Forum - [La quête des légendes, Special Reissue Edition 6/21] La mer 1/4 : Monologue :

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Celimbrimbor | 10/08/19 17:36

« Tu te souviens ? nous nous étions promis l'ivresse des jours de pluie, nous devions vagabonder dans la brume et percer ses secrets, je me rappelle. Nous l'avons fait. Nous l'avons fait, je crois.
Tu étais belle. Tu rayonnais quand tu marchais. Tu le sais. Te l'ai-je dit ? Je ne me souviens plus. Peut-être. Tant de choses que je ne t'ai pas dites.
La petite Amanda vient d'avoir un beau geste : un grand coup de tête sur le nez de Jacob. Tu as entendu le craquement ? Tu m'avais brisé le nez comme ça, non ? J'en suis sûr. Absolument certain. Tu imagines ? Si nous nous étions connus ainsi ? Les chemins différents que nous aurions empruntés. N'empêche, ça m'a fait mal.
Ah, Jacob a cessé de pleurer au bord du fleuve et il ne saigne plus. C'est bon, Amanda, retourne jouer. Soit plus discrète. Et tu sais qu'il va vouloir se venger, fais attention. Qu'avais-je fait ? Ah, oui.
Tu m'en as voulu quoi, deux jours ? En riant. Quand je pense à ce que tu as glissé dans mon assiette après...
Sais-tu que les héritiers du conseil ont proposé de tout raser pour reconstruire le quartier ? Ils jugeaient qu'à part le pont, il fallait tout refaire. Ils voulaient des maisons propres, des rues plus larges et fermer le Roux. Ils n'y ont pas cru quand j'ai dit que je ne m'y opposerai pas. Ils ont aussitôt fait marche arrière. Tu les as bien dressés. Et le quartier est encore là.
Eh ! Pas de ça, jeune homme ! Range ce couteau !
Belle partie, cela dit. Les gamins du haut mènent d'un point, je crois, mais ils ont perdu deux joueurs sur blessure et les autres sont toujours aussi agressifs. C'est Arthur qui les commande. Eh oui, il ne se cache plus dans tes jambes au moindre bruit. C'est presque le plus jeune de l'équipe. Je t'ai dit comment il les a pliés ? Il a mis un coup de pied dans la rotule du plus grand et son coude dans les dents du meneur.
Je m'inquiète pour les navires. J'arrive à faire entrer des marchandises depuis les terres et j'ai réorganisé une partie de notre logistique pour nous libérer un peu, mais cela ne suffira pas. Les caravaniers ne nous sont pas loyaux et nous coûtent beaucoup trop cher.
Eh ! Tu n'as pas compris tout à l'heure ? Range ce couteau, Nathaniel ; je ne me répéterai pas.
J'ai peur. Le temps reste au beau fixe, le vent est favorable, mais les navires ne reviennent pas. J'ai envoyé des équipes sur les côtes Est et Sud, vérifier les criques où échouent les courants : rien. Pas une planche, pas une voile, pas un gréement ─ pas un corps.
Assez.
Non. Non, je ne lui ai pas fait mal. Tout au plus un peu tordu le bras. Et boxé l'oreille, oui. Par contre, j'ai gagné une lame. Regarde ! ils arrivent à en fabriquer avec n'importe quoi, c'est surprenant. Enfin, cela me fait une nouvelle pièce pour ma collection. Elle rejoindra les autres dans le bureau.
Je reçois une délégation formelle de caravaniers demain. Ils viennent réclamer un meilleur traitement, sous prétexte que des bandits se sont postés dans les bois, un peu avant le pavillon de chasse. C'était à prévoir : dix milles livres de marchandises qui transitent deux fois par semaine attisent forcément les convoitises. Surtout quand elles serpentent dans les forêts sur des chemins hasardeux. Tellement hasardeux qu'ils changent à chaque fois, pour éviter trop de prédictibilité.
Sais-tu ? un des bandits est le cousin du chef des caravaniers. Ce brave patron a trouvé intéressant de lui communiquer les itinéraires des prochains mois. Enfin... la rencontre n'en sera que plus amusante. J'ai demandé à André de se mêler à la situation et de solder certains comptes. Il devrait poser un morceau du cousin sur la table, avec les rafraîchissements. Tu n'aimes pas, je sais, mais les négociations seront plus simples.
Et puis, sais-tu que l'un d'eux m'a menacé ? Il y a un mois, quand je les ai engagés. Il est venu me trouver, à la maison, vociférant comme un damné que je l'avais trompé, qu'il n'était pas payé assez et tout ce genre de choses... Tu connais les récriminations des mesquins.
Pardon. Oui, je suis préoccupé. La ville va mal alors je vais mal, cela n'a pas changé. Il y a deux mois encore, nous discutions de rénover les quais et d'agrandir l'école de marine. Des plans commençaient à prendre forme pour amener la ville à rayonner au-delà des collines. Nous étions en plein échange avec Iv' pour créer un lien entre leurs universités et la nôtre. Imagines-tu ce que nous étions sur le point de gagner ?
Ah, la partie est finie. Je t'avais dit qu'Arthur renverserait la situation. Et comme toujours, ils vont aller tanner Ethel jusqu'à ce qu'elle leur offre à boire. Nous le faisions aussi ? T'en souviens-tu ?
Partons, veux-tu ? Il faut que je rentre, prenons le long détour. Mon visiteur attendra un peu. Et puis si je veux discuter sereinement, il faut que j'oublie encore. Passons par là, ce sera mieux.
Sais-tu l'ironie de tout cela ? les seules choses qui nous reviennent de l'océan, ce sont les vieilles barcasses que tout le monde méprisait. Tout le reste, disparu, envolé ─ pffuit ! Seules les barques. Enfin...
Tu te souviens Daniel ? Il a décidé de réunir quelques autres ancêtres encore valides et de montrer aux gars restant comment manœuvrer les esquifs. Il espère pouvoir monter une flottille réduite avec ceux qui peuvent toujours voguer. Cela ne suffira pas mais cela redonne un peu d'espoir aux gens. Et ils ne disent plus que les maisons vertes prennent leur revanche sur les beaux quartiers.
Oui, c'est là qu'il se trouvait. M'en veux-tu encore ? Je l'ai fait tenir aussi longtemps que possible, mais après sa mort, c'était inutile. J'avais autre chose à construire. Oui, la ville, par exemple.
Oui !
Pardonne-moi. Je ne devrais pas m'énerver ainsi. C'est juste que... Nous ne tiendrons pas. Les caravanes n'arriveront pas à tenir les échanges que les flûtes assuraient. Et les barques... Je crains qu'elles disparaissent elles aussi si elles tentent de prendre la pleine mer. Nous avons perdu assez des nôtres. Les équipages sont principalement composés d'étrangers, mais les garçons de pont et les mousses viennent tous des maisons vertes. Quant aux officiers, il n'y en a pas un qui ne soit pas d'une ou l'autre grande famille. Peut-être le Brise-Vents. Je crois que le capitaine venait du Nord.
Prenons par ici, veux-tu ? L'odeur des bruyères m'apaise toujours. Et puis comme ça, nous pourrons voir Fère Vive tout entière. Je viens souvent ici, la nuit ; seul. Pour compter les bougies, voir si la lumière s'éteint. Eh bien, sais-tu ? elles s'éteignent. Depuis un mois. Petit à petit. Une à une. Je les compte. Arabella Barnes a éteint la chandelle. C'est la quatrième depuis le début de l'hendécade. La treizième depuis le début. Il y a des choses contre lesquelles je ne peux pas lutter.
Non. Je ne veux pas rentrer. Restons ici, s'il te plaît. Reste un peu avec moi. Nous verrons peut-être les voiles blanches revenir. Ce serait bien, non ? des gréements sales, déchirés mais saufs. Restons un peu. S'il te plaît, reste.
C'est là. C'est là que je t'ai vue pour la première fois. Tu courais, tu dévalais la pente. Ta robe était mauve, d'un mauve léger, presque pastel. Comme ces ciels voilés qui hésitent à montrer leurs pleins feux. Tu avais les cheveux détachés, libres, flottant derrière toi. Ton coude, le gauche, était rougi. Tu étais tombée ; un peu avant j'avais entendu ton cri. C'est pour ça que j'étais monté par ce chemin, moi qui ne fréquentais pas les collines. Tu avais les pieds nus. Je me demande encore comment tu ne les blessais pas. Tes épaules étaient nues, bronzées et tu avais la bouche ouverte, pour respirer. J'ai vu tes dents. Blanches, brillantes. C'est là, oui.
Tu ne m'as pas vu, tu courais trop vite. Tu es passée comme une petite flûte, tu as disparu plus loin, là-bas, où le chemin vire brusquement. Et puis, après tout, comment aurais-tu pu me voir ? Les goélettes s'intéressent peu aux navires en papier, les filles de capitaines aux enfants d'avoués. Et moi je suis resté là, écarquillé.
Je me suis dit, peut-être, tu étais poursuivie par quelqu'un. J'ai rêvé de m'interposer, pour que tu me voies. Comme si tu avais besoin d'un chevalier servant. J'étais sot. C'est d'ailleurs ce que tu m'as dit, un mois après. Vous êtes un sot, jeune homme. Sortez.
Tu m'as mis à la porte et je fulminais d'avoir dépensé tant d'énergie à m'inviter à ta fête. N'empêche, j'ai fait le coq dans le chemin roux pendant un bon moment. Un gamin des rues, dans un manoir des collines ! Puis Davan m'a envoyé à mes études.
Oui, je l'ai haï. Longtemps. Je ne rêvais que de toi, je ne pensais qu'à toi et voilà qu'il me mettait en internat. Non seulement il m'éloignait du chemin roux mais il t'interdisait. Sais-tu combien cela m'a enragé ? J'ai failli tout gâcher à ce moment-là. Mes condisciples me détestaient et adoraient mes farces cruelles envers les professeurs. Et puis... jeunesse se passe et la haine est un feu comme un autre. L'envie urgente de me venger de Davan prédomina jusqu'à la fin.
Ah ! Regarde ! Elles s'allument ! Une, deux, trois, quatre, cinq...Arriverons-nous à les compter toutes ? Attendons un peu. Regarde. Regarde, déjà, on voit. Parmi les volets verts, Barnes, Estwick, Jussieur sont éteintes. Ça se répand, de proche en proche. Une maison en entraîne d'autres. Hier, Jussieur était encore allumée. Demain, le bloc Est des quais sera presque totalement absent.
C'est l'incertitude qui les tue. Jésabelle me le disait tantôt. Ils éteignent parce qu'ils reprennent un peu pied. Ils s'arc-boutent sur le pire car cela vaut mieux que tout le reste. Et la surprise sera forcément bonne.
Assez. Rentrons. Il est tard. J'ai trop fait attendre mon rendez-vous.
As-tu vu comment Jonathan a taillé la haie ? N'est-ce pas plus sympathique ainsi ? J'en avais assez de cette hauteur qui masquait tout. J'ai besoin de voir. Et puis comme ça les habitants du bas voient la chandelle. Ils savent que j'espère encore. Ils savent que nous ne sommes pas totalement perdus.
Pardon ? non !
Non, je ne mens pas. C'est précisément parce que nous n'y arriverons pas que j'y arriverai.
Attends, laisse-moi fermer la porte, j'ai donné congé à Isabelle et André court les bois. Voilà. Demain, je plierai les caravaniers à mon désir puis je m'occuperai des palliatifs possibles. Il y en a quelques uns de visibles, tu serais surprise.
Ah, Jeanson, mon visiteur est dans l'antichambre ? Parfait. Qu'a-t-il bu, pendant ces trois heures ? Oh. Merci, Jeanson. Vous pouvez lui annoncer mon arrivée puis quitter le service. Dites à Ernestine qu'elle a fini également. Je dînerai seul et de peu et je suis certain qu'elle a remisé quelque chose, cela suffira amplement. Merci. Vous aussi.
Bon, je ne peux pas le recevoir ainsi. Aide-moi, tu sais que je ne vois pas les couleurs. Ce complet, là ? Très bien, d'accord mais... Avec cette chemise ? Es-tu sûre ? Alors, qu'en penses-tu ? Merci. Que serais-je sans toi, dis-moi ?
Ah ? Écoute, il pleut. Ouvrons les fenêtres, tu as toujours aimé l'odeur des pluies d'été. Elle est enivrante et douce. Allez, viens ! Allons courir dehors jusqu'à attraper le rhume ou la fièvre ! Viens ! Nous goûterons l'ivresse des soirs de pluie et le sol mou sous nos pieds. Allons percer les nuits, viens !
Tu as raison, oui. M'attendras-tu ? Tu vas lire ? Ah, je l'avais détesté, il était lourd et... Pardon. Tu me diras ce que j'y ai manqué ? Je ne serai pas long. »

« Bonsoir, monsieur... Elanden ? Je vous prie d'excuser mon retard conséquent, je ne vous...
─ Bonsoir, Piotr. Tu ne m'attendais plus. »

Celimbrimbor | 10/08/19 17:37

Comme d'habitude : l'original, qui n'a pas grand chose en partage.
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Jarx le Vieux Loup de Mer | 13/08/19 02:15

Un plaisir à lire, comme toujours!

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