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Joachim Hennans | 02/01/10 21:48

« Il est raconté par les anciennes traditions que les âges du monde sont transitoires et voient passer en eux des créatures toujours changeantes, les regardant naître, s'élever puis s'éteindre. Combien de civilisations moururent devant ces yeux muets ? Combien d'espèces naquirent pour disparaître à jamais dans un battement de coeur de l'univers ? Combien de grands noms furent oubliés dans le temps qu'il faut pour les prononcer ? Combien de légendes se changèrent en silence ? Notre hybris, à nous autres archivistes, est de vouloir répondre à ces questions. Nous mettons nos faiblesses à l'épreuve même du temps, le plus grand crible qui existe, pour recréer aux yeux de tous ce que nous appelons l'Histoire. Pas seulement l'histoire des vainqueurs ou les histoires officielles. Plus simplement l'Histoire, petites, grandes et autres conciliés en une seule, que nous offrons aux peuples pour qu'ils n'oublient jamais ce qu'ils furent, purent être et pourraient être de nouveau. Cette volonté d'infinie, confronté à la faillibilité des mémoires, explique bon nombre de nos croyances les plus ferventes. C'est sous cet angle-là, très précisément, que doivent être analysées nos superstitions que les peuples extérieurs taxent de frivoles. De ce point de vue précis, il ne choquera personne qu'en tant qu'archivistes nous espérions, nous appelions de nos voeux, même, l'existence de ces créatures sans-âge, dépositaires d'une mémoire pouvant couvrir, de ce que nous savons, de plusieurs centaines d'années à des millénaires, couramment dénommées Vampires. »
Niles Adamont, Archiviste Supérieur, Le manifeste des archivistes.

L'animal courrait dans la neige immaculée, la langue pendante de sa gueule grande ouverte qui laissait passer des halètements puissants dus à l'effort qu'il produisait pour maintenir sa vitesse. Il fonçait lourdement sur la tapis duveteux, laissant des traces profondes sur son passage, espacées de plusieurs mètres parfois, selon la puissance de ses bonds. Il courrait pour le plaisir de la course. Pour l'excitation sans but et l'épuisement d'une énergie sans fin qui le dévorait de l'intérieur. Il courrait pour oublier qu'il existait, qu'il avait un début et une fin. Au-dessus, la lune, au-dessous, le sol. Il jubilait dans son errance sans fin sur des terres qui n'appartenait à personne d'autre qu'à lui, foulées par nul depuis des temps immémoriaux. Il s'arrêta brusquement, une pensée étrangère s'imposant dans son esprit. Il ne devait pas aller aussi loin. Le loup poussa un hurlement vers les cieux pour se défaire de ses doutes. Il ne devait pas céder. L'animal secoua la tête de façon étrange. Il fallait revenir, tout désagréable que cela fut. Il se mit à grogner sourdement contre lui-même Tout doux, tout doux.

Un nuage passa devant l'astre nocturne, la couvrant l'espace d'une seconde.

Nu au milieu de la neige se tenait un homme aux longs cheveux blanc bouclés, sa musculature sèche dessinant des ombres étranges sur son corps. Chaque fois, c'était un peu plus dur. La bête exerçait sur lui une attirance indéniable dont il lui fallait toujours se méfier. Un jour, il ne reviendrait pas d'une de ces expéditions revigorantes et les steppes seraient peuplées d'un nouveau loup. Il sourit et inspira l'air nocturne pour en humer les senteurs. La bête ne l'avait pas encore totalement quitter, il le savait, et il pouvait ainsi profiter un instant encore des sens supplémentaires de l'animal, de ses perceptions plus acérées. Le jour ne se lèverait pas avant quatre bonnes heures, lui disait l'air. Il ferait beau et sec, malgré le froid mordant.

Les pieds plantés dans la neige, l'homme n'avait toujours pas bougé. Une bise légère soufflait autour de lui, mais il semblait n'en avoir cure. Son corps ne reflétait aucune couleur sous la lumière lunaire. Il était encore perdu dans la transe des sensations. Le loup courrait toujours en lui. Ses pieds ne s'étaient pas défaits de leurs griffes. Ses mains sentaient le contact de la neige contre leurs coussinets protecteur. Cette fois-ci, c'est l'homme qui secoua la tête pour se défaire des pensées de l'animal. Il pivota doucement, portant son regard derrière lui. Il avait dérivé pendant près de six heures sans vraiment se presser, décrivant plusieurs cercles dans sa course. Il regarda les étoiles, fit un rapide calcul et se mit à marcher. Il était à environ deux cents kilomètres de sa demeure et cent vingt et cinq de son point de repos le plus proche. Il opta pour son manoir. Il avait épuisé une partie de ses ressources, mais pas assez pour craindre le soleil. Il oublierai encore qui il était. Un léger sourire apparu ses lèvres. Peut-être pourrait-il même réussir à atteindre son but avant le lever du soleil derrière lui. Il se mit à courir.

« Bienvenue chez vous, maître Joachim. Dit le petit homme en livrée en lui tendant une cape noire.
-Bonjour Léopold. Comment vas-tu ? Répondit le maître des lieux en la revêtant sans y penser.
-Assez bien, maître Joachim. Le majordome emboîta le pas de son maître. Votre course vous fut profitable ?
-Assurément, assurément. Les plis de la cape léchaient le sol en un bruissement incongru. Je vais aller me reposer à présent.
-Comme il siéra à monsieur. Il ouvrit une porte. Puis-je cependant dire quelque chose à monsieur ?
-Parle, parle Léopold. Je ne suis pas pressé. Il s'immobilisa sur le pas. Je n'aime pas quand tu utilises cette tournure. Qu'ai-je fait ?
-Il semblerait que monsieur ait attaqué plusieurs personnes cette nuit.
-Ah. Ses yeux s'assombrirent. Attaqué à quel point ?
-Au point de les tuer, maître Joachim, annonça poliment le petit homme.
-Tu dépêcheras ta fille s'occuper de réparer les dégâts. Les familles seront dispensées d'impôt pour les trois années à venir. Il pensait. Elle devra effacer les traces. Et donne lui également la liberté d'éliminer les traces si elles ne se satisfont pas de mes conditions.
-Puis-je faire remarquer à monsieur sa sévérité ?
-Les droits de la famille Hennans sont absolus sur ces terres, personne ne doit l'oublier Léopold. Il passa la porte et commença à la refermer. Cela fait une génération que je n'ai pas sévi ainsi, autant marquer les mémoires, puisque l'opportunité s'en présente.
-Comme il plaira à monsieur.
-A ce soir Léopold. Il commença à fermer la porte. Oh ! Une chose encore, avant que je n'oublie. Je te conseille vivement d'aller observer le lever de soleil de ce matin. Depuis la grande fenêtre de la bibliothèque, peut-être. Il semble promis à être magnifique.
-Que monsieur se repose bien. » Termina Léopold en claquant la lourde porte sur son maître.

Léopold resta un petit moment devant l'ouverture à présent fermée, pensif. Il oubliait parfois que les desseins de son maître ne couvrait pas la notion de temps qui lui était familière. Le majordome patienta encore un instant, au cas où son maître vînt à lui demander quelque chose d'autre, puis quitta la pièce d'un pas discret que tout serviteur venait à développer après quelques années de services. La journée allait être longue. Le domaine devait fonctionner, même quand le maître dormait. Surtout quand le maître dormait, corrigea-t-il mentalement. Les rumeurs qui courraient de villages en villages depuis des années avaient beau décrire la demeure seigneuriale comme un endroit à éviter, de nombreux voyageurs ne cessaient d'arriver chaque semaine pour divertir le Prince. Des montreurs d'ours, des prêtres, des troubadours. Sans parler des prétendus « pairs » qui souhaitaient une audience avec le maître des lieux. Il s'immobilisa dans l'escalier qui menait à la bibliothèque principale. Un pair allait d'ailleurs arriver sous peu, se rappela Léopold. La question était quand ? Il reprit son chemin sans plus y penser.

Les pas de Léopold s'estompaient dans l'esprit de Joachim. Le serviteur commençait à se faire vieux. Il accusait, sans vraiment s'en rendre compte, ses soixante ans. Il devrait être préparé à l'idée d'être remplacer. Il allait lui fallait déléguer de plus en plus à sa fille, jusqu'à n'avoir plus qu'un rôle secondaire et goûter un repos mérité. Il faudrait aussi prévoir l'appariement de Laura avec un mâle de qualité. Parcourant ses rayonnages mentaux, il ouvrit le grand livre de ses lignées. Quelque chose de cet ordre devait forcément exister dans un des villages. Il en sélectionna une petite dizaine, se disant qu'il faudrait faire jouer les bons leviers pour provoquer des rencontres fortuites entre eux et la jeune fille. Il posa le pied dans la terre sèche et la fatigue le submergea soudain. Léopold devait être arrivé dans la bibliothèque, Laura pas encore sortie de ses draps chauds. Il s'allongea sur le sol crissant. Le domaine irait une journée de plus sans lui. Il avait besoin de repos. Comme toujours lorsqu'il était dans cet état, la figure de Nastasia s'imposa à son esprit. Il sourit doucement.

Fermant les yeux, le vampire s'endormit d'un sommeil sans rêves.

Lancwen de Sigil | 02/01/10 23:15

Bienvenue en ce lieu frère de race.

Duc De L'uto | 03/01/10 19:54

Encore une immondice à nettoyer...

Shadee | 04/01/10 18:53

Quel plaisant récit! :)
Bienvenue Joachim!

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