Forum - [La quête des légendes, Special Reissue Edition 3/21] Les Dragons 2/3 : Se souvenir des belles choses.

Index des forums > Rôle Play > [La quête des légendes, Special Reissue Edition 3/21] Les Dragons 2/3 : Se souvenir des belles choses.

Celimbrimbor | 28/04/19 09:30

Dans la pièce d'à côté, la chèvre pousse un bêlement plaintif. Il va falloir la traire. Ses pis lui font mal. Les miens aussi. Il faut que je sorte du lit, j'y ai trop traîné. Le soleil est levé depuis longtemps. Piotr aussi. Et Jan n'est pas encore rentré. Il ne doit même pas être arrivé à l'assemblée. J'ai mal.
C'est la lumière qui m'a réveillée, tout à l'heure. Elle filtrait à travers les volets mal ajustés. Je dormais bien. Étonnant que je lutte à ce point pour trouver le sommeil et que je dorme si bien. La douleur est arrivée après. Cinq, ou presque, j'ai compté. Un peu moins qu'avant. J'aurais dû en toucher un mot à Jan avant qu'il parte. Il connaît peut-être un remède.
Il faut que je me lève. J'ai mal. Le froid de la pierre sous mes pieds me fouette un peu. Traire la chèvre. Équarrir la bête. Piotr s'occuperait du troupeau. La routine. Encore deux lunaisons.

La forêt.
Les forêts de Séli n'avaient plus grand rapport avec leurs ancêtres. Elles étaient propres, charmantes, semées de sentiers. Les gens venaient s'y perdre sans plus rien craindre de la nature. Ils s'y promenaient, oublieux des paroles confuses qui glissaient des arbres les plus anciens. Les forêts étaient jeunes. Des rejetons qui n'hébergeaient plus les créatures de rêves ou de cauchemars qui y paissaient autrefois. Les royaumes sylvestres avaient disparu. Des forêts étaient mortes.
Des âmes avaient passé.
Les guerres avaient changé le monde. La superstition et le pouvoir des hommes s'étaient chargés du reste. Ils avaient ordonné les choses. Insidieusement, en silence, le monde s'était racorni. Et si un enfant pouvait désormais explorer les forêts sans aucune terreur, il n'y trouvait plus que des bois. L'harmonie des hommes était une chanson qui désenchantait Séli et la rendait plus sûre. Il n'était pas certain qu'ils y aient gagné plus qu'ils n'avaient perdu.
Ils l'ignoraient, voilà tout.
Il existait toujours des failles, néanmoins. Des chemins. Des voies cachées, que seuls quelques uns pouvaient parcourir librement et lui n'en faisait pas partie. Il lui fallait trouver un guide. Quelqu'un pour le mener. En quittant la demeure franche, il n'ignorait pas que la tâche serait ardue. Le prix pour se rendre où il voulait aller était trop élevé pour que quiconque acceptât sans contrainte de le payer. Et lui n'avait pas les moyens de le faire. Quant à forcer l'entrée... Cela serait des plus inélégants et inutiles. Alors il savait qu'il lui faudrait tricher.
C'est ainsi qu'il s'était retrouvé dans
La forêt.

« Maman ! Maman ! »
Un regard par la fenêtre. Il est en train de courir dans le champ, en faisant attention aux épis. Il a l'air surpris. Tout va bien. Je retourne m'occuper de mon hachoir. Il faut que je me concentre. La douleur me joue parfois des tours.
« Maman ! Maman ! Viens voir ! Allez, viens voir ! »
La lame tranche un os et s'enfonce dans le bois. Plus qu'à jeter les abats aux chiens. Je m'éponge le front pour enlever un peu de sang de mon visage.
« Qu'est-ce qu'il y a ? La tête par la fenêtre, je le gronde un peu. Cours pas comme ça, tu vas te blesser.
─ Mais m'man ! Viens ! »
Je peux rien lui refuser quand il est comme ça. Il va tempêter et rien me laisser faire tant que j'aurais pas vu ce qu'il veut me montrer. De toute façon, j'ai fini avec le mouton. Plus qu'à plonger le dernier morceau dans un bain de sel et puis voilà. Je mets les entrailles dans un seau pour les donner aux chiens et je me lave les mains.
« Bon, qu'est-ce que tu veux alors ? J'ai encore des choses à faire avant le déjeuner.
─ Viens voir ! Viens voir ! »
J'ai à peine le temps de vider le seau dans la cour qu'il m'a déjà saisie et qu'il m'entraîne. Il court vite. Il tient de son père. J'ai dû mal à le suivre et la douleur me perce à chaque pas. Je tire.
« Attends, attends. J'ai plus ton âge, moi. J'ai honte de m'entendre haleter. On va y aller doucement, d'accord ?
─ D'accord, mais viens ! Il n'en démord pas, le petit monstre. Je souris.
─ Et où, d'abord, hein ? T'as rien dit.
─ Dans la forêt ! »

C'était une grosse matrone courtaude, d'à peine plus de quarante ans mais que les affres du temps n'avaient pas épargné. Il entendit le hachoir se planter dans l'épaisse planche de chêne et sentit la douleur résonner dans ses bras et se propager dans tout son corps. Lorsqu'elle s'arrêta pour reprendre son souffle, il sourit avec elle. Elle ferait parfaitement l'affaire et il se salirait à peine les mains. Il prenait déjà des mesures pour l'avenir du garçon.

« La forêt ? Je t'ai déjà dit de pas y aller tout seul ! Où sont les chiens ?
─ Je sais pas. Mais viens, allez ! »
Il me tire encore par la manche mais je lui fais comprendre qu'on va marcher à mon rythme. Je n'aime pas les bois. C'est le territoire de Jan. Où sont les chiens ?
Nous marchons en silence. Enfin. Piotr est silencieux. Moi, j'ahane un peu et je serre les dents. Je reprends finalement mon souffle quand nous atteignons l'orée de la forêt. Il s'arrête et se tourne vers moi ://
« C'est plus très loin, il me fait.
─ Oui. D'accord. Tout ce que tu veux. Mais qu'est-ce que c'est, à la fin ? Je m'énerve un peu. J'ai mal. J'aimerais que les chiens soient là.
─ Tu vas voir ! Mais chut, hein ? Il dort. »

Ils approchèrent à pas de loup et firent plus de bruit qu'un troupeau de vaches paniquées. Il pouvait sentir sa peur. Un instant, il se demanda s'il ne devait pas renoncer, rebrousser chemin, aller ailleurs, trouver et convaincre quelqu'un d'autre plutôt que de forcer les choses. Il balaya ses doutes et accepta son choix une bonne fois pour toutes. Tel était la route qu'il s'était tracée.

//D'abord, je ne vois qu'un homme endormi sous un arbre. Il a le teint pâle, mais pas maladif. Il a pas d'épée à la ceinture, seulement une branche qu'il a dû utiliser pour marcher. Je relâche ma prise sur Piotr et nous approchons un peu.
Il est étendu là, les mains jointes sur son ventre. Quelque chose de paisible se dégage de lui. Un léger sourire flotte sur son visage, comme si rien ne pouvait l'atteindre. Je regarde mieux.//
Un elfe.

Un elfe. J'avais trouvé un elfe dans la forêt. C'est une rencontre qui changea ma vie. Je n'en avais jamais vu. J'ai aussitôt couru jusqu'à ma mère pour la prévenir. Un elfe... Pour vous, cela doit paraître impossible et, déjà dans mon enfance, les elfes se faisaient rares, comme s'ils étaient partis quelque part. Mon père disait que c'était mieux pour tout le monde, que les elfes, fallait pas croire les histoires, qu'ils étaient trop imbus d'eux-mêmes pour fréquenter les gens, manipulateurs et au-delà du bien et du mal, des serpents.
Mais ce n'est pas un serpent que je vis ce jour-là. Un haut seigneur. Il m'apparut dormant dans les bois, sous un arbre. Il avait l'air tellement paisible. Comme s'il avait su que rien, nulle part, jamais, ne pourrait lui faire quelque mal.
J'ai compris que c'était un elfe quand j'ai vu ses oreilles.
Un bel elfe, au visage clair et aux yeux clos.

Un elfe.
Oreilles pointues, peau claire, beauté inhumaine. Séducteurs et manipulateurs.
Un elfe.

La vie ne l'avait pas épargné, nota-t-il en se redressant doucement. Elle portait les stigmates de plusieurs accouchements et la présence d'un seul enfant lui apprit qu'elle en avait sans doute perdu quelques uns. Le visage rubicond, les traits tirés, elle s'efforçait d'afficher une force qu'elle ne possédait plus. Sa vie, simple et rude, l'avait modelée à cette image. Mais les meilleurs bronzes pouvaient faillir. Il sourit.
« Bonjour, dit-il tout simplement. Je me suis perdu dans la forêt. Auriez-vous l'obligeance de me conduire quelque part ? »

Et sans m'en rendre compte, je lui offre déjà le gîte et le couvert, avant même qu'il ait fini sa question. J'ai jamais vu d'elfe. Enfin, si. Mais dans les marchés des grandes villes. Des mendiants en guenilles qui se vendent au plus offrant. Lui, il est pas pareil. Lui, il vient d'ailleurs. Sans doute des derniers grands royaumes des elfes, au Nord. Il nous raconte son histoire tandis que nous rentrons. Piotr boit ses paroles. Moi, j'ai mal. Il ne me lâche pas du regard. Il est fatigué de voyager. On pourra sans doute l'accueillir un temps.
En plus, Jan est loin. Il ne sera pas de trop pour effrayer les brigands. Ils évitent la maison, d'habitude, mais là, sans Jan... Il leur fera toujours plus peur que mon hachoir. Et peut-être qu'il pourra me donner un coup de main avec la ferme. Si je pouvais dormir un peu plus, je suis certaine que j'irai mieux.
« Ben voilà, c'est chez nous. On n'a pas de chambre d'amis à vous proposer. C'est soit l'étable, soit la pièce à vivre. Comme vous voulez.
─ L'étable me conviendra parfaitement. Que son sourire est beau. Qu'il est serein... À présent, pour vous remercier de votre hospitalité, puis-je vous aider en quoi que ce soit ? »

Une demeure fruste mais suffisante. La vie n'avait pas dû être simple tous les jours pour Jan. Après tout, n'était-il pas un des derniers de la région ? Si ses calculs étaient exacts, il devrait se trouver plus à l'Est, pour l'assemblée. Il reviendrait dans un mois et demi. Un regard à la fermière lui apprit que ce temps suffirait.
Alors il eut un gracieux sourire et se mit au travail.

Je passe de plus en plus de temps au lit. La fatigue m'accable mais la douleur a cessé. Et puis comme ça, je passe plus mon temps à trébucher et manquer de tomber. Dieu soit loué que Piotr ait trouvé cet elfe. La nature le célèbre. De vieilles légendes racontaient ces choses-là, mais j'y avais jamais cru. Mais depuis qu'il est là, tout va mieux. Il sait tenir une maison. Il a même appris à Piotr à lire et à écrire. Ils vont s'entendre, lui et Jan, quand il reviendra, bientôt, dans une semaine ou deux je crois. C'est comme tout ce qu'il faisait et disait se réalisait par magie. Et puis on dirait même que Piotr a pris quelques centimètres depuis que l'elfe s'occupe des repas.
Bah. C'est impossible. La fatigue me fait divaguer.

Elle mourut une nuit, sans bruit, tandis qu'il la regardait de ses yeux clairs. Elle y avait mis le temps. Il se rendit dans la chambre de Piotr et le réveilla doucement :
« Nous y allons. »
Le gamin bailla pour seule réponse.
Il claqua des doigts et l'enfant se redressa sur le champ.
« Mieux, reprit-il. Nous y allons. Prends quelques affaires, nous avons trois jours de marche devant nous.
Bien, monsieur. »
Le garçon s'exécuta sous son regard serein. Ses gestes ne lui appartenaient plus vraiment, il se sentait comme emporté par une force plus grande.
Ils quittèrent la maison bien avant le petit jour, s'engageant dans un chemin au hasard. Il savait où il voulait aller.
« Il faut que je dise au-revoir à ma mère ! L'enfant fit mine de rebrousser chemin.
Mais non. Regarde la fenêtre. Elle te salue de loin. Tu as fait trop de bruit, tu l'as réveillée. »
Le garçon plissa les yeux. Il hésita un instant, puis il cria ses adieux, en bougeant fort le bras. Lui resta de marbre.
Enfin, l'enfant se retourna, ayant entendu ce qu'il voulait entendre. Il se remit à marcher. Il ne restait plus qu'un petit domino à pousser.

Edité par Celimbrimbor le 28/04/19 à 09:32

Celimbrimbor | 28/04/19 09:33

Et comme avant, l'original : [Lien HTTP]

Lucifero | 29/04/19 16:04

:o ! Je m'attendais pas à cette suite là :D J'attends de voir la suite que tu réserves au gamin ! ^^

---
Lucifero, à votre service.
---

Index des forums > Rôle Play