Forum - Num et l'Arbre de Vie: amnésie

Shadee | 28/12/09 16:59

Noirceur, abysse des peurs, de l'inexistence, aux fins fond du gouffre, une pale lueur qui longuement souffre. De ses tentacules destructeurs, le néant se tend vers ce corps que le Dragon Noir lui a offert. La puissance de l'ombre l'attire vers le vide, elle rapine toutes ses pensées pour les dévorer avec avidité. Les yeux de Shadee se rivent soudainement au noir des ténèbres quand son être s'étiole avec douleur tels des filaments de lumière éphémère, ultimes affronts dans la cité ténébreuse de Num. Que fait-elle ici ? Pourquoi l'a-t-il propulsé dans cet entre-monde ? Une révolte sourde gronde en elle quand elle comprend qu'elle a encore fait les frais du tempérament volcanique du dragon. Une vague invisible mais violente déferle en elle, et pourlèche cette passion qui irradie de cette femme isolée. Shadee ne résiste pas, elle abandonne sa colère dans le néant qui l'absorbe avec gourmandise, elle ne connaît plus ce sentiment.

Elle grelotte de froid dans cette nuit éternelle, assise sur une ruine hostile, elle tente de composer l'univers qui l'entoure, aidée par des ombres menteuses qui glissent vers elles et s'évanouissent dans leur horreur figurée. Peu à peu, ce qui reste des routes, des bâtiments se dessinent, Num se dévoile à sa vision, cité apocalyptique qui a connu un combat de titans. Elle devine des créatures sans chairs, des êtres tapis dans la pénombre souveraine qui la scrutent, ou n'est-ce que le fruit de son imagination... La fille des éléments est l'unique vie, elle résiste de toute son âme pour ne pas sombrer définitivement dans cette non-existence. Ses mains tremblent quand elle les tend devant elle, pour invoquer la flamme. Son éclat provoque des hurlements rageurs, stridents, ses sons semblent attaquer le feu qui ne devient qu'un minable petit point dans le voile noir. Quelque chose lui frappe la nuque, une sorte de vent violent qui s'éloigne dans des ricanements moqueurs, l'atmosphère lugubre se joue d'elle. Avec peine, Shadee se lève et marche droit devant, écoutant, mais seule bruisse l'obscurité sans vie qui d'une tendresse absolue l'enlace pour mieux l'étouffer. Elle sent avec effroi que ces ombres ne se lasseront jamais de caresser son corps, son âme, son esprit et qu'elles seront ses seules compagnes.

Vacillante, la fille des éléments avance sur cette route sans fin, chahutée par les spectres qui volent toujours un peu plus d'elle, de ses rêves, de ses souvenirs. Elle s'oublie...Shadee sillonne les méandres de ses espoirs qui s'effritent comme de la pierre friable pour s'envoler en poussière d'étoile. Pourtant son coeur continue de battre dans sa douce et blanche poitrine pleine de flammes, ferme comme le fer. Shadee semble être sculptée comme un diamant brut par des griffes aiguisées, implacables et dépourvues de douceurs, insensibles à la pitié. Les ténèbres jubilent d'un sourire sombre quand il lui arrache toujours un peu plus de sa vie...Au coeur d'une place immense, jonchée de ruines, comme une marionnette désabusée, elle se cambre à la manière d'un arc quand le néant lui dérobe le souvenir de l'être aimé. Le Serment d'Ether est brisé avec violence, elle hurle à plein poumon quand le lien se rompt brutalement en la coupant de ce qu'elle chérissait plus que sa propre vie. Deadeye. La belle souffre corps et âme sous l'oeil vide de sept colosses de pierre démembrés, elle hurle encore et encore ce nom qui peu à peu disparaît de sa mémoire comme les traits de ce visage tant aimé. Les siens, et cette guerre, il faut qu'elle les rejoigne, elle ne peut pas les abandonner, mais...mais...quelle guerre ? Ses genoux goûtent douloureusement au sol, ses ongles agrippent la terre et les morceaux de pavés fendus à la manière de racine. Mais elle ne remarque pas que sa vie est en réalité sa mort...

Des voix susurrent, s'enroulent autour d'elle, toujours plus rapides, elles lui chantent une funeste mélopée : « l'enfer est sur terre, les terres de l'enfer, l'enfer de nos terres, la terre est en enfer, l'enfer est en terre ! » Elle repousse cette mélodie qui l'envahit de désespoir, avec force, Shadee ferme les yeux et abandonne sa dernière émotion. La tristesse. Les tentacules du néant se l'arrachent et la libère de ses regrets, de ses attaches façonnées par les vivants qui l'emprisonnaient dans des obligations et des culpabilités. Maintenant, la jeune femme est un joyau épuré de toutes impuretés dans lequel brille la force des éléments. Dans un éclat aveuglant qui repousse les ténèbres infinis, ses Pères et Mères l'entourent, l'Eau, le Feu, le Bois, l'Air, apparaissent dans le néant de la façon la plus pure et subtile. Ils entourent leur fille penchée sur les décombres du vide. De ses paupières closes, une larme pure s'écoule lentement de sa joue. L'ombre d'une vie s'efface, le passé s'enfuit sans laisser de traces. Il n'y a que cette silhouette de chair et de sang qui n'est que le reflet provisoire d'un être sans autre forme, l'ombre d'une âme. L'incarnation du cinquième élément, fille aux quatre racines, elle est la magie de la vie et son contraire, son corps est la matière qui incarne le vide: l'éther.

Un sentiment d'amour pur la consume, la réminiscence d'un serment, d'une folie qui n'était que pureté de sentiments. L'éther avait participé pour ce lien, le processus de sa seconde naissance venait de commencer. Avec douceur, son unique larme chute à travers les ténèbres, telle une plume, elle effleure le sol et s'infiltre en lui. Les doigts de Shadee se crispent davantage contre cette terre sans vie. Elle souffle avec calme « L'enfer n'est pas en terre.» Des ondulations lumineuses louvoient à une vitesse fulgurante dans les entrailles de Num. De l'unique eau venue d'une larme, une source de vie s'infiltre dans les bois qui se tissent autour de ces racines lumineuses.

Alors qu'elle rouvre les paupières et redresse lentement, elle aperçoit la présence de ses Pères et Mères qui l'entourent. Elle les observe à la lumière d'un regard qui défie le néant, les étoiles se sont invités dans ses yeux et traduisent la Vie par mille feux. Comme la lumière du soleil à la pointe de l'aube, quand le monde s'éveille sur un autre parcours. Elle ne craint plus cette nuit chaotique qui ressemble à la naissance d'un nouveau jour sans fin. La fille des éléments a tout oublié, elle Est. Pour elle, l'ombre restera à jamais le passé, là où elle a abandonné tous ses regrets, ses peurs, ses espoirs. Dans un fracas assourdissant, les quatre figurations des éléments implosent en lumière, Shadee est foudroyée par les rayons lumineux qui s'infiltrent en elle dans une délicieuse douleur qui finalement n'en est pas une. Elle renaît.

Dans ce non temps, peut-être que des années se sont écoulées, des heures, ou juste une seconde quand Shadee retrouve conscience au pied de l'Arbre de Vie. Il est au centre de cette place en ruine, défiant le néant qui ne peut guère le grignoter. Il est une parcelle de son contraire, de cet équilibre sans quoi rien ne serait. Ses feuilles sont des langues de flammes, son écorce est le bois sacré, essence de la terre, sa sève est la pureté d'une eau de Vie. Des majestueuses ramures ondulent au milieu d'un bouclier d'air hanté par les spectres lumineux d'un arc en ciel. Au plus haut de sa cime, un unique fruit a la forme d'un croissant de lune. Son éclat argenté se reflète à travers ses multiples aiguilles aussi grandes et coupantes qu'une lame d'épée à l'apparence du cristal, elles protègent sa pulpe de jouvence. Il brille à la manière d'une étoile aux promesses de vie infinie. Toutes les dix décennies, un autre fruit naîtra de cette cime, il brillera durant cinq jours pour honorer les cinq éléments source de sa vie. Puis, il disparaîtra consumer par le feu d'une nouvelle feuille si personne n'a cueilli ce trésor de vie et commencera son nouveau cycle.

Subtilement lumineuse, Shadee observe le prodige né de sa larme et de sa lutte, sans savoir qu'elle en est la source, ce n'était pas un rêve, ou peut-être si, son ancienne vie l'était. Quelle ancienne vie d'ailleurs ? Cette cité en ruines est-elle la sienne ? Est-elle la gardienne de cet Arbre ? Sans crainte, elle se pense chez elle, plus que jamais sereine, Le sourire aux lèvres, elle s'éloigne dans l'obscurité, chassant les ombres de ces pas qui se referment subitement derrière elle. Dans le néant de la cité de Num, elle entend un mince filet de voix qui lui semble familier, peut-être celle d'un mentor, mais tout redevient confus dans son esprit, elle ne fait qu'entendre ce mot qui ne lui parle plus, « Shadee...Shadee...Shadee...Shadee... »
Peut-être est-ce la mélodie de ce monde, mais en as-t-elle connu un autre ?