dans ses bras. Viviane se redresse, hagarde... Elle est nue, le Crystal scintille de mille feux, enveloppant le corps de Dame Auklèce dans un océan de bleu... Le petit s'agite, ses lèvres minuscules cherche le sein maternel, ses yeux noirs brillent déjà d'un éclat rouge vif. Viviane l'écarte un peu pour mieux le voir, le coeur plein de tendresse et d'amour...
Soudain des coups sourds ébranlent la porte qui cède sous la poussée des soldats... Le capitaine de la garde rapprochée de Viviane pénètre dans la salle et s'arrête, pétrifié... La Fée le regarde et essaie de lui sourire. Sans se soucier de sa nudité, elle se dirige vers lui en titubant et lui tend l'enfant :
- Confiez cet enfant aux nourrices de la Citadelle..... S'il lui arrive quoi que ce soit de fâcheux, vous en répondrez de votre vie...
Le guerrier n'a que le temps de saisir le petit garçon dans ses mains : la Fée vacille puis se laisse tomber en arrière, épuisée, vaincue par la fatigue.... Elle plonge avec délice dans l'oubli...
Shadee | 13/12/09 18:16
L'agitation de la vie se tait et une partie de votre mystère quitte l'ombre.
Jamais je ne pouvais imaginer ce passé passionné aux souvenirs sombres.
Le sang de votre reine a coulé et rien ne retiendra son fard,
Maudites perles froides qui coulent sur sa peau d'ivoire.
La fille des éléments referma le vieux livre en caressant de sa paume la couverture jaunie. Sous le charme de ce passé grandiose, elle reposa avec précaution l'ouvrage sur l'étagère qui gardera dans ses pages l'éternité des souvenirs.

