Forum - [La quête des légendes, Special Reissue Edition] 1/21: Prologue

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Celimbrimbor | 07/04/19 12:20

Il était une fois une route.
Un chemin, plutôt.
De la terre battue, poussière blanchâtre qui voletait dans l'air sans vraiment se reposer au sol. Des tourbillons légers, presque invisibles, déplaçaient un peu de cette poudre de cailloux d'un bord à l'autre, au gré du vent qui passait, seul voyageur régulier sur ce parcours plus ou moins oublié.
Le chemin n'était pas large. Pas assez pour que deux charrettes s'y croisassent de front par exemple. Fort heureusement, il avait pour bordure des bandes de mauvaises herbes au milieu desquelles poussaient parfois quelques fraises sauvages, un peu de menthe et de réglisse. Séparant ces herbes des champs, deux fossés où croupissaient des eaux dormantes donnaient à la scène son caractère olfactif si particulier, capable de faire ressurgir mille souvenirs dans l'esprit un peu ouvert. De loin en loin, quelques frênes et saules égayaient les mornes étendues de jachères éternelles.
Le chemin était long. Il s'étendait entre les deux horizons et au-delà encore, si bien que jamais personne n'en pouvait apercevoir la fin ou le début. Souvent, les rares passants qui se retrouvaient dessus ignoraient pourquoi et cherchaient surtout à le quitter. Parfois ils marchaient un peu mais abonnaient bien vite. La chaleur qui cuisait le chemin ou, d'autre fois, les froids obscurs qui y régnaient, décourageaient tout le monde d'y jamais demeurer.

Il était une fois où, sans trop savoir comment, Celimbrimbor s'était retrouvé sur ce chemin. N'étant pas de nature très patiente, il avait marché une petite centaine de mètres, tempêté puis s'était transporté chez lui d'un sort agacé.
Quelques temps plus tard il s'était vu de nouveau sur ce chemin, au détour d'un sentier dans les bois, au point exact où il avait disparu l'autre fois. Irrité, l'elfe n'avait pas bougé d'un pouce. Il avait appelé à droite et à gauche, trépigné un peu, puis était de nouveau parti.
Quand il avait remis les pieds sur ce chemin une troisième fois, le mage avait compris. Il avait secoué la tête de dépit et s'était mis à marcher avec patience, pour une fois.
Quelqu'un semblait le vouloir ici, autant aller.

Il était une fois une petite fille, toute jeune blonde, assise au bord du chemin, et qui pleurait. Des larmes amères coulaient le long de son délicat visage et laissaient, dans la poussière qui collait à ses joues, des traces sales. Ses tresses se défaisaient peu à peu avec chacun de ses sanglots et venaient battre son dos. C'est dans cet état que Celimbrimbor, après avoir marché infiniment, vint à la croiser. Elle leva ses yeux verts dans sa direction et il ouvrit la bouche :
« T'es qui toi d'abord !
─ Comment ?
─ Va-t-en, t'es pas beau et tu sens pas bon !
─ Mais...
─ Va-t-en ! »
La petite fille se redressa sur ses jambes et, toujours pleurant, se mit à marteler le torse du mage avec violence. Il disparut aussitôt.
Elle se rassit.

Du temps passa.

Celimbrimbor pesta quand, au détour d'une ruelle, il se retrouva de nouveau sur la route. La petite fille pleurait encore.
« Pourquoi t'es revenu, t'es méchant ! Et t'es toujours pas beau !
─ Pourquoi pleures-tu ?
─ Va-t-en.
─ Réponds.
─ Va-t-en ! »
Celimbrimbor attrapa les poignets de la petite fille quand ses poings rageurs vinrent s'abattre sur son torse et il la souleva à bout de bras à hauteur d'yeux.
« Pourquoi pleures-tu ? »
Elle lui décocha un coup de pied dans l'entrejambe qui le fit disparaître. La petite fille roula dans la poussière et se rassit à sa place.

Du temps passa.

« Encore toi ?
─ Vas-tu encore me frapper ?
─ Tu reviens toujours.
─ Je sais et cela n'agace pas que toi. Pourquoi pleures-tu ?
─ T'es toujours moche.
─ Tu te crois jolie ?
─ Mon village a été rasé par une bande d'orcs.
─ Ces choses arrivent.
─ C'est pas juste !
─ La vie n'est pas juste.
─ Tais-toi ! Tu sais rien, toi ! »
Le poing serré de la petite fille n'atteignit pas l'entrejambe du mage : il avait déjà disparu.

Du temps passa.

« Tu sais, je vais finir par te frapper moi aussi.
─ On frappe pas les filles !
─ Ah ?
─ Oui. C'est mon papa qui le dit.
─ Oh. Il a dû oublier de m'en parler.
─ T'es pas drôle. Pourquoi t'es là ?
─ J'aimerais bien le savoir. Et toi ? »
La réponse devait être évidente. La petite fille se remit à pleurer et, lassé, il disparut.

Du temps passa.

« Tu comprends rien, toi.
─ On me le dit souvent, oui.
─ Et t'es moche en plus.
─ Oh, arrête un peu avec cela, veux-tu ? C'est lassant à force.
─ T'as qu'à plus venir.
─ J'aimerais bien mais quelque chose ne veut pas. Et toi, alors ? Que fais-tu ici ?
─ Je sais pas. J'ai couru tout droit. Après que... Après que...
─ Allons, allons... Tout va bien maintenant.
─ Ils sont morts !
─ Ces choses arrivent.
─ Nan ! »
Il disparut avant même qu'elle ait prononcé le début du mot.

Ses pleurs l'agaçaient. Il ne les aimait pas. La prochaine fois qu'il passerait sur ce chemin, il lui offrirait quelque chose pour la faire taire. Il fallait quelque chose qui lui redonnât confiance dans la vie. Quoi d'autre qu'une fleur ?

Du temps passa.

Le mage passa plusieurs jours et nuits à en faire advenir une, à en ciseler, unique parmi les uniques, s'effondrant parfois épuisé pour dormir. Il y laissa une bonne part de l'énergie qu'il avait accumulé aux cours des siècles précédents, mais s'il voulait continuer sur ce chemin, il fallait que ces pleurs cessassent.

« Tiens, c'est pour toi.
─ C'est quoi ?
─ Une fleur. Tu vas arrêter de pleurer maintenant ?
─ Elle est belle.
─ Merci.
─ Mais elle est triste.
─ Pardon ?
─ Elle est glacée. Elle est pas vivante. C'est triste.
─ Que veux-tu...
─ Elle est comme mon village. Elle est morte.
─ Mais...
─ J'en veux pas de ta fleur ! Elle est morte ! »
La fleur se brisa sur la poussière du chemin.

Celimbrimbor reparut dans son bureau, les éclats de la fleur sur le sol. Elle était morte. Pourtant, il aurait juré...
Il la refit, plus vite cette fois, le processus, déjà réalisé, était plus facile. Pas à pas. S'observant. Et puis il comprit enfin. Aucune étincelle. Il faisait mais ne créait pas. Un sourire rageur apparut sur ses lèvres.

Du temps passa.

« Encore toi ?
─ Je viens te dire à bientôt.
─ Quoi ?
─ Quand je reviendrai, je te donnerai une vraie fleur.
─ Une vraie ? Pas comme l'autre ?
─ Oui. Une vraie fleur.
─ Oh...
─ M'attendras-tu ?
─ Peut-être.
─ À bientôt. »
Le mage disparut.

La petite fille regarda à droite, regarda à gauche.
La route sembla rétrécir et n'être plus qu'un mince carré blanc dans une mer de rien. Le Tout se redressa.
« Enfin. Tu as compris. J'attendrai le temps qu'il faudra. Montre-moi que je n'ai pas eu tort de ne pas me mêler de tes trames. Montre-moi ce que tu vas faire, mon élève. »

Il était une fois une route.
Un chemin, plutôt.

Bientôt, il n'y eut plus rien.

Celimbrimbor | 07/04/19 12:21

Cette édition spéciale est une réédition d'un vieux cycle, que j'ai repris petit à petit. Je posterai systématiquement en second message le lien vers l'original pour que les plus fous d'entre vous s'amusassent à comparer.
Peace,
Celim.

[Lien HTTP]

Kärel | 10/04/19 17:06

Ah, récit agréable (et qui fait du bien à la section Rôle-Play !) :) la suite !

Kärel.
Le plumard soyeux de la fine lame est vainqueur.

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