Forum - [La quête des légendes, Special Reissue Edition 5/21] Interlude 1 : Wish you were here

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Celimbrimbor | 20/07/19 21:25

Un peu de sable dévala la pente.
Il n'y fit pas attention, il regardait au loin. La plage devant lui et la mer après, les vagues qui traçaient des frontières mouvantes entre un ici et un ailleurs incertains. Ce que cet entre deux pouvait dire sur lui et les siens lui était perdu. Il ne le voyait pas, il regardait une jeune femme danser sur l'eau, sans laisser de trace sur le sable humide. Il regardait ses cheveux jouer dans l'air salé. Elle ne les avait pas vus, ce jour-là, il y a longtemps, quand ils arrivèrent enfin au bout d'un chemin.
Elle dansait sur la plage, légère silhouette indistincte de l'horizon. Elle dansait les yeux fermés, avec une application sérieuse de petit enfant. Les caprices du vent et du soleil dessinaient sous ses pieds un échiquier d'ombres et de lumière. Elle volait, emportée par une musique silencieuse.
Elle manqua un pas, s'emmêla dans sa robe et trébucha en poussant une exclamation retentissante. Il se précipita pour l'aider et ne réussit qu'à s'empêtrer dans le sable de la dune et glissa piteusement jusqu'en bas. D'abord vexé, il partagea bien vite le rire de son ami qui l'aida à se relever. La jeune femme était toujours au sol, entre sable et mer, le visage tourné vers eux caché par ses cheveux. Ils approchèrent à pas lents. Elle cligna des yeux, deux fois.
Puis elle détala en courant.
Ainsi Celimbrimbor rencontra Anthéa pour la première fois. Il ne devait cesser de l'aimer que bien après sa mort, soixante-dix ans plus tard.
Une saute de vent projeta un peu de sable en l'air. Il se frotta les yeux.
« De quoi est-elle morte ?
─ Du temps.
─ Alors c'est bien. »
Elle faillit leur coûter la vie ce jour-là.
Lorsqu'ils arrivèrent au village côtier où menaient ses traces, un pitoyable mur de rames et de harpons les attendait. Massés en foule compacte les pêcheurs barraient la route. Les elfes étaient inconnus dans cette région et les villageois tremblaient à l'idée d'affronter des démons issus du sable. Pourtant, ils tenaient bons. Un peu en arrière, au milieu d'autres femmes furieuses, Anthéa haranguait ses protecteurs dans une langue étrangère et sa voix s'enflait dans un crescendo élégant.
Elle atteindrait bientôt l'apogée de son discours et les hommes se précipiteraient pour la défendre. Elle marqua une pause théâtrale et tendit lentement le bras vers les deux elfes. Avec dédain, elle tourna le regard vers eux pour lancer l'hallali. Son regard se planta dans celui de Celimbrimbor
Il y eut un silence. L'elfe se mit à avancer doucement. Anthéa repoussa ses compagnons pour le rejoindre. Il y avait le silence. L'humaine atteignit les derniers rangs des pêcheurs, Celimbrimbor pouvait écarter leurs armes du bras.
La voix de stentor de Dublis creva dans l'air. Les pêcheurs sursautèrent, s'agitèrent et leurs rangs se déformèrent de rire. Le parlé paysan de l'elfe les avait surpris et ils se moquaient de lui.
Seul Dublis vit les deux amants, les yeux dans les yeux, et qui ne disaient rien.
« Où est-elle ?
─ Je l'ai enterrée.
─ Dans le cimetière du village ?
─ Non. »
Guillaume et Isabelle comprirent trop tard ce qui brillait dans les yeux de leur fille. Ils lui défendirent pourtant de continuer de fréquenter l'étranger. Les conteurs rapportaient des histoires étranges sur les elfes, il était impensable que leur fille en fréquentât un. Isabelle surmonta même son dégoût pour expliquer à Celimbrimbor que tout cela devait cesser.
Quelques jours plus tard, l'elfe et sa compagne avaient disparu.
« Ils ne vous ont pas accepté, finalement.
─ Non. »
La masure avait d'abord été une tente sommaire au fond d'une combe herbeuse, à quelques dix kilomètres de la plage. Les trois amis eurent tôt fait de la remplacer par une demeure plus grande et, au départ de Dublis, la maison des deux amants était agréable et accueillante.
« J'en ai détesté chaque seconde.
─ Oui. C'est normal, perdre quelqu'un d'aimé.
─ Pas ça ! Une longue inspiration. Pas ça : vivre. Les dernières années. Anthéa, la femme que j'aime, elle était déjà morte avant de mourir. Tu comprends ? Son esprit pourrissait en même temps que son corps. Le temps. Le temps... Une pause fiévreuse puis, plus calme : Le temps emporte tout. Ce n'est pas juste. Dublis voulut répondre. Non. Viens, marchons. »
C'était un val sans arbre et d'une paix étonnante, ténébreuse. La demeure n'avait pas changé, exception faite d'un petit enclos qui fermait un jardin. Le vert dominait partout et la tache de la tombe paraissait disparaître. Les deux amis s'arrêtèrent devant la terre meuble.
« Tu as ce que je t'ai demandé ?
─ Oui, attends. Dublis fouilla dans les poches de son manteau de voyage. Tiens. »
Celimbrimbor regarda la graine attentivement, cherchant une promesse ou un défaut, puis il se baissa, creusa un trou dans le sol brun, y plaça le gland et le recouvrit.
« Merci. »
Le silence reprit ses droits sur la vallée, à peine dérangée par les odeurs salées amenées par le vent marin. Quelques étoiles perçaient le jour tombant.
« Veux-tu rester quelques jours ?
─ Non, je ne peux pas. J'ai une autre mission à remplir. Un temps. Tu pourrais m'accompagner, pour éviter le chagrin, non ?
─ Désolé Dublis, je ne pars plus d'ici. L'arbre de deuil aura besoin d'un jardinier pour grandir correctement.
─ Je comprends. Une pause. Alors adieu ? »
─ Oui. Ils se regardèrent doucement. Adieu. Et merci. »
Dublis avait toujours été meilleur aux exercices martiaux, Celimbrimbor n'avait aucune chance. Un violent coup de poing au foie le plia en deux, un coup de genou dans la tempe le plongea dans l'inconscience. Dublis lança un court sifflement aigu.
« Tu me pardonneras. »
Il sortit des liens de ses poches et attacha son ami. Aux nœuds aussi, Dublis était meilleur. Il se releva, siffla à nouveau et, pour la première fois, regarda vraiment la tombe.
« Anthéa. À cause toi, j'ai failli être tué et j'ai dû voyager seul pendant des années. Mais l'étincelle dans le regard de Celim' était à ce prix. Il t'aimait. Même quand il changeait tes linges, il t'aimait. Jamais il n'a été aussi heureux qu'avec toi. D'une poche, il sortit un paquet brun. Ses lettres. Elles me sont adressées mais elles ne parlent que de toi. Je te les rends. J'espère que cela te suffira à me pardonner de te l'enlever. Jüdor a besoin de lui. »
Un cheval baie vint renâcler près du stratège. Il chargea Celimbrimbor en croupe et saisit la longe de la monture.
« Voilà. Pardonne-moi, je t'en prie. La cité doit perdurer. »
Dublis se détourna et mena son cheval et son chargement hors de la combe. Il ne monta en selle qu'au sommet de la colline. Là, il s'arrêta.
« Adieu. Une pensée, un temps. Adieu. »

Celimbrimbor | 20/07/19 21:25

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