Forum - Paix et furie

Index des forums > Rôle Play > Paix et furie

Carlyle | 20/08/07 17:13

L'attaque avait débuté dans un silence profond, au plus clair du jour, alors que toute la population de Tivérial était tranquillement occupée à des choses et d'autres, comme toute ville paisible sous le soleil et la lune, qui n'attend rien du monde. Et pas surtout que le ciel se déchire sans bruit, et que tombe de la faille ainsi ouverte dans la voûte céleste des hordes infernales.

Les démons avaient commencé à envahir la ville dans la surprise générale. Et ainsi, personne n'avait rien pu faire au début, et ils ne rencontrèrent aucune résistance alors qu'ils transperçaient de leurs lames acérées les corps des femmes, des enfants, des vieillards, et, quand ils en rencontraient, des hommes, aussi. L'amoncellement de cadavre augmentait partout dans les rues, et les jupons étaient souillés d'un sang qui n'était pas toujours maternel. A la stupéfaction qui avait prédominé quand le premier diable avait pris pied devant une poissonnière et, sans que personne ne sourcille ou ne comprenne pourquoi, l'avait quiètement égorgé, avait désormais succédé une clameur d'agonie, un charivari de cris de douleurs, d'horreurs et de peurs, qui tranchait affreusement avec l'agitation sereine de la petite ville tranquille. Pendant dix petites minutes, les démons eurent un ascendant considérable sur la destinée des gens du lieu. A la manière d'innombrables moires, ils coupaient sans réfléchir les fils des destins, aussi à l'aise dans leur immonde boucherie que pouvait l'être un artisan habitué à découper un veau en trois coups précis. Ainsi fendaient-ils la ville, mortellement efficace, sans joie. Cela aurait peut-être dû mettre la puce à l'oreille de certains.

Et puis, finalement, les hommes de la garnison reprirent pieds. Les hommes de la ville aussi. Et le combat s'engagea véritablement, à partir de la place forte d'où le paladin de la Confrérie Blanche hurlait des ordres, et abattait de sa large hache de guerre plus que son content de gargouilles vivantes. Les combattants de la cité se réunirent bientôt, et la tradition martiale de la ville reprit ses droits. Les femmes saisirent les boucliers qui pendaient aux murs des maisons pour protéger leurs enfants qui avisaient les envahisseurs avec efficacité de leurs arcs graciles. Les hommes s'emparèrent de toute arme à portée, et montrèrent combien ils étaient habiles dans leur maniement. Combien ne gagnèrent pas leur place dans les légendes dans ce combat de rue, pied à pied, entre les murs des maisons beaucoup trop rapprochés. Près de la place forte, le paladin avait réuni une troupe d'hommes vaillants autour de lui, et en réponse à la manoeuvre des démons, il parcourait à toutes jambes les avenues de la ville, chassant, pourchassant les diables avec une fureur létale à quiconque le croisait.

Le destin de la bataille avait changé, et il semblait qu'il n'était pas temps pour Tivérial de tomber, pas encore. Les soldats tuaient, massacraient, détruisaient, annihilaient leur adversaire sans rémission ni répit. Il était désormais clair que l'assaut était un échec cuisant pour l'armée démoniaque. Ce n'était plus le sang des hommes qui tâchait les pavés des rues, mais bien celui, brûlant, des hordes infernales qui s'étaient déversées trop joyeusement sur la ville.

Finalement, plus un ne tint. Passé le premier instant de stupeur, passé le premier moment où tout le monde s'aperçut que le combat avait cessé faute de combattants, passé le silence qui s'imposa comme une chape de plomb, les cris de joie résonnèrent enfin, chacun heureux d'avoir survécu, tous laissant éclater leur fureur de vivre, se permettaient de perdre pied, se permettaient de prendre congé de la réalité des morts, des cadavres plus ou moins humains qui les entouraient, d'abandonner les considérations oiseuses sur la perte d'un être cher, et célébraient le simple et merveilleux fait d'être en vie, et d'être là pour le dire. Même les vétérans, rassasiés de furie, s'accoudaient à leurs épées ou à leurs boucliers, et regardaient leurs compagnons, vivants, comme eux, et en eux trouvaient l'assurance d'être vivant. L'agitation n'était plus, de même que le tohu-bohu, et à la place s'établissait un calme tumultueux de rumeurs sourdes et opaques. Le paladin, lourdement appuyé sur le manche de sa hache, considérait ce tableau non sans sourire. La ville était sauvée. Tout allait bien. Et ce, pour partie, grâce à lui et à sa promptitude. Il s'agenouilla pour prier de bonheur un moment, et tourna son regard vers le ciel.

Qui s'ouvrit, à nouveau.
La terre gronda, et s'ouvrit, elle aussi.
Les maisons, choquées par ce tremblement de terre, se lézardèrent, avant de s'effondrer, et des grands cris s'élevèrent à nouveau.
Puis le silence.
Tous étaient bouche bée devant ce qui montait des crevasses incroyables ouvertes dans le sol. Des chiens, tout d'abord, lancé à vive allure depuis les profondeurs de l'enfer, aux gueules béantes, puantes de relents nauséeux, des morceaux de cadavres encore fichés entre des crocs dégoulinant de bave corrosive qui attaquait le sol, aux griffes acérées capable de les faire courir à la verticale et de déchirer un ours d'un seul et unique coup. Ils n'étaient pas nombreux, seulement une petite dizaine, mais quand ils bondirent sur les gens assemblés, ceux-ci auraient pu jurer que c'étaient les hordes et les légions complètes de l'enfer qui les mettaient au supplice.
Mais la bouche de l'enfer n'avait pas cessé de vomir ses immondes crachats, et s'élevèrent, avec une lenteur désespérante d'assurance, des démons bien plus grands que ceux qui gisaient sur le sol, et surtout, infiniment plus nombreux. Comme si, ayant pris acte de la résistance de la ville, un général quelconque avait décidé qu'elle devait tomber, sans attendre. Armés d'instruments étranges, tranchants comme des rasoirs, ils commencèrent à semer mort et désespoir dans les rues.
Si seulement l'assaut s'en était tenu là, Tivérial aurait peut-être, au prix de lourdes pertes, tenir bon. Mais du ciel venait un péril bien plus grand.
Le soleil était obscurci par les cohortes qui tombaient en pluie battante. Des anges aux ailes noires et aux faciès déformés affreusement, comme si de l'acide avait dégoutté dessus pendant de longs, trop longs instants. La peau grêlée de multiples et pernicieux cratères, le visage dépourvu de lèvres laissait voir des dents barbelées, capables de déchirer sans faire vraiment attention des morceaux de bois ou de métal solide. Ils tenaient des épées torturées dans chacune de leur main, et ceux non équipés lançaient des sortilèges qui abattaient les murs de pierres de taille comme des simples feuilles de parchemin.
Le paladin se redressa, les mains fermes sur le bois de sa hache, et commençait son jeu mortel pour la survie, quand une ombre démentielle s'abattit sur lui, tandis qu'une patte monstrueuse l'envoyait bouler, armure de plate comprise, contre un mur, lourdement, une dizaine de mètres plus loin. Il se releva en se signant et expira lentement. Devant lui, triomphant, le prince démon rutilait de puissance.
Surplombé, dépassé complètement, Hector leva des yeux déterminés vers la masse incroyable du démon, et rugit de fureur en bondissant vers lui. Plus petit, il était plus agile dès lors, et profita de tous ses avantages. Les attaques pataudes du démon le rataient à chaque fois, et lui réussissait souvent à asséner de puissants coups de sa hache d'arme vers ce qu'il pensait être des points vitaux de son adversaire. Il jouait un jeu dangereux, la moindre touche de l'autre signifiant une blessure déterminante, tandis que lui ne faisait que l'égratigner, sans causer de dommages irréparables. Il tenta bientôt le tout pour le tout, et se jeta à corps perdu tout droit sur le démon, évitant sa main gauche, sa main droite, prenant assez d'élan pour effectuer un bond prodigieux compte tenu du poids de son armure, et planta le fer de sa hache dans le ventre du démon, déchirant la peau vers le bas en se laissant glisser au sol ensuite.
Immédiatement, il recula, pour éviter un dernier assaut de la part de son adversaire, et de se prendre un mauvais coup. Il suffisait d'attendre que la blessure fasse son effet pour donner l'estocade. Il reprit son souffle, surveillant toujours le démon, se permettant un léger sourire quand la masse prodigieuse tomba au sol au bout de quelques instants. Le temps suspendit son court. Le paladin se rapprocha précautionneusement, mesurant son pas. Il prit son temps, calcula l'étendue des possibilités, l'allonge du démon, et se plaça dans la trajectoire où l'autre ne pouvait l'atteindre. Il faisait confiance à ses réflexes, développés pendant de longues heures de travail, pour, quoiqu'il en soit, éviter une quelconque attaque de la part de l'agonisante créature.
Aussi fut-il estomaqué quand la main du prince démon s'enfonça dans son côté, ne perforant pas l'armure, mais la faisant pénétrer dans ses chairs jusqu'à sa colonne vertébrale. Il s'effondra à genoux, l'autre se relevant comme une fleur, sa blessure déjà refermée. Le paladin pleurait de rage avant de mourir, écraser par le pied gauche du prince démon qui allait vers d'autres carnages.

Les estafettes dépêchées par Garrigan pour prévenir la ville de l'assaut arrivèrent évidemment bien trop tard. Et puis, qu'auraient-elles pu faire, sinon grossir les tas de cadavres qu'elles découvrirent ? D'abord, elles ne devinèrent rien du carnage. Les portes étaient soigneusement fermées, et les cris des oiseaux masquaient l'absence d'agitation de la ville. Les hommes démontèrent juste devant les murailles de la cité, ne prêtant guère attention aux lézardes toutes récentes qui les déchiraient par endroit. Ils frappèrent aux portes, et attendirent patiemment une réponse qui ne vint pas. Alertés, ils décidèrent d'enfoncer les battants et rentrèrent enfin dans la ville.

Du moins ce qu'il en restait. Les murs étaient défoncés et détruits un peu partout, les éboulis couvraient les rues de leur allure funeste, et les cadavres s'étalaient un peu partout en un spectacle macabre. L'odeur était infecte, et l'état des corps insoutenable. A cause de la chaleur de l'endroit, ils avaient pourri bien plus tôt qu'une température normale l'aurait permise, et plus un n'était intègre, à défaut d'être intact. Les paladins contemplèrent cette vue un moment, les jambes coupées et la volonté défaite, avant d'explorer minutieusement les rues, pour trouver d'hypothétiques survivants, fouillant chaque maison, retournant chaque pan de mur effondré, l'infime espoir de découvrir quelqu'un de vivant s'amenuisant lentement. Le constat était douloureux : sur tous les habitants qui peuplaient la petite cité, pas un n'avait survécu. Ils décoraient de bien étrange manière les avenues de la ville, comblant parfois de leurs entrailles répandues les joints entre les pavés mal équarris.

Le poids du destin s'abattit sur les épaules des quatre estafettes. Carlyle, ils en étaient certains, suite aux documents reçu par le Haut Connétable, avait tenu sa promesse, et la ville était tombée. Encore une fois, il avait fait preuve de son effroyable malignité, et sans remord aucun. Ils se regardèrent d'un air las en enlevant leur casque, contemplant le cadavre d'une petite fille nue empalée sur la place principale, un sourire rouge dément barrant son visage angélique. Il n'était pas question que la scène reste ainsi. Ils avaient droit à un enterrement dans les rites, à des sépultures décentes. Les paladins enlevèrent leurs armures, et se mirent au travail, les mâchoires serrées, les poings joints la plupart du temps, l'esprit enragé d'autant de barbarie. Carlyle le paierait. La Confrérie en prendrait bien soin.

Quatre jours entiers ils restèrent à dresser les bûchers funéraires, qui en mirent deux à se consumer complètement. Six jours pleins de deuil et de chagrin, même s'ils ne connaissaient nulle des personnes qu'ils guidèrent jusqu'au dernier repos. Mais ainsi en allait-il de la voie du paladin : servir la foi, servir les hommes. Ils ne s'interrompirent guère que pour dormir et manger, pressés d'en finir avec leur lugubre besogne, et de quitter ce cadre funeste. Ils étaient taillés pour la bataille, pour le sang et l'écume, comme tous, pas pour pleurer des morts qui seraient, de toute façon, oubliés bientôt. Aussi ne réprimèrent-ils pas un soupire de soulagement en quittant Tivérial.

Edité par Celimbrimbor le 20/08/07 à 18:16

Carlyle | 20/08/07 17:14


A Férial, l'activité commerçante était prospère, et les rues jamais vides. Il fallait vendre, acheter, revendre, et ainsi de suite, pour que l'argent rentre, pour que la ville tourne, pour vivre, pour survivre. Evidemment, avec en une pareille ruche d'incessants mouvements, la vie n'était pas forcément facile. Ainsi, n'avoir pas de moyen d'être rentable, c'était signer sa fin, c'était tomber dans la rue, et finir par y mourir. A moins d'être suffisamment malin, ou suffisamment fort, pour devenir incontournable, et s'en sortir, dans l'économie parallèle, du moins.

Les habitants, pareils à d'industrieuses abeilles, n'étaient jamais, ou peu, oisif. Ils dormaient, pour recommencer à travailler le lendemain, et ainsi de suite, jour après jour, dans le lent et monotone écoulement du temps.

Le bruit était toujours omniprésent dans cette cathédrale des échanges, dans cette métropole impressionnante. Celui des oiseaux chantant dans les parcs. Celui des commerçants, appelant les chalands. Celui des enfants, jouant dans des rues pas toujours trop propres. Celui des animaux divers et variés courant un peu partout.

Ce bruit se répandait même jusque dans la campagne environnante, et avait couru jusqu'aux oreilles de tous les habitants du continent. Pas un n'ignorait que la ville se faisait une fierté d'être celle qui ne dormait jamais.

Aussi, quand les paladins envoyés par Garrigan, une escadre complète partie à marche forcée de Dane, arrivèrent dans les environs immédiats de la ville, ils furent surpris non seulement de ne voir pas le trafic de caravanes normal pour une telle cité, mais aussi de ne pas entendre le son caractéristique de cette dernière. Quelque chose, cela était évident, n'allait pas. Ils pressèrent encore le pas, le capitaine poussant son cheval. Il disparut dans la ville. Le temps que l'escadre arrive aux portes, il en était ressorti, l'air atterré.

Les hommes pénétrèrent dans la ville à pas mesurés. Leurs lourdes armures claquaient bruyamment dans le silence irréel. Pas un des murmures qu'ils échangeaient entre eux ne résonnait pas contre les murs intacts, dans le vide de la ville. L'air gêné, ils entrèrent dans des maisons désertées où les couverts étaient abandonnés dans des plats à moitié entamés. Un des hommes de l'escadre fit même une remarque sur un morceau de pain utilisé pour saucer où l'on devinait des marques de dents. Cela lui attira un regard sévère de la part du capitaine, et il préféra filer doux.

Le capitaine ordonna à tout le monde d'aller explorer un peu partout, et donna rendez-vous aux équipes sur la place principale.

Il grillait sa dixième cigarette quand les premiers hommes revinrent. Il ne leva même pas les yeux, et les laissa s'asseoir sur le bord de la fontaine, sans rien dire. Peu à peu, la place se remplit. Le silence était complet, et même les armures semblaient avoir compris que grincer n'était pas chose à faire pour le moment. Il éteignit sur son brassard la dernière cigarette de son paquet. Il l'avait fumée sans même sans apercevoir, sa provision complète pour le voyage. Il se redressa péniblement, sans rompre la chape opaque de solennité. Personne n'avait encore rien dit, mais tout avait été exprimé. Il remit son heaume, et marcha sur la longue avenue qui menait jusqu'à la sortie de la ville. Les hommes de l'escadre le suivirent lentement, comme dans un rêve.

Ils abandonnèrent la cité sans en fermer les portes, laissant derrière eux, en lettre rouge majuscule sur un mur près de la grande place, s'étaler le nom de Carlyle.

Edité par Celimbrimbor le 20/08/07 à 18:16

Carlyle | 20/08/07 17:16

1) Monologue oublié : [Lien HTTP]

2) Fragments epars : [Lien HTTP]

3) Séance inamicale : [Lien HTTP]

4) Eva : [Lien HTTP]

5) Vol de nuit : [Lien HTTP]

6) Les Minutes de la Confrérie Blanche : [Lien HTTP]

7) Orchestral manoeuvre in the dark : [Lien HTTP]

8 ) Echange et mots couverts : [Lien HTTP]

9) Le Chant des anges : [Lien HTTP]

10) Les terres perdues : [Lien HTTP]

11) Temps clair : [Lien HTTP]

12) Ouverture, mouvement final : [Lien HTTP]

La suite à venir.
En vous souhaitant d'agréables lectures.

Edité par Carlyle le 20/08/07 à 17:17

Zoltahn Kodaly | 20/08/07 21:06

Ejer Kâ entra dans le cabinet de la tour Hurlevente et s'installa dans un fauteuil à droite de Zoltahn.
-Qu'est-ce qui t'amène, mon fils ?
-Des évènements... la marque d'Elandel.
Il sortit une liasse de parchemins griffonnés que Zoltahn déplia et parcourut en fronçant les sourcils.
-Un tel déploiement signifie qu'Elandel est bien sorti de sa torpeur. Mais pourquoi autant d'effets de manche ?
Ejer Kâ eut un sourire en coin et hasarda une hypothèse :
-Peut-être que ce ne sont pas des effets de manche... peut-être que les ennemis d'Elandel sont suffisamment dangereux pour nécessiter un tel déploiement de force...
Zoltahn parut songeur. Il se leva et fit les cents pas devant le haut vitrail dégoulinant de pluie qui faisait face à la mer.
-Je dois rencontrer ce Carlyle... envoie ta soeur. Envoie-lui Palys. Qu'elle le trouve et m'arrange une entrevue, si elle le peut.
-Elle est encore dans le nord sur les traces du mage Wormius, dois-je la rappeler ?
-Oui. Io saura rattraper Wormius sans son aide, elle me sera beaucoup plus précieuse auprès de Carlyle...

Edité par Zoltahn Kodaly le 22/08/07 à 02:16

Duc De L'uto | 21/08/07 00:27

[hrp : J'aime.]

Black Mamba | 21/08/07 17:47

Toujours aussi bien et j'en redemande encore et encore !!

Flohanielle | 21/08/07 19:24

On dit que la gourmandise est mauvais pour la santé... mais moi je n'y vois que des bonnes choses !! Encore

Index des forums > Rôle Play