Forum - [La quête des légendes, Special Reissue Edition 12/21] La terre 2/2 : La musique des sphères.

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Celimbrimbor | 14/03/21 15:54

Elle n'avait pas menti et les portes étaient ouvertes, encore, alors que le soleil tombait au-dessus des canopées, les frôlant doucement, avec un rayon qui venait pointer l'entrée. Elle aimait faire les choses de façon grandiose, sublime. Sans doute un caractère comme un autre. Deux buissons de ronces épaisses, dures et anciennes, un tapis de mousses ou de feuilles, la plus légère trace d'une odeur et une glissade. La méfiance m'arrêta un instant mais ─ Ah. Être arrivé jusqu'ici et tout perdre parce que la peur ? Allons, ce serait indigne. Pas après les tractations.

Une chambre basse dans une auberge et une femme à moitié folle qui rumine une plante étonnante que je n'ai pas eu le temps d'analyser avant qu'elle me la mette sous le nez mais j'ai pu refuser avec la diplomatie qui me caractérise et j'ai vu à son air renfrogné que cela ne lui avait pas plu mais elle était déjà un peu trop loin pour réellement se préoccuper de ces choses-là, un filet de jus vert coulant d'une commissure de ses lèvres vers son menton un peu pointu, moins volontaire que prognathe, et la voilà qui roule des yeux et qui vagit et qui se dénude, grands cieux, faudra-t-il aussi en passer par là ?

La glissade semble longue. Sans doute quelque chose de commun à ce que les esprits des eaux m'ont imposé pour aller les trouver. Il y a fort à parier qu'elle va me transporter ici ou ailleurs, jouer un peu avec moi pour mettre ma résolution à l'épreuve. J'aimerais tout de même y voir un peu plus loin, dans ce trou obscur. Pourquoi faut-il toujours qu'il y ait, dans les cultes chtoniens, des cavernes et des creux ? Ne pourrait-il se pratiquer au grand jour, à la face du ciel ? Cela serait tellement plus simple. Enfin. Qui suis-je pour juger de la magie et de sa provenance. Bien. Allons, glissons.

Un temple, un autel, plutôt, planté plus qu'érigé sous un dolmen qui traîne, seul, solaire, au sommet d'une motte dans une clairière clairement pas dégagée par la main de l'homme, et je ne peux m'empêcher de me demander combien de temps il a fallu pour que ces branchages poussent et poussent ainsi, empêchés, maîtrisés, tordus jusqu'à créer ce que je vois devant moi et derrière lequel une sorte de druide ou de shaman, je ne sais pas, je ne sais plus la différence, ils ont, du reste, souvent la même odeur, psalmodie des trucs et des machins sans importance mais qui invoquent un pouvoir qui le dépasse et moi aussi, tandis qu'une herbe quelconque brûle dans un bol entre nous.

Quel toboggan. J'ai perdu la notion du temps, fort évidemment mais je commence à avoir l'habitude. Les océans m'avaient fait la même chose, non ? C'était il y a longtemps, déjà, je ne me souviens plus, et cela sentait moins fort. Que deviens Piotr ? Je pourrais questionner le ciel mais il est trop loin et, d'une certaine façon, je m'en fiche. Il doit être mort depuis des années, peut-être des siècles, cela n'a aucune importance. Ces humains sont des petites
pierres ?
vies qui croisent la mienne un temps et disparaissent bien trop vite pour être significatives. Les passent tellement rapidement qu'en un clin d'œil ils ont disparu. Comme les aspérités aux murs de ce tunnel qui n'en finissent plus de filer.

Un trou, littéralement, de trente centimètres de profondeur, carré, de soixante de côté. Un foutu trou. Et qui pue, en plus. Qu'ont-ils mis de─ Grands cieux. Des cadavres de petits animaux et des herbes qui pourrissent. Je n'aime pas cette odeur et je me suis tendu, ils l'ont senti et je peux sentir leur peur. Ils braillent maintenant. Ah, oui, j'ai cassé leur petit cercle de cailloux, là. Comme si ces trucs idiots servaient à quelque chose. Il faudrait que je me penche sur la question un de ces jours, pour comprendre pourquoi ces précautions inutiles ont effectivement un effet, mais uniquement pour et rien que pour ceux qui les ont bâties. Qu'est-ce qu'─ Ils mangent ce.

L'ennui est une question d'habitude. Je n'ai d'ailleurs jamais compris comme les humains pouvaient trouver le temps de s'ennuyer
moi non plus
sur leurs vies si courtes. Après tout, il y a tant autour d'eux à découvrir, ils ignorent tant de chose que
toi aussi
ne rien faire et attendre la mort et se plaindre de cela ? Comment pouvaient-ils faire ?
et toi ?
Oh, assez ! Si vous voulez jouer, venez !
Sinon ?
Ah. Oui. Sinon ? Eh bien, j'attendrai.
Alors attends.
Eh flûte. Il n'y a même plus de parois autour de moi et toute sensation de chute a disparu. C'est un jeu, alors, encore un. Une descente en soi-même, c'est ça ?

Cette fois-là, c'est un grand ciboire à anse, ou un petit cratère, peu importe. Rempli de viscères. Je n'ai jamais trouvé s'il s'agissait de restes humains ou non. Je l'ai su immédiatement. Des foies, intestins et portions d'estomacs d'enfants. Filles et garçons. L'odeur me saisit les narines et j'abats mon guide, un de ces crétins abrutis, par réflexe. Cette odeur ne m'a pas tué là-bas. Elle ne me tuera pas ici. Par contre, eux, c'est une autre histoire. Ici aussi je fais pleuvoir les flammes et le sang. Ici aussi, aucun survivant, comme plus tard sur la rade, comme dans la forêt, comme
dans la bataille.

Oui, aussi, comme juste avant de tomber dans ce fichu trou qui n'en est pas un.
Tu t'ennuies.
Très amusant. Et vous ne pouviez pas changer l'odeur ? Elle me

prend à la gorge, mais c'est la fumée, qui me bouche la vue et me cache ce que je devine et ne veux évidemment pas voir. Seulement, il n'y a pas que la fumée, il y a un sous-texte, un autre parfum qui m'entête et me fait hurler plus fort que devant le seul spectacle des flammes. Aucun cri ne répond au mien et je sens ma gorge qui souffre mais je hurle, hurle, hurle, hurle et passe et marche dans le sang et les boyaux et la merde mêlées qui dallent ce qui était Jüdor et n'est désormais plus.
Non !

Si.

Des cadavres partout, ouverts, éventrés, déchirés, coupées, démembrés, désossés, équarris, dépecés, décapités, arrachées et du sang et du sang et du sang et du sang et ce cri et ils n'ont reçu aucun honneur d'aucune sorte mais ils les ont laissés là où ils les ont tués et se sont occupés d'eux et n'ont épargné personne et des femmes et hommes et des vieux et des enfants et des enfants et des enfants et des enfants
Non !

Si. Et plus encore.

et des corps et des flammes qui les rendent anonymes et l'odeur de charnier brûlante âcre qui me ravage et ce mur là qui s'effondre est de l'université et laisse deviner une salle et un tas que les flammes n'ont pas encore atteint et je m'échoue sur ces visages et je chavire je je tombe même pas à genoux je tombe juste et je vois le feu qui se rapprochent doucement et je ne reconnais plus rien autour de moi ni arbres ni demeures ni personne et j'attends que l'univers me rende anonyme à mon tour et me prive de cette souffrance et
Pitié.

Non.

une pique non une hampe pas une pique une hampe plantée dans au-travers d'une tête et au sommet de la hampe un drapeau qui ne brûle pas encore pas encore pas encore un drapeau qui ne brûle pas encore et des armoiries lisibles un drapeau qui ne brûle pas encore et qui porte des armoiries et quelque chose se relève qui n'est plus moi mais encore quand même et arrache ce drapeau et arrache ce drapeau et arrache ce drapeau qui ne vient pas alors il faut se baisser et saisir plus bas dans le crâne dans le corps et dans un bruit de succion de succion de succion de succion relever la hampe et la prendre et sortir du brasier et sortir du brasier et sortir du brasier et sortir de Jüdor et sortir de Jüdor et sortir de Jüdor et sortir de Jüdor mais y rester toujours, toujours, toujours, toujours, jamais.

Continue.

Le drapeau. Ce drapeau. Il est encore dans un de mes bureaux, quelque part. Ce drapeau. Le drapeau. D'un empire mort. Que j'ai ruiné. Seul. Un long chemin de sang. Et puis d'autres m'ont traqué et sont morts à leur tour et j'en ai chassé.

Et tu chasses encore.
Je suis fatigué. Aidez-moi ou laissez-moi.
Que répondrais-tu à une telle supplique. Qu'as-tu répondu à une telle supplique ?

La mort, bien entendu. Je l'ai torturé des jours durant. Je l'ai plongé dans mes souvenirs et ma folie pendant que son royaume restait suspendu et quand je l'eus bien détruit, je le relâchais au sein de sa capitale qui se mit à brûler, sans qu'il fît la différence entre mon passé et son présent. Je le regardai brûler et mourir et tout son pays avec lui avant de m'effondrer de fatigue. Je dormis. Me réveillai. Ma peine n'avait pas bougé.

Et après ?

Après, vous l'avez déjà vu. Cela suffit. Après, j'ai marché, jusqu'au feu, jusqu'à l'eau, jusqu'à vous.

Jusqu'où marcheras-tu encore ?
Jusqu'au bout. Encore et encore s'il le faut.
Si je te renvoyais chez toi ?
Je reviendrai. Jusqu'à ce que vous me tuiez ou accédiez à ma requête.
Regarde.

Tout à coup, l'obscurité se disperse sans donner de sol ou de plafond et laisse place à un gigantesque espace blanc. Que veut-elle que je voie dans cet espace sans espace ?
Et puis, imperceptiblement mais d'un seul coup, un changement. L'espace possède désormais un espace. D'accord, je comprends. Très bien. Montrez-moi, alors, montrez-moi ce que les autres ont appelé « folie ».

Avec des limites, les directions reviennent. Il y a désormais une gauche et une droite, un haut et un bas et ce bas monte à ma rencontre ou peut-être est-ce moi qui tombe, cela n'a pas vraiment d'importance. Elle a d'abord créé une étoile avant de mettre une planète. Ni l'une ni l'autre ne sont très gigantesques, loin des échelles normales, mais quelle débauche d'énergie. À vue de nez, il me faudrait

Silence !

Mais créées, tout de même et je me rends compte de l'énormité de la tâche que je me suis assigné. Encore que. Je veux faire une rose, pour commencer, pas un monde. Quelle énormité. Le sol arrive à la rencontre de mes pieds. Elle a tout créé d'un seul coup, sans processus, simplement fait advenir. L'eau l'aide aussi, une petite rivière se met à couler devant moi depuis une montagne ailleurs.

Écoute !

D'accord. Écouter, et écouter quoi ? Les choses qu'elles fait apparaître, non, qu'elle place ici ou là, doucement, sont fascinantes. Écouter, très bien. Écoutons. Il y a la rivière. Le vent, un petit peu, très léger. La fournaise du feu, plus loin, qui hurle et crache. Elle l'a fait apparaître d'abord. Très bien. Et après. J'ignore doucement tout ce qui m'entoure et me concentre. J'écoute. J'écoute. Et je trouve. Incroyable. Un son. Un son diffus, constant, partout présent, tellement sourd que sans son insistance, je l'aurais ignoré. Comme une corde tendue qui vibrerait une fois pour tout le temps et de tout temps tout le temps.
Tout disparaît.

Écoute.

Et de nouveau, le vide total mais cette fois-ci je ne me laisse pas distraite et─
Là !
Tout le reste se reproduit à l'identique mais je reste collé à cette vibration qui se tend, se tend, se tend. Combien de temps va-t-elle rester suspendue ainsi ? Combien de temps lui faut-elle ? Combien d'énergie lui faut-elle pour pincer cette corde ? Les limites, l'étoile, la planète, le sol, la rivière, le vent, et puis─
Voilà !
La corde a lâché et, cette fois-ci, le son était, infinitésimalement plus aigüe. Et l'herbe frémit. Et les animaux qu'elle a placé un peu partout à la surface de sa petite planète vibrent. Elle a réussi. Tout, tout, dans un instant, dans une seconde, va commencer. J'en pleurs de joie. C'est absolument merveilleux.

Regarde mieux.

Quoi ?

Regarde. Mieux !

Et tout s'arrête. Il ne se passe plus rien. La rivière coule. Le feu brûle. Le vent souffle. La terre bruit. Et c'est tout. Rien d'autre, nulle part. Le frémissement s'est éteint, la corde ne vibre plus du tout, il n'y a plus aucun son. Tout est fini avant même d'avoir débuté.
Ah.

Comprends-tu ?
Oui. Évidemment que je comprends. Vous avez plutôt eu la main lourde dans la didactique. Je souris un peu. Oui, je comprends.

Désires-tu poursuivre ?
J'irai au bout de ce chemin. Quoi qu'il m'en coûte, quoi qu'il en coûte à l'univers. J'essaierai jusqu'à réussir. Aidez-moi ou tuez-moi.

Tu n'y arriveras pas.
Le vent s'oppose à toi.
Je le convaincrai. Comme je vous ai convaincu. Comme j'ai convaincu le feu. Comme j'ai convaincu l'océan.

Tu n'y arriveras pas.
Il n'y a plus ni tunnel ni glissade ni sous-bois ni porte seulement les étoiles qui scintillaient et un orbe qui palpitait à côté de moi. Mon sourire se fait un peu plus radieux et je ferme les yeux pour mieux écouter. Je le sens. Il est là. J'en suis sûr. Je l'entends presque, presque mais pas.

Tu n'y arriveras pas.

Celimbrimbor | 14/03/21 15:54

L'original : [Lien HTTP]

Merci, toujours, de lire ces aventures, si vous les lisez.
Peace.

Sidonie Sureau | 16/03/21 01:54

Le rythme... Incroyable! :) J'adore ton écriture!

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