Forum - La quête des légendes : La Mort, première partie, Et au milieu coule une rivière.
Index des forums > Rôle Play > La quête des légendes : La Mort, première partie, Et au milieu coule une rivière.
Celimbrimbor | 27/12/09 16:01
Celimbrimbor était mort. Ce n'était pas sa première expérience de cet état, à part pour le côté volontaire de cette occasion-ci. La dernière fois, les dieux l'avaient réveillé et lancé sur Daifen. Aujourd'hui, il avait pris soin de diriger ses pas dans une autre direction, vers un autre univers. Ce n'est pas les dieux qu'il voulait voir. Il se permit un léger sourire. Son hôte immortel devait déjà être au courant de sa venue et peut-être même l'attendre avec une certaine impatience.
L'elfe savait bien qu'il n'en était rien. Si ses recherches sur la Mort ne se trompait pas, il était possible qu'il connusse déjà la fin de leur entretien. Tout cette incertitude parce que lui, l'elfe, le mage, le dieu, n'était pas capable de lire entre les trames du temps. Pas encore. Il lui manquait une seule petite parcelle de pouvoir, qu'il venait arracher ici. Son sourire s'éteignit sombrement. Il ne savait toujours pas où il était. Ses sens étaient confusément obscurci par quelque chose qui flottait autour de lui. Il se savait debout, à tout le moins, mais au-delà de cela.
Celimbrimbor ouvrit les yeux.
La forêt qui l'entourait était opaque et claire. Une douce lueur filtrait péniblement entre les feuilles couleurs d'or et de rouille nuancée. Les ombres sur le sol dansaient avec les particules de lumière qui s'achoppaient sur des poussières flottantes dans l'air paresseusement. Il y avait cette odeur si particulière aux sous-bois d'automne après la pluie. L'elfe respirait doucement, gorgeant ses poumons des fragrances moussues, mâtinées de noisettes et de baies rouges qui achevaient de pourrir quelque part. Sur le sol, le tapis des feuilles tombées, en décomposition plus ou moins avancée, ajoutait à ce parfum à nul autre pareil. En une ronde étrange, chacun des sens premiers du mage s'enhardissait à connaître ce qui était là Le bruissement discret et insistant du vent amical entre les branches. Les ombres joueuses qui dessinaient des motifs inconnus au creux d'un tronc. La terre humide sous ses pieds nus qu'il y plongeait avec délice.
Ce n'était pas la première fois qu'il mourrait, mais jamais la sensation de n'être plus n'avait été aussi bonne, aussi douce. L'expérience esthétique était totale, parfaite. Rien n'échappait, en lui, à l'emprise que ce paysage exerçait sur son esprit, sur son être. Son esprit atteignait sans le vouloir ataraxie et aponie dans le même temps. Celimbrimbor tomba à genoux, les bras le long du corps, les rotules heurtant sans douleur le plancher doux et malléable. Son regard s'abîmait partout autour de lui. Une première goutte, curieuse, hardie, s'échappe de son oeil droit, ouvrant la voie d'un territoire inconnu depuis longtemps. Il ne s'en aperçu pas tout d'abord, il fallut qu'une de ses soeurs salées viennent se briser sur le dos de sa main gauche pour qu'il réalise qu'il pleurait à chaudes larmes. Il plongea son visage dans ses mains, pour se réfugier hors du monde. Quel tour cruel que celui-ci.
Voici ce qu'il avait lentement perdu, à mesure et au fur que les années et les siècles passaient, qu'il changeait lentement, qu'il cessait d'être lui-même pour devenir étranger. La naïveté du monde et sa beauté première l'avaient abandonné progressivement, même s'il était plus juste de dire qu'il s'en était retranché de son plein gré, inconscient de ce qu'il laissait derrière lui. Les couleurs avaient perdu leurs odeurs. Les sons leurs touchés. Sa perception du monde ne s'était plus faite guère qu'en un gris étrange, vaguement nuancé, parfois, quand il croisait quelque chose qui lui faisait se souvenir de son humanité passée.
Il s'était aliéné au monde, volontairement, lentement, sans jamais regarder en arrière. Ses choix avaient été toujours, sur le coup, difficiles, avant qu'il ne s'enlise dans une acceptation plus facile, résignée et sans but, se persuadant que c'était mieux ainsi.
Mais ce n'était pas mieux ainsi !
Il abattit ses poings rageurs à ses côtés, déclenchant une petite secousse qui lui fit noter, presque distraitement, qu'il avait toujours ses pouvoirs. Comme il regrettait chacun de ses pas vers cet objectif fou qu'il s'était fixé. Le pouvoir ou la mort. Il secoua la tête et s'essuya les yeux du revers d'une manche. Il fallait avancer. Chaque fois, il fallait avancer. L'immobilité, c'était la stagnation, la stagnation, c'était la mort la plus affreuse. Qu'importe s'il était devenu étranger à l'univers entier, il le saisirait tout entier un jour, ou mourrais en essayant. Ce qu'il était bien parti pour faire, d'ailleurs, pensa-t-il amèrement en se relevant.
Il fallait avancer, alors il avança tout droit, évitant de se baigner dans le décors autour de lui, pour ne pas s'effondrer une nouvelle fois. Celimbrimbor ne s'effondrait pas, jamais. Tout passait mais lui devait demeurer égal, intouché, intouchable. Il ignora sa fatigue, ses articulations qui craquaient à chaque pas, ses membres rendu douloureux par son esprit. Il fallait qu'il se calme, qu'il s'apaise, sinon son âme le dévorerait pour l'affront qu'il lui avait fait. Les yeux baissés sur ses pensées, il sentit plus qu'il n'entendit la rivière qui coulait un peu plus loin. Hâtant le pas, il arriva bien vite sur une de ses berges.
L'eau, vive, était étrangement d'un noir plus profond que l'univers. Miroir doucereux, elle renvoyait une image changeante du mage, tantôt simple elfe fatigué aux traits tirés, tantôt jeune et fringant, tantôt frangé d'un liseré éclatant de puissance, tantôt sombre et violent. Celimbrimbor cligna très lentement des yeux en s'asseyant sur ses genoux, comme pour chasser ces reflets étranges. Il respira lentement et reprit le contrôle de son esprit, fixant son double aquatique aussi longtemps qu'il lui fut nécessaire pour que celui-ci cesse de se transformer. Tout allait mieux. Il était de nouveau égal. Le mage soupira doucement et se releva. Il n'était plus fatigué. Son esprit était calme, comme les eaux de cette rivière étrange. Par curiosité il se pencha et, de sa main en coupe, prit un peu d'eau qu'il porta à ses lèvres.
« A votre place, je ne boirais pas de cette eau. Votre chemin ne s'arrête pas ici. »
Celimbrimbor dispersa instantanément l'eau et posa ses yeux sur l'interlocuteur qui venait de lui parler. Étrangement, quelque chose l'empêchait de lancer ses autres sens à son assaut pour mieux le saisir. Haussant les épaules, il décida qu'il devait se satisfaire de la silhouette encapuchonnée qui lui faisait face, tant pis pour son visage.
« Vous n'aviez pas à faire cela non plus. La voix était triste. Vous auriez tout aussi bien pu simplement laisser l'eau retourner à l'eau.
-Elle y retournera. Je ne l'ai pas détruite.
-Vous jouez sur les mots, mage, vous jouez sur les mots. Toujours la tristesse confuse.
-Qui êtes-vous ?
-Vous ne devinez pas ?
-Je vais vous rejoindre. Celimbrimbor se prépara à sauter d'une rive à l'autre.
-Je ne ferais pas cela à votre place, Elanden. Vous êtes toujours trop pressé.
-Comment ?
-Comme cette fois où vous avez voulu défier le doyen de l'académie de magie parce qu'il s'opposait à vous au conseil. La silhouette secoua la tête. Faudra-t-il que j'enlève ma capuche Celim ?
-Dublis... Il réalisait lentement.
-Enfin. Tu en auras pris du temps.
-Je ne me suis donc pas perdu.
-Cela dépend de ce que tu entends par là, mon vieil ami. Cheminons, veux-tu, il y a un gué un peu plus loin, tu pourras traverser sans craindre les maléfices de cette rivière.
-Maléfices ? Crois-tu que je craigne quelque chose encore ?
-Tes pouvoirs ne passent pas cette rivière, Celim, ne soit pas sot. » Le camouflet fut rude.
Celimbrimbor et Dublis allèrent un long moment, chacun d'un côté de la rivière, discutant, disputant, parfois âprement, oubliant que la vie et la mort les séparaient. Ils redevenaient les complices qu'ils avaient été dans les temps passés. Ensembles, disait Celimbrimbor, si Dublis avait vécu, ils auraient conquis ce monde et les autres, pour la gloire de leur nom et l'audace de leurs actions. Ensembles, ajoutait Dublis, ils auraient été si loin que nul dieu ne les aurait arrêté. Ils auraient accomplis tant de choses que les cieux auraient résonné de leurs exploits plus longtemps que de l'univers. Ils auraient remplacé la musique des sphères par leur propre mélodie.
« Et puis, quand le temps aurait été échu, nous aurions défié la Mort, ensemble, Dublis, n'est-ce pas ?
-Oui Celim. Nous l'aurions fait. Et nous aurions gagné.
-Le repos ou autre chose, mais nous aurions gagné.
-Ensemble.
-Ensemble... La tristesse avait changé de voix à présent.
-Voici le pont Celim.
-Je le vois. Et ton chemin s'arrête avant.
-Oui.
-Tu ne m'accompagneras pas. Ce n'était pas une question.
-J'ai simplement été dépêché pour te guider jusqu'à ce pont. Et pour t'asséner le second coup.
-Je vois. D'abord ce que j'ai perdu, puis ce que je n'ai pas été.
-Oui.
-La Mort m'attend donc alors ?
-Je ne sais pas. Plus loin, peut-être. Après d'autres épreuves.
-Il y en a toujours d'autres. Celimbrimbor soupira, ils étaient à quelques mètres du pont, la rivière était plus étroite que jamais. Je pourrais traverser ici et envoyer ce gué au diable.
-Comme tu aurais pu rester dans la forêt.
-Quel tour cruel.
-Tu te l'es joué à toi-même, Celim.
-Merci de renforcer mon solipsisme, Dublis, je n'en ai pas précisément besoin.
-Tu en auras besoin, quand tout te semblera perdu, je pense.
-Qu'est-ce qui m'attend ?
-Toi, sans doute.
-Tu ne m'accompagneras pas ?
-Nos chemins se séparent encore ici, à moins que tu ne traversent sans le pont.
-Je ne peux pas.
-Je sais.
-Adieu Dublis, nous ne nous reverrons pas.
-Je sais Celim, je sais. »
L'ombre tendit une main par-dessus la rivière. Celimbrimbor la serra avec force. Dublis l'accompagnerait, d'une façon ou d'une autre. Ils restèrent ainsi à se regarder un long moment, relié par cette poignée de main au-dessus de la rivière, au-dessus des âges, et puis Dublis rompit le contact et lui tourna la dos pour s'éloigner et disparaître de l'autre côté.
« Adieu Celim. Cela m'a fait plaisir de te revoir avant la fin.
-Il n'y a pas de fin, Dublis, il n'y en aura jamais pour nous deux. »
Le mage réprima les larmes qui voulaient de nouveau couler le long de ses joues. Il devait être égal. Pour l'honneur de Dublis, il devait aller aussi loin seul que s'ils avaient été deux. Il défierait l'univers s'il le fallait. Ne le faisait-il pas déjà ?
L'air las, finalement, il traversa le pont.
Edité par Celimbrimbor le 27/12/09 à 16:02
Shadee | 01/01/10 15:08
Un superbe récit qui retrace les pas de mon cher maître de façon émouvante!


