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Carlyle | 24/08/07 11:21

La lune est haute et ronde dans le ciel, et tandis que je la regarde, je ne peux m'empêcher de sourire de contentement. J'adore cette vue plus que tout. Les nuages qui jouent dans la lueur blafarde me paraissent à la fois si proches de moi, et si lointains en même temps. Leurs formes étranges semblent murmurer à mon oreille des mots anciens que mes ancêtres leurs ont chanté les soirs de pleine lune. Baigné ainsi dans la réflexion humide coulant depuis l'astre sélène, je prends possession d'un héritage connu de moi seul. Les gouttes de pluie font grésiller les torches lorsqu'elles viennent s'écraser sur les flammes dansantes qui projettent des ombres inquiétantes sur les murs de bois de l'enceinte et des maisons. Mon torse nu dégouline, et pourtant, malgré les bourrasques parfois violentes, je n'ai pas froid. J'examine d'un oeil avisé les dessins échancrés et légers qui foisonnent dans notre ciel toujours hivernal. Je suis ailleurs, et je dois m'obliger à ne pas laisser ma véritable nature prendre le pas sur le vernis de civilisation transmis de père en fils dans ma famille. Non pas que tout le monde dans le petit village n'y soit pas habitué, mais cela serait... une faute de goût que je ne veux pas me permettre. Pas alors qu'en l'air, l'histoire de mes aïeux défile, et que j'assiste encore une fois à leur grande épopée, à des morceaux de bravoure qui m'étaient jusqu'alors inconnus, épopée à laquelle j'ai déjà ajouté ma trame, et sur laquelle je vais imprimer ma marque. Les bruits de la foule assemblée ne m'atteignent pas. Je suis ailleurs. Pas vraiment dans le présent. Pas tout à fait dans le passé. Pas totalement dans l'avenir. Et pourtant, je suis ici. Les pieds ancrés solidement dans le sol, les yeux mi-clos contemplant la voûte étoilée. Tendu, tel une flèche, dans une seule direction. Je sais qu'il va bientôt nous falloir partir, et peut m'importe les discours des autres. L'inaction me pèse un peu, et voilà longtemps que j'ai envie de parcourir d'autres steppes que les nôtres, glacées, et que je connais sur le bout des doigts pour les avoir longuement courues. Je sais, alors qu'un grondement sourd de satisfaction s'élève lentement de ma gorge sans que je m'en aperçoive d'abord, que dès la porte ouverte, je bondirai le premier pour la franchir. Ils me laisseront passer. De toutes manières, ils n'auront pas le temps de m'empêcher. Et même, n'en auront pas envie. Ils savent qu'arrivé là-bas, je serai l'éclaireur le plus habile, le plus discret, le plus létal.

Une tape sur mon bras, légère, me fait me retourner vers mon ancien, crocs sortis, les yeux en rage. Son regard de glace m'arrête immédiatement, et je cesse de gronder. Il n'est pas encore temps. Le chef de clan n'a pas fini ses péroraisons. Je relève la tête vers les nuages. Depuis que le vieux de la forêt est passé, je n'attends que le moment où les lourdes portes vont s'ouvrir. Des légendes, anciennes, évoquent avec fierté les souvenirs passés des ouvertures de ces portes de bronzes. On raconte qu'elles ont été placées là par le Tout lui-même, en prévision des époques futures. On dit que Ilmari, forgeron légendaire de notre peuple, visité par l'esprit suprême, les a forgé des nuits et des jours durant, avant de les installer sur le mur. On dit qu'elles ne s'ouvrent que pour les plus braves, que pour les plus forts. Et ma fierté est immense d'avoir été reconnu comme faisant parti de ceux-ci. Nous n'allons plus jouter contre les autres, bientôt, mais ensemble, pour prévenir les entreprises du mal. Ce n'est plus un concours de force. Nous sommes égaux parce que nous passerons la porte tous les trois. Nous sommes égaux parce que nous avons été désignés tous les trois. Il n'est plus l'heure des luttes, plus l'heure des compétitions. D'une certaine façon, nous entrons dans le monde réel, et il va nous falloir être à la hauteur. Mes muscles se crispent, ainsi que mes mâchoires, et un tremblement souterrain parcourt mon corps. Je respire lentement, pour me contenir, pour ne pas hurler de joie, pour ne pas déborder de sauvagerie. Mon ancêtre s'est vu banni pour cela, et seulement au prix d'un exploit a-t-il pu revenir. Je sens, toujours sur mon bras gauche, la pression de la main de mon ancien. Il sait exactement ce que je ressens. Même si ces cheveux blancs et ses rides semblent dire l'inverse, il a aussi été jeune un jour, et lui aussi attendait l'ouverture des portes. Je sais aussi qu'il peste intérieurement d'être né trop tôt, et de s'être vu privé du privilège d'agir. Je cesse tout mouvement, et seule ma respiration est encore à peine perceptible. J'ai vu les portes scintiller.

Carlyle | 24/08/07 11:21

Combien de fois ai-je pu rêver ce jour, dans les brumes apaisantes de mes nuits ? Combien de fois ai-je déjà vu cette scène dans les moindres détails, jusqu'aux gouttes de pluie qui glissent avec lenteur sur le pectoral du Jarl ? Combien de fois ai-je ressenti, mais en plus diffuse, incertaine, l'excitation qui à présent m'envahit, qui me court dans les veines ?
Le temps s'écoule avec paresse cependant, et je grave avec la précision qui est mienne ce tableau délicieux qui manquait à ma famille. Je suis heureux d'être le descendant à qui revient le privilège exceptionnel d'être le focus vivant de ce souvenir à venir. Je me dois de tout voir, de tout entendre, de tout sentir et de tout ressentir, peu importe qui je comprenne ou non. Il ne m'appartient pas de dégager des lignes ou des raisons. A la fois acteur et spectateur, j'agis et j'observe, sur l'instant. Une histoire, une tranche de vie capturée sur le vif, sur l'instant même, et qui signifie, qui fait sens immédiatement, non pas pour moi, mais pour d'autres, qui la vivent en même temps, ou qui, par mon entremise, la mirent. Les membres de mon clan ne font pas de sagas. Les membres de mon clan sont des sagas, dont seule l'ancienne a feuilleté toutes les pages, dont seule elle connaît l'entière somme. Il s'agit de faire honneur à mon héritage.

Le temps ralentit encore, et les battements de mon coeur sont de plus en plus espacés. Le rythme des pulsations de mes veines se fait semblable aux lentes musiques des tambours nocturnes des contrées lointaines. Les gouttes de pluie me sont à présent toutes discernables, aucune semblable à l'autre, elles ont perdu cette similarité muette qui les projette, sans appel, hors de l'existence. Plus rien ne m'est indifférent, et j'accorde à chaque chose une égale et non feinte attention, aiguisée jusqu'à l'absurde, pour moi, mais aussi pour remplir la tâche qui est mienne.
La pluie ne tombe plus, et le grognement qui s'échappait des lèvres entrouvertes de mon ami s'est interrompu. Tout est calme, tout est scellé, hormis moi. Je ne bouge pas non plus, je n'ai pas envie de dépenser plus mon énergie pour une vétille. Il faudrait que j'efface ce maudit sourire de mes lèvres. Pourtant, je suis indéniablement heureux. Avoir été élu par le Tout est une fierté que je ne peux m'empêcher d'apprécier. Je reprends lentement ma respiration, et le battement des gouttes de pluie sur le pectoral du Jarl revient à mes oreilles.
Le temps s'écoule de nouveau, et personne ici, hormis quelques gens de ma famille, n'a pu s'apercevoir de quoi que ce soi. Hrothgar grogne toujours, et son regard accroche le mien l'espace d'une seconde. Il sait aussi. Je souris un peu plus encore. L'excitation me submerge, et seules des années de maîtrise m'empêche de hurler de contentement.

Pourtant, je sais que ce qui nous attend n'est pas, à proprement parler, une simple affaire. Il nous faudra faire preuve de plus d'astuce, de courage, de force que jamais. Après tout, c'est l'avatar d'Elandel que nous allons pourchasser. Pas un descendant de Fenrir, pas une réplique, déjà terrifiante, de Fafnir... Ces monstres, pour tout terribles qu'ils soient, ne sont rien en face d'un homme élu par un dieu d'orgueil et de colère. Surtout celui-la... Il était ami de ma famille. Il était l'ami de toutes les familles du village, et je sais que nous devons craindre cela. Il connaît nos tours, nos pouvoirs, nos ruses... Avons-nous innové depuis son départ ? Je l'espère. Puisse le Tout nous apporter courage et bienveillance dans notre combat, mais quelque chose me dit que nous devrons nous débrouiller seuls, comme à l'accoutumée. Notre dieu est un dieu muet.

Mais ce n'est pas une raison pour douter.

Je sursaute et me retiens in extremis de mettre grippe sur le temps. J'ai vu les portes scintiller.

Carlyle | 24/08/07 11:21

Il pleut. Il fait nuit. Haraldr s'amuse avec le temps. Hrothgar frémit d'impatience. Finalement, le Jarl aurait pu se dispenser de son discours. Il n'y aurait pas dû avoir de cérémonie pour notre départ. Cela ne sert à rien. Après tout, avoir été choisi par le Tout n'est pas une raison suffisante, à mon sens, pour nous célébrer, nous fêter, nous chanter nos louanges. Nous ne sommes rien encore, seulement une partie de l'histoire en marche. Ni anges, ni démons, simplement des humains avec une tâche précise à mener à bien.
Il n'y aurait pas dû avoir de cérémonie pour notre départ. C'est une perte de temps. Les portes vont simplement s'ouvrir, Hrothgar va bondir dès que l'embrasure sera suffisante, Haraldr s'y glissera à sa suite, et dernier je passerai. Pourquoi faire tout ce raffut pour quelque chose d'aussi puéril ? Les hommes sont vaniteux, même ici.

Je soupire, mais reste droit. Les portes s'ouvrent et tout se déroule exactement selon le plan.

D'un pas calculé, l'allure finement étudiée et le visage composé, je marche au milieu de pairs qui ne le sont déjà plus, mais savent-ils qu'ils ne l'ont jamais vraiment été ? Je sais que, derrière moi, mon clan est de marbre. Je sais qu'au dessus de la halle du village, le Scalde vrille son regard sur moi. Je sais que, dès que j'aurai passé le pas, le village envahira la demeure d'Haraldr pour observer notre voyage. Je sais aussi que nombreux seront ceux à pleurer, et j'ai déjà laissé des conseils précis à ma femme et à ma famille, dans un meuble de ma demeure.

Rien ne semble aller à l'encontre de ce minutieux édifice que j'ai construit depuis que je sais la nouvelle. Nos familles vont se rapprocher. Conformément au Grand Plan de mon trisaïeul, dans deux générations, cela sera un de mes descendants, marié à la femme issue des liens des deux autres familles, qui sera Jarl. Tout est conforme.

Je passe la porte, et tout s'éteint.

Un nouveau plan germe en mon esprit. L'étranger, l'aide. Il est prioritaire. J'entends le Scalde rire dans mon esprit. Il sait que je sais.

Carlyle, mon frère, je reviens.

Carlyle | 24/08/07 11:25

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6) Les Minutes de la Confrérie Blanche : [Lien HTTP]

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9) Le Chant des anges : [Lien HTTP]

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11) Temps clair : [Lien HTTP]

12) Ouverture, mouvement final : [Lien HTTP]

13) Paix et furie : [Lien HTTP]

J'ai, encore une fois, un peu triché avec le forum... J'espère que le confort de lecture en est accru.

Le rythme s'accélère pour coller aux récits de la D.O. avant la fin des vacances, moment auquel, pour cause de rentrée, il va sensiblement ralentir.

La suite : dimanche.

Bonne lecture!

Edité par Carlyle le 24/08/07 à 11:27

Cerbère | 24/08/07 17:35

Toujours jolie

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