Forum - 1 - Tempêtes intérieures
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Dame Auklèce | 02/12/07 15:18
Prologue: [Lien HTTP]
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« Tu pourras avoir plusieurs vies tel est le don des Dames de la terre de Greer. »
La terreur, l'horreur l'avait submergée, son dégoût avait forcé son corps à vomir sa bile pour nettoyer ce qu'elle était au plus profond de son être. Elle venait de comprendre cette phrase que lui avait chuchoté sa grand-mère quand elle lui avait transmis la parure de tête. Ces bourreaux n'étaient pas fous, toutes les créatures légendaires étaient réelles et elle pouvait les contrôler...Les spasmes et les tremblements secouaient son corps, et son esprit retournait la scène sans cesse dans sa mémoire. Elle tombait sans filet dans ce gouffre et percevait déjà le Passeur qui patientait pour lui faire traverser le Fleuve de la Mort, dans ses eaux troubles, les spectres hurlaient et revivaient encore et toujours leurs cauchemars qui les hantaient et les emprisonnaient. Dans ce tourbillon infernal de l'effroi, elle s'était rendue compte que la mort n'était pas si douce pour une torturée. Le monde qu'elle percevait dans son trépas était hanté par des âmes en peine, et la sienne avait une soif de vengeance, son âme était tout aussi tourmentée, son âme voulait expier ses tourments et ne voulait point pardonner sans avoir fait payer à qui de droit. Elle errerait avec un dessein nourrit par la colère en quête du repos éternel. Et cela, elle ne voulait pas, elle voulait vivre.
-Debout!
-...
-J'ai dit debout, sorcière !
L'apprenti, le fils du bourreau, la dévisage avec un dégoût palpable mélangé avec une curiosité malsaine. Il n'avait jamais vu son père aussi blême quand il lui a dit de sortir Auklèce de son cachot afin de la préparer pour le Sire Ladislas. Une cuve d'eau chaude avait été remplie dans la petite pièce réservée à la Question. Le parfum des huiles essentielles qui s'échappaient du bain improvisé se mélangeait étrangement à l'odeur âcre qui imprégnait habituellement ce lieu. Une robe attendait l'arrivée de sa nouvelle propriétaire. Tous ces détails avaient suffi à attiser sa curiosité de rat, en même temps une crainte s'emparait de lui, il se demandait ce qui avait suffit à mettre en branle le bloc de glace qu'était son paternel. Cela paraissait évident qu'ils étaient arrivés à leurs fins mais pour quel prix, et qu'avaient ils tous vu ? Des choses lui échappaient dans cette histoire, c'était bien la première fois qu'une victime était si importante. Il pensait que c'était encore des histoires de bonnes femmes avec ce bijou qui serait un artefact ! Ha un bijou magique, voilà la belle histoire ! Ca ne pouvait être qu'une fantaisie de ce Sire aux allures assurées. Il avait horreur de ce type, et pourtant il le craignait comme la Mort. Il y avait quelque chose en lui qui lui retournait les tripes à chaque fois qu'il était là, et quand il entendait son nom son estomac se nouait.
Il repousse ses réflexions et relance sa prisonnière :
-Vu ce que tu as fait, je doute que tu ne puisses pas te mettre debout Pue la Mort !
Ce surnom la fait tressaillir et lui rappele ce en quoi elle s'était transformée, elle plante son regard dans celui de l'apprenti qui prit de malaise se dirige vers elle pour la brusquer. Il l'attrape par le bras sans douceur:
-Tu ne vas plus à la question, catin de l'enfer. Le Sire te veut chez lui, je me doutais qu'il avait des tendances étranges. Tu l'as vu avec sa gueule d'ange, et puis qu'est-ce que je te raconte ?! Remue toi!
Elle finit par mettre un pas devant l'autre, ses fers mangent toujours la chair de ses chevilles aussi douloureusement. Mais, elle a appris à ne plus relever cette douleur devenue familière, ce qui est plus étrange c'est lorsqu'ils quittent ses jambes, sa chair à vif s'exprime dans toute sa sensibilité. Auklèce se mord la joue jusqu'à la faire saigner pour ravaler un gémissement, le temps que sa vision se fasse à la clarté de la pièce, elle sent ce parfum qui recouvre l'odeur de sang séché sous la terre battue et la paille mâchée. Elle croit rêver, l'émotion la submerge quand elle voit le bain. Vont-ils enfin la laisser tranquille et la ramener chez elle ?
Elle ne prend pas garde au regard du fils qui la détaille dans sa nudité ni à ses remarques, elle a perdu depuis longtemps sa fierté. Elle n'a plus ses formes féminines, elle n'est pas attirante dans son état squelettique. Le Boucher, lui, ne la regarde pas, il est présent et range, sans vraiment le faire, ses outils de torture :
-Ta gueule Germain ! Ne lui parle pas ! Tu as bien assez de culbuter ta Manon pour t'occuper des fesses des autres. Occupe toi de la décrasser qu'elle ne sente plus cette odeur de mort.
- Pourquoi, je ..
- Fais-le et tu lui mettras cette robe, et après que le diable l'emporte elle et ce Sire Ladislas. S'il n'y avait que moi, cette Sorcière serait dix pieds sous terre !
Ce bain est un rêve pour Auklèce, il se déroule en silence et le bruit de l'eau, sans le son de sa voix qui hurle et celle du Bourreau qui lui crache ses mots à la figure. Même si la perversité du fils est présente dans cette toilette spéciale, elle n'en a cure, il peut appuyer sur ses plaies ou s'attarder là où il ne faudrait pas, son esprit est ailleurs. Et puis, non ! Pourquoi doit-elle subir ? Cette même vague de colère la submerge, et elle attrape la main de l'apprenti perdue entres ses cuisses et l'entraîne vers lui brusquement, ce dernier se retire aussi sec et s'éloigne de la cuve en bredouillant, ses yeux exorbités n'arrivent pas à se détacher du visage marqué d'Auklèce qui le
foudroie sur place.
-Elle est prête, Père, elle peut se vêtir seule, je ne suis pas une femme de chambre !
En guise de réponse, il a le grognement du Boucher qui hausse les épaules, l'apprenti lui jette une serviette et s'occupe d'alimenter le feu tout en restant sur ses gardes.
Auklèce enfile la robe blanche, simple, sans ornement qui aurait mis sa silhouette en valeur il y a quelques mois ou années de cela, elle ne sait plus, elle a perdu le compte des jours. Ses guenilles prennent la direction du feu, deux commis retirent le baquet d'eau chaude et referme la porte derrière eux. Elle se retrouve seule avec ses bourreaux sans savoir ce qui va advenir d'elle. Auklèce fixe les flammes qui grignotent les restes crasseux de sa chemise de nuit mais son attention est vite déviée vers celui qu'elle a côtoyé avec horreur.
Le Bourreau se retourne vers elle, sa bouche est tordue par la haine qu'il éprouve pour sa victime, il n'a pas le choix, il refrène cette envie de meurtre et lui plaque un mouchoir imbibé d'éther sur le nez en prenant garde de pas croiser ses prunelles sombres. Il la laisse choir comme un vulgaire sac de farine sans relever le son du choc de sa tête qui heurte violemment le sol.
- Germain ! Porte-la dans la calèche. Grouille toi triple fainéant !
- Mais...
- Ne discute pas, fait ce que je te dis !
Il se laisse retomber sur une chaise quand il est enfin seul avec lui-même, et loin de cette Auklèce. Un long soupir s'échappe de sa grosse physionomie et témoigne de son soulagement, voilà bien longtemps qu'il ne s'était pas éponger le front sous le coup de l'angoisse.
Edité par Dame Auklèce le 02/12/07 à 16:57
Dame Auklèce | 09/12/07 22:04
Elle entend des chuchotements, elle ressent que l'on s'agite autour d'elle entre quelques longs silences. Cela a raison de son sommeil, et finalement, elle prend connaissance de ce nouveau lieu. Elle repose sur un lit, couverte par des draps propres et soyeux. Le soleil brille de toute ses forces ou bien est-ce parce qu'elle avait oublié son éclat qu'il l'éblouie autant. Une grande fenêtre laisse entrer l'air frais d'un début d'automne, le grondement de la mer lui confirme cette odeur marine et revigorante qui pénètre dans la pièce. Au-dessus d'elle, deux visages féminins l'observent et lui disent que tout ira bien, qu'elle est en sécurité. Sous l'invitation de la plus replète, l'une d'entre elle sort de la chambre pour aller quérir une personne. Les murs de la chambre sont couverts de lourdes tapisseries qui masquent en partie les murs de pierre. Le plafond est haut est quelques poutres apparentes organisent cette architecture. A n'en pas douter, elle se trouve dans une grande bâtisse aux allures de forteresse accrochée à une falaise côtoyant la mer qui percute inlassablement ses parois.
Auklèce fait un effort pour se lever de sa couche, son corps lui rappelle douloureusement d'où elle vient. Ses blessures sont encore vives mais pansées... La dame de compagnie la contraint gentiment à rester allongé, sa voix est douce et son visage serein. C'est la première fois qu'Auklèce se sent de nouveau bien, elle se laisse bercer par cette torpeur qui la gagne sans se poser de questions. Quand soudain tout lui revient en mémoire, l'éther, le Boucher. Elle rouvre les yeux, prise de panique, elle se redresse avec difficulté tout en interpellant celle qui veille sur elle :
-Où suis-je ?
La femme la regarde avec une expression que se veut rassurante :
-Ne vous en faites pas, ça va aller maintenant !
-Ne me touchez pas, répondez à ma question ! Auklèce la repousse comme les draps qui entravent ses mouvements
La femme semble de plus en plus gênée et jette un coup d'oeil vers la porte de la chambre :
- je m'appelle Louise, je suis là pour vous veiller à votre rétablissement, vous êtes dans la demeure du Sir. Vous êtes sous sa protection ? Dame Auklèce, je vous en prie, ce n'est pas raisonnable !
-Comment connaissez-vous mon nom ?! Auklèce avance en titubant vers la fenêtre, elle agrippe son rebord de toutes ses forces en espérant contrôler ce sol qui tangue sous ses pieds. Ses déductions étaient bonnes, la vue est vertigineuse, elle se sent attirer par ce vide et ces écueils léchés par l'écume de l'océan. L'horizon est noyé par cette mer qui frissonne sous le vent froid qui apporte avec lui la promesse d'un hiver rude. Sa peau se vallonne en réaction à de cette caresse un peu fraîche, elle se détourne en fermant les yeux et les rouvre pour dévisager Louise.
- Sous la protection du Sir...Qui est ce sir ?
La porte s'ouvre enfin et laisse entrer la deuxième femme de chambre qui tient un plateau avec de la nourriture. Elle est accompagnée d'un homme en costume sombre et strict, sa moustache noire tranche avec son teint pâle, ses binocles semblent solidement fixés à son nez fin presque pointu.
- Louise ! Pourquoi l'avez-vous laissé se lever !?
- Pardonnez moi Docteur, mais elle a été prise de panique...et je ne voulais la brusquer au risque de...enfin vous savez !
-Oui je sais ! Dame Auklèce, venez avec moi.
Auklèce se laisse reconduire à ce lit si moelleux, toute sa force l'a quitté, elle se sent molle et ses muscles ne veulent plus répondre à sa volonté, à sa curiosité. Des instincts plus primaires la guide vers cette nourriture qui l'attend sur le plateau. Ce pain, ce bouillon qui exhale une odeur de légumes mijotés, ce morceau de lard, et ce beurre doré ressemblent à un véritable repas de roi. Elle oublie le pain sec, le gruau rance et l'eau au goût de fer que lui servait le Boucher. Elle se laisse manipuler par ce médecin qui change ses pansements, elle se laisse faire pour goûter ce repas qu'enfin ils lui servent. Elle n'écoute pas le diagnostic qu'il prononce à mi-voix aux femmes de chambre.
Le sommeil a fini par la cueillir et l'obscurité a gagné sa chambre mais ses vieux démons ont transformé ses rêves en de véritables cauchemars qui l'ont replongé dans ce cachot. Elle se réveille, trempée d'une sueur froide, elle met un certain temps à revenir à la réalité. Elle remarque que les dames de compagnie se sont endormies, malgré la faible luminosité de la chandelle, elle ne reconnaît pas le visage de Louise et de sa comparse. Elle se lève sans un bruit et se dirige vers cette issue. La porte grince, elle retient son souffle et regarde avec inquiétude les femmes qui ne bronchent pas. Elle se faufile dans le peu d'espace qu'elle a ouvert pour se retrouver dans un couloir sombre encadré à ses extrémités par des petites fenêtres qui laissent filtrer que trop peu de lumière lunaire.
Elle tâtonne, elle n'entend que le bruit de l'océan qui chante la même litanie monotone, elle arrive à un escalier en colimaçon qui la conduit à un autre étage. L'espace est plus vaste et les hautes fenêtres dévoilent un paysage grandiose et vertigineux. Elle peut enfin être libre, elle sursaute quand le bruit d'une horloge sonne l'heure. Son adrénaline pointe par vague, son coeur tambourine contre sa poitrine qui se soulève rapidement par sa respiration saccadée. Un bruit de pas feutré la pousse à se précipiter derrière un grand fauteuil, la silhouette passe devant elle sans la remarquer, il ressemble à un majordome résigné à sa fonction, il disparaît avec le halo de sa chandelle sans plus d'histoire à conter sur sa présence devenu quasi invisible dans la demeure de son maître.
Auklèce se relève et tel un spectre dans sa robe blanche, elle glisse dans ces lieux inconnus en quête de liberté. Un appel résonne en elle et la guide comme un prédateur aux affûts, une lumière l'attire, une conversation étouffée, des pleurs et des mots qui cherche à consoler. Elle ne devrait pas s'y rendre mais la curiosité est plus forte, elle regarde à travers l'interstice que lui offre la porte entrouverte. Le spectacle lui tire un cri qu'elle étouffe de sa main. C'est trop tard, elle doit courir, elle concentre le peu de forces qu'elle possède pour s'échapper. Pourquoi cet homme était-il si étrange, si repoussant et si magnifique ? Pourquoi était-il soumis avec ce collier et cette chaîne qu'un autre homme tenait ?
Elle entend qu'on l'interpelle, elle court et renverse sans prendre garde les potiches ou les obstacles qui la gênent. Ce même homme ou cette chose la poursuit sous l'ordre du premier, elle est acculée, la porte ne cède pas sous sa poussée, elle trouve une issue par la fenêtre qu'elle ouvre. Le vide lui tend les bras, elle se raccroche au mince parapet et glisse vers les roches qui s'effritent sous le poids de son corps. Elle regarde vers le haut avec une frayeur non dissimulée, ce qu'elle voit, finit par lui faire lâcher prise dans un hurlement. Le monstre ailée de son cauchemar est là et fond sur elle pour l'agripper. Son corps échappe aux récifs acérées, la lune se voile pourtant elle distingue quelque chose d'humain dans cette chose ailée. Elle doit délirer, elle doit rêver, ces choses là n'existent pas !
Dame Auklèce | 23/12/07 17:22
Il y a des moments où l'on se sent tout petit avec cette impression d'être insignifiant. On attend que cela se passe en repoussant les pensées qui nous donnent le vertige, ou bien, on peut-être hypnotisé par cette force en se disant que la main du monde nous manipule comme des marionnettes. Puis les plus lucides, les plus éveillés se rendront compte qu'il ne sert à rien de lutter qu'il suffit juste de lâcher prise pour être enfin libre, car enfin de compte, nous tenons nos propres fils qui nous transforment en automate.
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Le bateau tangue, et risque à tout moment de chavirer en luttant contre les montagnes d'eau qui le malmènent sur l'océan déchaîné. Les écueils se forment sans cesse et il pique vers ce vide qui vient de se créer puis sort de nouveau de l'enfer avant d'y replonger, la proue reste statique et accepte son sort alors que les marins sont ballottés et luttent pour garder le cap et éviter que leur sirène ne présente ses flancs aux vagues qui la feront basculer dans les abysses.
La pluie crible les ondes océaniques et cingle la vitre de la fenêtre derrière laquelle Auklèce regarde le spectacle de ce petit point qui se bat contre cette immensité. Les éléments s'affrontent, la falaise résiste aux assauts répétés des vagues qui se brisent en écumant de rage. Un mois est passé depuis sa rencontre avec la créature ailée, après cet épisode des hommes l'ont emmené dans sa chambre et des gardes restent postés devant sa porte afin de parer ses évasions nocturnes. Elle s'est rétablit peu à peu et le médecin lui a donné le droit de se lever. Elle noie son ennui en s'évadant par l'esprit, elle regarde l'horizon et se demande sur quel continent elle a accosté depuis son enlèvement, les brumes envahissent sa réalité, celle de sa terre natale pour la conduire sur un monde qui lui est complètement inconnu.
La porte s'ouvre, la femme de chambre aux formes généreuses sculptées dans la gourmandise entre dans la pièce, chargée d'un paquet de vêtements qu'elle dépose sur le lit. Rose détaille Auklèce avec un visage serein qui l'apaise toujours.
- Le Sir Ladislas veut que vous enfiliez ceci, quand cela sera fait vous irez le voir, Jean vous attend dans le couloir, il vous escortera.
- Le Sir...je vais enfin rencontrer celui à qui je dois d'être dans cette forteresse.
- Vos questions trouveront certainement des réponses Dame Auklèce, Habillez vous.
Elle repart de la chambre en la laissant seule avec sa surprise, elle est prise d'une excitation qui se transforme en inquiétude puis en résignation. Elle veut savoir ! Les vêtements n'ont rien d'esthétique un pantalon ample et une chemise toute aussi large, le tissu est rêche et démange sa peau. Un dernier lacet de cuir lui permet de nouer sa chevelure. La voici prête pour un entretien qui prend des allures bien étranges semblant contraire aux dires de Louise et Rose à propos du Sir. Jean le majordome est là, il ne lui dit mot et se contente de le mener là où se trouve le sieur Ladislas. Elle ne pensait pas être dans une si grande superficie, elle arrive à se demander si elle pourrait retrouver sa chambre seule tant les couloirs et les salles se succèdent en tournants et en étages. Ils sont arrivés dans un espace exiguë et rond qui n'a pas de palier intermédiaire entre la porte en bois et les escaliers qu'elle vient de monter. Jean frappe à la porte et l'annonce avant de se retirer.
- Bienvenue Auklèce, entrez.
La pièce est sombre et la tempête continue de souffler tant qu'elle peut évacuer sa fureur qui agite ses vents et ses eaux. Quelques chandeliers parent à ce manque de luminosité de ce jour par un faible éclat qui frémit sous les courants d'airs malicieux. Il est debout, devant une porte-fenêtre qui donne sur une grande terrasse dallée de pierre, il contemple l'océan et ne se retourne pas pour la regarder. Auklèce reste silencieuse, à vrai dire elle ne sait pas quoi dire, tout se bouscule dans sa tête, tant de questions pour si peu de réponses. Alors elle détaille et remarque son port altier et son physique athlétique, ses cheveux blonds qui contrastent avec le bleu nuit de sa veste, les bagues précieuses qui ornent ses mains entretenues qu'il a réuni derrière son dos. Sa voix profonde l'interpelle de nouveau :
-Nous sommes à la 26eme lune de l'Hivernium, ce jour va être marqué d'une pierre blanche pour vous Auklèce. Je vous ai attendu, j'ai attendu que vous soyez prête.
Il se retourne enfin pour l'observer, ses yeux bleus la submergent dans un lac glacé, des frissons hérissent sa peau sans qu'elle sache pourquoi. Elle le trouve beau, Rose et Louise ne lui avait pas menti. Puis peu à peu, elle se rappelle, son instinct a réagis avant sa mémoire, c'est cet homme qui lui a enroulé cette drôle de chaîne autour du cou alors qu'elle allait tué le Boucher son tortionnaire, quand elle était...ce monstre.
Un noeud se loge dans son estomac et pousse sa voix à l'extérieur de son corps qui se crispe.
-Qui êtes vous ?! Que me voulez vous ?
Le Sir sourit, son visage s'illumine, il est serein et son calme se diffuse dans la pièce et touche Auklèce en plein coeur :
-Je suis le Sir Ladislas, vous le savez et je vous veux du bien. Mais pour cela, il faut que je vous initie, vous ne vous connaissez pas, le doute ne m'a jamais envahit je savais que c'était vous.
Il sort de sa poche la parure de tête qui lui a valu tant de tourments, la voir de nouveau procure à Auklèce un réel sentiment de révulsion, son corps tremble malgré elle comme pour rejeter lui aussi le souvenir des tortures qu'il a affronté à cause de son bijou. Le sire s'approche d'elle et pose sa main sur son épaule en la serrant doucement mais fermement :
- Ne vous inquiétez pas, venez avec moi.
Sa main chaude attrape la sienne, de l'autre, il ouvre la porte-fenêtre et l'entraîne dehors sur la terrasse qui surplombe le panorama vertigineux. Auklèce remarque dans un abri de pierre l'homme qui avait des ailes et son garde qui le tient toujours par cette corde étrange. Elle déteste ce gardien, elle ne sait pas pourquoi, mais c'est s'inscrit au plus profond d'elle-même. La pluie a vite fait de mouiller ses vêtements, elle ne veut plus subir et pourtant elle se laisse faire, Sa parure est de nouveau sur sa tête.
- Vous ne repartirez pas d'ici sans vous êtes trouvé Auklèce. Ne tentez rien, c'est chose veine.
Le Sir Ladislas regarde le couple qu'elle a déjà remarqué mais surtout accueille une femme au crâne rasé, les méplats de son visage lui sculptent un masque volontaire. Sa physionomie sèche ne cache pas sa force de caractère et son allure guerrière. Le sourire qu'elle fait à Auklèce est aussi tranchant que la lame de sa dague qu'elle porte à la ceinture.
-Voici Inna, elle sera votre meilleure amie pour le pire Auklèce. Ne me décevez pas.
- QUE ME VOULEZ VOUS ?
Ce cri est sorti du fond de ses entrailles, la révolte gronde en elle, et monte en intensité quand elle voit ce Sir qui ne répond pas en retournant dans la tourelle sans un autre signe d'attention.
Sa joue chauffe rapidement et un filet de sang prend naissance au coin de ses lèvres, Auklèce reste sous le choc :
- Ne vous adressez jamais ainsi au sire ! Ne pensez même pas à vous battre gente dame...
Ce dernier mot avait une tonalité moqueuse dans cette voix est aussi sèche que le désert, cette Inna n'a pas de sentiment, Auklèce le ressent. Elle regarde le couple dans le renfoncement en pierre, ils n'ont pas bougé, mais l'homme ailé a baissé les yeux et fuit le regard interrogateur d'Auklèce tandis que son gardien soutient son regard avec un amusement palpable. La femme reprend sur un ton qui ne laisse pas le choix possible.
-Trouvez-vous Auklèce. Fixez-vous Auklèce. Fondez-vous dans cette tempête. Transformez vous, oubliez tout ce que vous pensiez être juste. Soyez vous !
Inna est là, et ne semble pas touché par les intempéries, cette femme est un bloc de glace, elle ne peut êtes plus froide qu'elle-même. Les souffles déchaînés emportent avec eux les minutes puis bientôt les heures, Auklèce est debout au milieu de cette terrasse tremblante de froid, sa parure de tête se balance entre ses sourcils, elle voit de nouveau ce navire qui se bat contre la mer déchaînée, elle fixe son esprit dessus, et revoit cette proue puis cet équipage qui fait face. Le jour est partit et la nuit a jeté son encre dans l'océan aussi noir que la colère d'Auklèce.
Un hurlement transperce ceux du vent. Le sir Ladislas sourit.
Xüne Syphonn | 23/12/07 19:04
Toujours aussi prenant. J'aime toujours autant. J'attends la suite avec impatience.
Noir-feu | 24/12/07 14:20
Excellent! Continuez!
Hérios Naïlo | 24/12/07 23:06
Impossible d'en décrocher. Magnifiquement bien écrit.
Vivement la suite
Dame Auklèce | 02/01/08 18:44
Tout se déchaîne cette nuit, l'océan se soulève et fracasse ses vagues en grondant, le vent tourbillonne et infiltre ses plaintes dans les habitations où s'abritent les fragiles humains, la pluie tente de noyer cette colère par les eaux qu'elle déverse inlassablement. Auklèce est en union avec cette fureur qui la submerge et l'écrase sous la nouvelle force qu'elle ressent. Agenouillée, les mains contre le sol, son regard fixe la pierre trempée de la terrasse. Elle a encaissé les coups d'Inna qui tourne autour d'elle comme un fauve prêt à sauter sur sa jeune proie. Le couple étrange s'est rapproché et l'encadre, l'Homme ailé, la fixe, ses longues ailes ruissellent sous la pluie, l'étrange chaîne qui encerclait son cou est déliée et zigzague sur le sol comme si elle était dotée d'une vie, elle semble attendre de serrer une autre gorge. Auklèce sent que c'est la sienne qui peut être visée à tout moment.
-Lève-toi !
Cet ordre claque comme un coup de fouet. Inna a cessé de la vouvoyer, l'ultime marque de respect a disparu sans vraiment qu'elle s'en rende compte, petit à petit, cette femme de glace aux muscles saillants à imposer son pouvoir sur Auklèce. Elle la dévisage avec fureur et retrousse ses lèvres pour lui dévoiler ses deux canines proéminentes. Des instincts meurtriers inondent son esprit. Il serait tellement plus simple de tuer cette femme, puis le mentor de la créature au regard si sombre et si étrange. Tout le monde la laisserait en paix, elle pourrait enfin vivre sa vie sans entrave. On a volé la sienne, pourquoi ne volerait-elle pas celle des autres ?
Ce raisonnement s'impose à elle, tout son corps se tend vers cet objectif, elle se lève doucement et suit la ronde qu'Inna trace autour d'elle. L'air narquois qu'elle lit sur les traits de cette femme guerrière nourrit sa colère, elle veut transformer cette expression en peur. Mais quelque chose la retient, et cette chose ondule sur le sol dans avec des scintillements argentés, la chaîne noire la menace et le mentor qui la maintient la défie avec assurance et sans peur, sûr de son pouvoir et de sa force.
La Bête grogne en elle, elle la laisse s'exprimer par quelques bruits sourds sortant de sa gorge qui a soif de leur sang. Dans une impulsion, elle se jette sur sa proie qui contre toute attente s'écarte et lui inflige un violent coup de botte dans le ventre. Auklèce ne gémit pas et charge de nouveau Inna mais sa souplesse et son agilité la transforme en véritable anguille insaisissable. Son rire se mélange au vent, la moquerie fait partit d'elle, et le mépris est palpable pour ceux qui ne sont pas à sa hauteur.
-Tu n'es qu'une vulgaire chienne Auklèce ! Tu grognes comme un cabot ! Tu as fait faim mais tu ne sais pas chasser ! Le Sire a vu trop grand en toi, tu ne sais rien faire d'autre.
Le Sire ! Auklèce tourne la tête vers la tourelle, la silhouette sombre de cet homme se découpe à travers la lumière du feu qui réchauffe la pièce dans laquelle il se trouve. Sans réfléchir, elle court vers cet homme qui est la cause de tout ceci. Quand la distance est assez faible pour qu'elle puisse voir le visage calme du Sire Ladislas qui l'observe sans surprise, elle sent une douleur horrible qui lui brûle le cou. Elle tombe violemment à la renverse et hurle de douleur en tentant d'arracher la chaîne qui a enfin pu s'enrouler autour de la gorge convoitée. Elle se tortille sur le sol et dans son combat contre cette chose Inna la surplombe dans toute sa gloire :
-On ne touche jamais au Sire! Tu vas apprendre à contrôler ce que tu es, sinon cette chose sera ton bijou pour bien des jours et des soirées.
Auklèce parvient à demander sa clémence dans un râle, Inna fait un signe au mentor qui réagit à regret. La chose lâche prise et ondule de nouveau sur le sol détrempé. Elle porte sa main contre sa gorge qui est intacte et sans douleur, une vague de fureur lui fait perdre encore le contrôle et sans réfléchir, elle choisit une cible pour exprimer l'excès de violence qui bouillonne en elle. L'homme ailé l'accueille avec surprise qui désarme son mentor et Inna qui prend tout de suite plaisir à la situation. D'un geste, elle interrompt la trajectoire de la chaîne qui trace de nouveau son sillage vers Auklèce. Le mentor ne semble pas apprécier et jure dans sa barbe tandis qu'Auklèce et sa victime percutent violemment le sol, son poing qui se lève est bloqué par une poigne de fer, Auklèce hurle de rage quand elle se sent de nouveau contrariée dans son objectif, elle croise alors un regard rempli d'une énorme tristesse qui la touche au plus profond de son âme. Elle se sent si proche de cette créature à la silhouette humaine, le désespoir qu'elle lit dans ce regard la submerge et la secoue dans une crise de larmes. Elle se sent si vide, si étrangère à elle-même, toutes ses questions semblent avoir trouvé le puits de connaissance chez l'homme ailé. Il fuie le regard interrogateur de cette femme assise en califorchon sur lui. Elle relâche sa pression et s'écroule sur le torse de sa victime en étant secoué par sa tempête intérieure qui l'inonde de peine. Sa Bête s'y noie, elle redevient l'humaine qu'elle a toujours été sans savoir pourquoi et comment elle abandonne sa forme de vampire.
Avant qu'Inna ne la dégage avec brusquerie, elle entend la voix de la créature qui lui souffle pour la première fois « je suis Eliel, soit plus intelligente qu'eux ». Elle n'a pas le temps de faire quoique ce soit que la chaîne a déjà repris son territoire autour du cou d'Eliel qui se résigne à sa condition tandis qu'Auklèce se retrouve de nouveau agenouillé sur le sol, elle est prise par de violentes nausées qui la font dégurgiter. Elle a l'impression d'avoir les os gonflés de cette pluie qui ne cesse de tomber, elle se sent si vulnérable. Dans son malaise, elle attrape quelques brides portées par le vent, de l'échange houleux de la femme et du mentor
- Ils ne doivent pas rentrer en contact, Inna ! As-tu oublié les règles ?!
- Je sais ce que je fais, elle est mon élève pas la tienne ! Ton tour viendra !
- Le Sire Ladislas ne te le pardonnera pas ! Ce n'est pas parce que tu es une Ajah que tu as tous les droits !
Elle le foudroie du regard mais ne répond pas, elle le laisse reprendre son territoire auprès de sa créature ailée, et s'adresse à Auklèce d'une voix doucereuse pour tenter de la calmer:
-c'est finit pour cette nuit, tu as assez appris. Nous nous reverrons demain et tous les jours jusqu'à ce que tu te connaisses et te maîtrises. Nous avons de grands projets pour toi mais seras-tu à la hauteur ?
Sans savoir pourquoi, Auklèce secoue la tête pour répondre par l'affirmative et se relève pour la suivre. Le Sire n'est plus là, mais elle parvient à déchiffrer l'ombre de l'appréhension qui naît sur le visage de la guerrière quand elle l'a remet à Jean le Majordome. Il est toujours aussi silencieux lorsqu'il emprunte les différents chemins qui la reconduisent à sa chambre, après quelques minutes elle l'interpelle:
-Qu'est-ce que le 26 eme jour de l'hivernium ?
Le Majordome hausse les épaules :
-Vous avez de ces questions ! C'est un jour de notre calendrier ?! Et le premier jour de votre initiation.
Elle se mort les lèvres par la stupidité de son interrogation, même si elle ne connaît pas le fonctionnement de ce compte des jours, elle se rend compte qu'elle n'apprendra rien d'autre :
-Qu'est-ce qu'une Ajah ?
Jean se racle la gorge puis répond avec un flegme qui la désarme :
-Je ne suis pas apte à répondre Dame Auklèce, nous voici rendu. Avez-vous besoin d'autres choses ?
Les gardes postés devant sa chambre la regardent avec indifférence, rien n'a l'air de surprendre qui que ce soit dans cette demeure. Elle secoue la tête en signe de négation et ouvre sa porte.
La chaleur l'accueille tout de suite et la lueur orangée du feu donne des expressions changeantes aux personnages qui ornent les tapisseries. Elle quitte ses vêtements qui dégouttent de pluie et se colle au foyer pour se réchauffer, les flammes réussissent peu à peu à avoir raison de ses tremblements mais pas de ses réflexions qui la hantent. Dans sa nudité Auklèce voit toutes les cicatrices qui parcourent son corps, elle passe ses doigts dessus comme sur les lignes d'un livre que l'on cherche à comprendre et étudier de près, les souvenirs douloureux la submergent à chaque marque qu'elle touche. Pourquoi a-t-elle supporté ces tortures ? Pourquoi est-elle ici ? Tout semble si obscur sur ces terres, si étrange, la réalité lui échappe. Le feu crépite seulement en guise de réponse puis l'envahit d'une torpeur qui l'entraîne vers le sommeil. Sans s'en rendre compte, elle a repris la position qu'elle prenait dans son cachot, recroquevillé en foetus, elle s'est laissée hypnotiser par la danse des flammes qui apaise son esprit. Dans ses rêves, une voix résonne :
« je suis Eliel, soit plus intelligente qu'eux ».
